Abdelmalek Droukdel est Algérien et est âgé de 42 ans. Il est le fondateur d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Le chimiste est devenu terroriste. Natif de Meftah (région de Blida), en 1970, Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud (son nom de guerre), grandit dans une famille modeste et fortement marquée par la religion. Les premières opérations des groupes islamistes, à la fin des années 1980, fascinent le jeune homme, qui fréquente assidûment la mosquée. Baccalauréat en poche, il noue d’abord des contacts avec des combattants du Front islamique du salut (FIS). C’est l’un d’eux qui lui recommande d’entamer des études de chimie. Il s’exécute et obtient sa licence en 1994. Un an plus tôt, il avait rejoint les rangs de la lutte armée, au sein du Groupe islamique armé (GIA). Sa formation universitaire fait de lui un artificier. Il expérimente, gravit les échelons et se fait remarquer, notamment par Hassan Hattab, qu’il suivra lorsque ce dernier créera le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), en 1998.
Ben laden
Droukdel est un ambitieux. Il propose rapidement à son émir de se rapprocher d’Al-Qaïda. Le refus est catégorique. L’organisation a son identité nationale propre, et il n’est pas question de la transformer en succursale des activités de Ben Laden ! Il n’en reste pas moins que cette divergence de vue fragilise le leadership au sein d’une organisation traversée par des luttes intestines entre, notamment, deux lieutenants. Abderrazak el-Para, ancien parachutiste et chef redouté de la zone 5 (l’est de l’Algérie), convoite la direction du mouvement. Mokhtar Belmokhtar, le contrebandier, soutient le chef.
La bagarre est fratricide, et les manoeuvres du « para » contribuent, dans un premier temps, à provoquer la chute de Hattab, en août 2003, remplacé par Nabil Sahraoui. Deuxième temps, Abderrazak el-Para est capturé au Tchad, en mars 2004. Troisième temps : Sahraoui est éliminé par les forces de sécurité algérienne, en juin 2004. La route est dégagée. Droukdel s’autoproclame « émir national » et peut alors mettre en musique sa stratégie de rapprochement avec le commanditaire des attentats du World Trade Center.
Retranché en Kabylie, il exerce un contrôle évanescent sur ses hommes.
Le 11 septembre 2006, Ayman al-Zawahiri, bras droit de Ben Laden et idéologue d’Al-Qaïda, annonce l’allégeance de l’organisation algérienne, confirmée le 13 septembre par un communiqué de son chef : « Nous prêtons allégeance à cheikh Oussama Ben Laden. […] Nous poursuivrons notre jihad en Algérie. Nos soldats sont à ses ordres pour qu’il frappe par notre entremise qui il voudra et partout où il le voudra. »
La feuille de route se veut ambitieuse : fédérer l’ensemble des mouvements jihadistes dans la région (Tunisie, Maroc et Libye), soutenir les opérations militaires contre la coalition en Irak, voire en Afghanistan, transformer le sud de l’Algérie et le nord du Sahara en une zone de repli depuis laquelle les jihadistes frapperont les « apostats » en Europe et aux États-Unis. Droukdel déploie également une stratégie de marketing. L’ultraviolence du GIA et les coups de boutoir de l’armée algérienne ont fini par fragiliser le GSPC. Le label « Al-Qaïda » semble alors plus porteur. Et c’est le 24 janvier 2007 que naît Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Son fondateur s’en explique : « Le groupe devait changer de nom pour montrer la véracité de la liaison [avec la maison mère, NDLR] ». Et ordonne une campagne d’attentats-suicides sur le modèle de ceux perpétrés en Irak.
Mais cette stratégie militaire ne fait pas l’unanimité. Beaucoup de militants désavouent cette terreur menée en Algérie. La fronde se développe. À partir de 2008, Droukdel supervise un déplacement du centre de gravité de l’organisation vers le Sahel. Les principaux « faits d’armes » : les entraves au bon déroulement du Paris-Dakar, l’assassinat de l’otage britannique Edwin Dyer, quelques embuscades contre les forces armées mauritaniennes, maliennes et algériennes, puis, bien sûr, les nombreuses et lucratives prises d’otages. Mais nous sommes encore très loin d’un jihadisme sahélien, tant Aqmi reste contrôlée par les chefs algériens.
Aussi le Printemps arabe survient-il à point nommé. Droukdel comprend très vite l’intérêt de ce désordre régional pour gagner des positions, promouvoir la cause et donner du crédit à la rhétorique salafiste. Il ordonne l’infiltration de groupes en Tunisie, qui interviendront quelques semaines plus tard en Libye. Dans le même temps, il s’efforce d’asseoir son autorité au Sahel. En novembre 2011, il remplace son émissaire permanent, Yahia Djouadi (chef de la zone 9, Sud-Algérie et Sahel), par Nabil Makhloufi (mort dans un accident de voiture le 8 septembre), jugé plus efficace pour contrôler Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, les principaux chefs des katibas au Mali. Mais ces deux-là ont la maîtrise du terrain et la connaissance des hommes. Ce ne sont pas des poissons dans l’eau, mais bien des scorpions dans le désert.
Chaos
La rébellion touarègue, lancée en janvier dernier par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), puis le coup d’État contre Amadou Toumani Touré, le 21 mars, constituent alors une deuxième occasion : profiter du chaos à Bamako pour avancer ses pions dans ce Sahel propice à tous les trafics et transformer les dunes maliennes en base arrière du jihadisme international. Pour cela, il faut gagner le coeur et l’esprit des habitants. En mai 2012, depuis les montagnes de Kabylie où il tente d’échapper aux forces de sécurité algériennes, le terroriste déclare : « Ne provoquez pas la population et n’appliquez pas la charia tout de suite. » Ce discours est inégalement suivi. La progression irrésistible des « dissidents » du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), la montée en puissance du « fondamentaliste maison » Iyad Ag Ghali (Ansar Eddine), l’autonomie d’Abou Zeid et de Mokhtar Belmokhtar, les premières applications de la charia… confirment ce que les spécialistes supposaient. Abdelmalek Droukdel exerce un contrôle évanescent sur ses hommes.