Les dernières investigations menées par les enquêteurs révèlent que le chalutier El Khalil, disparu le 29 décembre dernier avec les huit membres constituant son équipage, a bel et bien coulé et l’épave retrouvée.
Cette nouvelle est dans toutes les bouches des Ténésiens qui ont perdu tout espoir de retrouver les quatre autres marins-pêcheurs embarqués sur le chalutier disparu. Dans les cafés, la rue, au restaurant, à la pêcherie, et même à la mosquée, où les imams, que ce soit au niveau des quartiers la Cité, Sidi Meraoune ou encore au Vieux Ténès, ont axé leurs prières sur la disparition des huit membres d’équipage ; on ne parle que de ce naufrage.
Cette nouvelle est aussi confirmée par un membre de la famille de l’armateur, qui est également membre de la Chambre nationale de la pêche et des ressources halieutiques. Farid Mostefa affirme qu’un membre de l’équipage avait été contacté, le vendredi 30 décembre à 00h30, par un citoyen habitué à acheter les parts des pêcheurs.
«On est coincé», avait répondu ce marin. Toujours selon le relevé obtenu par les enquêteurs au niveau de l’agence Djezzy, le raïs, commandant d’El Khalil, avait contacté le même jour à 03h30 un ami garde-côtes lui signalant sa position et l’informant que le bateau avait les panneaux coincés dans la vase à 118 brasses, l’équivalent de 215,3 mètres de profondeur, une brasse étant égale à 1,83 mètre.
A 5h29, les téléphones des membres de l’équipage ne répondaient plus, de même que le VHF dernière génération installé sur le bateau.
«J’ai passé une nuit blanche à scruter l’horizon dans l’espoir de voir le bateau rentrer, mais en vain», raconte Abdelkrim Mostefa, un des héritiers de feu Tewfik, armateur et gérant du chalutier. «Connaissant bien le raïs, j’ai pensé qu’il s’était déplacé pour pêcher loin de Collo Bref. Mais vendredi, vers 16 h, ne voyant rien venir et en l’absence de toute communication avec l’équipage, j’ai alerté les gardes-côtes qui, malgré une mer agitée ce jour-là, s’étaient rendus dans la zone de pêche au large de Sidi Abderrahmane sans pour autant déceler un quelconque signe du naufrage», précise Abdelkrim.
Les victimes retrouvées
Boumediène Ali, 50 ans, raïs du chalutier, avait plus de 32 ans d’expérience. «C’était le meilleur raïs de Ténès», déclare Abdelkrim Mostefa. «Il connaît bien El Khalil, d’ailleurs c’est lui qui a procédé à tous les essais après la réparation de la coque et du moteur. Comme tout commandant qui se respecte, il n’a pas quitté le bateau qui sombrait.
Il aurait tout fait pour décoincer les panneaux et revenir avec sa prise, son gagne-pain», soupire Abdelkrim. Son corps n’a pas été rejeté par la mer. Ses enfants, connaissant le courage de leur père, affirment qu’il gît dans la cabine de pilotage. «Il n’est pas du genre à abandonner son bateau», dit Maâmar, un ami de longue date. Les deux autres membres de l’équipage, Boumediène Abdelkader et Marouane n’auraient pas laissé leur grand frère dans une situation pareille.
Benouali Maamar, dont le corps a été rejeté par les flots, le mardi 3 janvier à Bou Haroun, avait plus de 20 ans d’expérience. Il est sorti par des temps plus durs, nous dit-on au port de pêche. Le mercredi 4 janvier, c’est le corps de H’Mida Yahiaoui qui a été rejeté par la mer sur la plage Club-des-Pins. Son fils ne veut plus faire de déclarations à la presse. «Laissez-le reposer en paix-, lance-t-il.
Mahieddine Rachid a été, quant à lui, retrouvé neuf jours après le drame à Tamenfoust, alors que Boughrara Mahfoud a été rejeté le même jour par l’embouchure de l’oued El Harrach.
On apprendra que deux autres corps en état de décomposition avancé ont été retrouvés, l’un sur les plages de Mostaganem et l’autre, le dimanche 15 janvier, sur les plages d’Aïn Taya à l’est d’Alger. Pour ces deux corps, des analyses ADN seront effectuées pour l’identification des victimes. Les enquêteurs ont procédé a des prélèvements de sang chez les familles Boumediène et Alouache.
Les familles des victimes s’en remettent au destin
Au quartier de Sidi Meraoune, la grande famille Boumediène, dont le corps de trois des leurs non pas encore été retrouvés, ont finalement accepté le sort. Ils savent maintenant que leurs chers parents ne reviendront plus, qu’ils sont morts, qu’ils ont sombré avec le bateau enseveli par plus de 6 mètres de vase. «Ce sont les risques du métier», dit H’Mida, un jeune de 22 ans, en indiquant que son père, de par son courage, a de tout temps défié la mer.
La famille d’Abdelkader Alouache a également accepté son destin. «C’était écrit, que Dieu les accepte dans son Vaste Paradis». Les Yahiaoui, quant à eux, refusent de parler à la presse. «Alors que nous faisons notre deuil, certains de vos confrères ont travesti nos déclarations en colportant les rumeurs de la rue», accuse Bouaïssi, un membre de cette famille
En signe de solidarité avec les familles des victimes, les jeunes de Sidi Meraoune ratissent encore la côte est, de Ténès à Beni Haoua, dans l’espoir de retrouver des corps, des débris, des ustensiles ou tout autre objet ayant appartenu à l’équipage d’El Khalil. «L’équipage était assuré, les familles recevront un capital décès estimé à 800 000 DA et une pension conséquente du fait que les défunts ont cotisé depuis de longues années», précise un martin-pêcheur.
Les autres victimes
Ce qui n’est pas le cas de la famille Mostefa, qui se retrouve «sur la paille», dit Abdelkrim, le gérant du chalutier, en faisant remarquer que le bateau, qui vaut près de 4 milliards de centimes, n’était pas assuré tous risques, ce qui engendre un remboursement très faible des assureurs. «Subitement, suite à une erreur technique, notre famille se retrouve sans aucune ressource et criblée de dettes»,
ajoute Abdelkrim au bord de la dépression. «Mes deux frères, ma mère et mes deux sœurs, tous héritiers de mon père, vivent de ce chalutier», précise-t-il en lançant un SOS en direction des pouvoirs publics. Les Mostefa trouveront-ils une oreille attentive après ce drame ? Une question que se posent tous les armateurs au port de Ténès
La vie continue
Alors qu’au port de pêche de Ténès, l’équipage du chalutier le Bouamama s’apprête à prendre la mer, celui du Feth Allah ramasse les filets qui séchaient sur la corniche. «Nous sortirons ce soir», nous dit Maâmar, la quarantaine bien entamée. «C’est le destin, qui dit que nous n’allons pas connaître le même sort que les Boumediène ?» interroge-t-il, tout en signalant que le bateau va également à la pêche de la crevette près du Collo Bref. Le bulletin météo local annonce une mer peu agitée sans grand risque. Les marins cachant leur crainte arborent un sourire froid.
A. K