Dix ans après avoir accueilli ses premiers détenus, la très controversée prison de Guantanamo compte encore 171 hommes, malgré les promesses du Président américain Barack Obama de la fermer.
Emprisonné à tort pendant près de huit ans dans les geôles de Guantanamo, Saber Lahmar, un Algérien de 42 ans, raconte à l’AFP «des années de torture pour rien du tout».
D’abord, il y avait «les médicaments dans la nourriture», pour l’empêcher de dormir, et puis les néons «qui marchent 24 heures sur 24» dans une cellule en métal de 2 x 1,5 m, «la musique des films de sexe à fond» et «les vêtements qu’ils prennent pour 20 jours en laissant le climatiseur très fort». Arrêté en Bosnie un mois après les attentats du 11 septembre 2001, Saber Lahmar a été incarcéré à Guantanamo dès l’ouverture de la prison en janvier 2002.
Les Bosniaques l’avaient livré aux Américains, avec cinq autres Algériens, soupçonnés de fomenter un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sarajevo. «Je n’ai rien fait du tout», déclare cet ancien professeur de langue arabe et ex-directeur de la bibliothèque de Sarajevo. «Oublie le monde, la vie civile, oublie tout», lui aurait dit, à son arrivée, un gardien de Guantanamo : «Ici, vous êtes dans le feu américain». Suivent près de huit ans d’une «vie animale», passant de camp en camp, dans «des cages comme des poulets» puis «tout seul» dans des cellules toujours plus étroites et sommaires. Le camp V, «le plus dur», «pour les gens qui ne parlent pas avec les interrogateurs», a des «lois» différentes des autres. Là, il subit un «programme spécial de torture» : il est privé de sommeil, de nourriture pendant plusieurs jours d’affilée et soumis au bruit constant d’un moteur installé derrière la porte que les gardiens «enlèvent quand la Croix Rouge vient». «Tu ne marches pas, tu ne bouges pas, tu ne parles pas, c’est défendu», lui assène-t-on. Il y a aussi «l’électricité dans les jambes», la bouteille de gaz que le gardien ouvre «pendant quinze secondes et que tu respires chaque jour toutes les 20 minutes pendant des mois». Il peut sortir une fois tous les quinze jours à l’air libre dans des cages de 3 x 3 mètres mais «plusieurs fois» il refuse de sortir dans «un petit carré à peine plus grand que la cellule». «Je leur ai dit: vous ne cherchez pas la vérité, vous cherchez autre chose», raconte-t-il.
Ses geôliers lui auraient répondu: «On sait que tu n’as rien fait du tout, tu es ici pour donner des informations». Dans le camp «Echo», «c’est isolé, isolé, isolé». «Je n’ai pas vu le soleil pendant un an et demi ». Il vit dans une cellule étroite construite dans un autre espace fermé de 5 x 5 mètres. Ses interrogateurs le forcent à rester assis sur un siège sans dossier 18 heures durant. «Si tu sors, si tu vis dix ans, c’est déjà beaucoup», lui aurait lancé l’un d’eux. Ce père de famille, qui ne connaît toujours pas l’un de ses enfants, finit par être blanchi par un juge américain et libéré près de huit ans plus tard. Il est transféré à Bordeaux en France, où il vit toujours.
R. I. / Agences