Témoignage : De Misrata à Alger, le cauchemar d’un Algérien au pays du colonel Kadhafi

Témoignage : De Misrata à Alger, le cauchemar d’un Algérien au pays du colonel Kadhafi

Il a passé 17 ans en Libye avant de tout perdre lorsque la révolution éclate en février dernier. A Misrata où il vivait, Mohamed, 43 ans, originaire d’Alger, menait une belle vie.

Une maison, un bon salaire, des amis et des projets d’avenir. En moins de six mois, tout s’écroule. Il fuit la Libye sur un cargo, accoste en Tunisie, puis regagne à Alger. Sur place, il sollicite le ministère des Affaires étrangères pour une aide, mais on le renvoie dans les dédales de la bureaucratie. De Misrata à Alger, en passant par Sfax et Tunis, Mohamed raconte son cauchemar.

Mohamed a 26 ans lorsqu’il quitte Alger en 1994 pour s’installer à Tripoli, en Libye. Là-bas, dans ce pays dirigé d’une main de fer par le colonel Kadhafi depuis 1969, il y a du travail pour tout le monde. Des milliers d’Algériens y ont trouvé leur compte. Alors, pourquoi pas lui ? Et puis à Alger, en proie au terrorisme, qu’a-t-il à gagner en y restant ?

Jours tranquilles d’avant la révolte !

A Tripoli, Mohamed travaille dur et commence même à y prendre du plaisir. « Je travaillais comme chef cuisiner dans un complexe touristique, très connu du nom de Châtiâ El-Aman. Je ne me plaignais pas ! Je menais une vie tranquille et rien ne me manquait », raconte-t-il.

Un bon salaire, 800 dinars libyens, une maison, des amis et des projets pour l’avenir, Mohamed ne pouvait pas rêver mieux lui qui, dit-il, crevait la dalle en Algérie.

Pendant quatre ans tout allait bien. Un jour, après un bref passage de 6 mois chez ses parents en Algérie, l’homme décide de revenir dans son pays d’accueil. Cette fois-ci, il quitte Tripoli en direction de Misrata, à 250 km à l’est de la capitale libyenne et troisième plus importante ville en termes de population avec près de 300 000 habitants.

« Dans cette ville, je travaille dans une société bien établie. J’ai une carte de résidence et une carte d’immatriculation consulaire. Je dispose de biens. Je suis également associé dans une Pizzeria. »

L’Algérois de pure souche se plait dans cette ville côtière à telle enseigne qu’il pense à faire venir sa fiancée qui vit en France

Misrata, le jour tout a basculé !

Début janvier, le vent de la révolte dans le monde arabe efface deux autocrates. Ben Ali et Moubarak sont chassés du pouvoir comme des malpropres. La révolte gagne la rue libyenne, excédée par le règne sans partage de Mouammar Kadhafi.

Mohamed se souvient encore du samedi 19 février, jour où les habitants de Misrata défient le pouvoir du Guide. Le jour où tout bascule. « Ce samedi-là, une marche pacifique est organisée par des avocats et des habitants. Les forces de police passent à tabac des manifestants et emprisonnent d’autres. Le calme revient pour quelques heures seulement. Le soir, la manif reprend de plus belle, mais la police riposte par des tirs à balles réelles et des bombes lacrymogènes. Un manifestant est tué. C’est le début d’une révolte sanglante.»

Le 25 février, Misrata tombe entre les mains des rebelles qui repoussent les soldats de Kadhafi hors de la ville. Ces derniers font alors le siège, bombardent et mènent des incursions.

« Pendant des jours, on vit dans la terreur. La population est terrifiée. On entend des coups de feu de jour comme de nuit. Les snipers s’installent sur les toits des immeubles du centre-ville pour tirer sur les habitants comme sur des lapins. Des bâtiments et des voitures sont brûlés ou saccagés. Les forces de Kadhafi tirent sur tout ce qui bouge. »

Sa maison saccagé et pillée

La maison de Mohamed est saccagée et pillée jusqu’au moindre bibelot. Il trouve refuge chez un ami. « Après plusieurs jours de combats, les forces de Kadhafi prennent une partie de Misrata. Des chars sont postés à chaque coin de rues et des snipers occupent les toits des immeubles. Une guerre sans pitié. Il n’y a ni téléphone, ni Internet alors que l’électricité est coupée parfois 10 jours durant. Pour prépare à manger, on utilise du bois. »

Première tentative de fuir la mort

Pour rapatrier les Algériens établis à Misrata vers Tripoli pour ensuite regagner Alger, l’ambassade d’Algérie en Libye mobilise des véhicules qui stationnent à 30 kms à l’entrée de la ville assiégée. Une distance que les ressortissants doivent parcourir sur une route très dangereuse. « Nous savons que les troupes de Kadhafi subtilisent les portables, de l’argent, les puces et les cartes mémoires…»

Que faire ? Rester à Misrata où prendre la route au risque d’être dépouillé ou tué. Mohamed tente en compagnie d’autres personnes l’aventure. Malheur leur est pris. « Ce que nous redoutions arrive. Les soldats de Kadhafi nous déplument en emportant avec eux des sommes importantes d’argent et tout ce qui a de la valeur. Ils nous ont tout volé. Sans le sous, j’ai dû rebrousser chemin. »

Les « rumeurs » persistantes sur l’existence de mercenaires algériens parmi les troupes loyales à Kadhafi n’arrangent pas les choses. « Nous sommes devenus des suspects, voire des ennemis. Dès que tu dis que tu Algérien, dès qu’on découvre ton identité, tu deviens une personne louche.»

Il vit de la charité des habitants de Misrata

Fatigué, traumatisé, Mohamed trouve tout de même dans la charité des habitants de Misrata un peu de réconfort. « Ils nous ravitaillent en vivres chaque mois et nous donnent même de l’argent de poche. Sans travail, mes économies volées, je ne dépends que leur charité. »

Coupés du monde, pris dans la nasse des combats, Mohamed, à l’instar des habitants de Misrata, se terre en attendant des jours meilleurs.

Traversée à Sfax à bord d’un cargo

Après six mois de siège, Mohamed n’en peut plus. La vie devient un cauchemar qui n’en fini plus. Nous sommes mercredi 13 juillet.

Un cargo battant pavillon grec en transit accoste, à 12 kilomètres de Misrata. Ce jours-la, la ville subit d’intenses bombardements des troupes de Kadhafi qui arrosent au mortier.

Mohamed pense que le cargo peut être son radeau de salut. « J’avais une peur bleue. Des Algériens, pris de panique, ont renoncé à faire le voyage. D’autres ont voulu récupérer l’argent qu’on leur a volé avant d’envisager toute idée de fuite. J’ai pris mon courage à deux mains. Je suis parti voir l’équipage du cargo et moyennant 2OO dinars, j’embarque sur le bateau en direction Sfax, en Tunisie. »

La traversée se déroule plutôt bien. « L’équipage nous donne à manger et on peut se mouvoir à bord du cargo. Nous ne sommes pas des prisonniers, pas des clandestins. Mais qui chercherait après nous ?! »

« Le consul général me dit qu’il ne peut rien faire pour moi.»

Après trente heures de traversée, Mohamed débarque enfin au port de Sfax, dans le sud-est de la Tunisie, loin des violents échos des combats. La délivrance. Les formalités de douanes réglées sans encombre, il contacte l’ambassade d’Algérie à Tunis.

Mohamed espère trouver un élan de solidarité, du moins une oreille attentive. Mauvaise pioche. « Le consul général me dit qu’il ne peut rien faire pour moi. Il me conseille plutôt de prendre un bus pour renter au pays et de payer de ma poche les frais de trajet. Heureusement que m’a fiancée est là pour m’envoyer de l’argent…»

Etablie en France, celle-ci se démène comme une diablesse pour lui venir en aide. Elle lui envoie notamment de l’argent. Au moment du siège de Misrata, lorsqu’on a perdu trace de Mohamed, elle lance sur internet une compagne de recherches ainsi que des SOS à travers la presse algérienne.

« J’y suis resté quelques jours en Tunisie pour reprendre mes esprits. J’étais éreinté, sous le choc. Je ne voulais pas renter à Alger dans un état lamentable pour ne pas effrayer la famille.»

Retour à Alger, une joie de courte durée

Le 21 juillet, l’enfant de Bab El Oued rentre au bercail sur un vol d’Air Algérie. Chauleuses retrouvailles avec la famille et les proches. Passée l’émotion, le doute sur son avenir en terre algérienne s’installe.

« J’ai vécu pendant 17 ans en Libye, la moitié de ma vie. J’ai tout laissé derrière moi, tout perdu. En Algérie, je n’ai rien. De plus, je vis dans un appartement que se partagent mes frères mariés et mes parents. Et je sais combien il est difficile de trouver emploi en Algérie. »

« En Algérie, je me sens comme un étranger…»

Quatre jours après son retour, le rescapé se rend au ministère des Affaires étrangers dans l’espoir de trouver soutien et aide. C’est plutôt les ennuis qui commencent. « Après un entretien avec un psychologue, on me dit que je n’ai pas l’air de quelqu’un qui a vécu une guerre. On me dit que je me porte bien. Je leur explique que j’ai des documents (carnets de chèques, fiches de paie…) qui attestent de l’authenticité de mes propos».

Les responsables au ministère ne sont pas convaincus. On le renvoi alors dans les dédales de la bureaucratie. « Je demande une aide, ils m’exigent un certificat de radiation avant de me conseiller d’aller voir du coté la wilaya d’Alger. Je ne sais pas quoi faire. En Libye, j’ai tout perdu. En Algérie, je me sens comme un étranger…»