Télévision algérienne : les débats peuvent-ils peser sur l’issue du scrutin ?

Télévision algérienne : les débats peuvent-ils peser sur l’issue du scrutin ?

2014-03-2014_boutef_aps__600__231963324_484794439.jpgDepuis 2012, une dizaine de chaînes privées ont fait leur apparition. Les débats politiques sont désormais libres. Influeront-ils sur l’issue du scrutin ? Rien n’est moins sûr…

Ce 26 février, sur le plateau de Houna el-Djazaïr (« ici l’Algérie »), sur la chaîne privée Echourouk TV, deux femmes débattent de l’élection présidentielle : Akila Rabhi, députée du Front de libération nationale (FLN), et Amira Bouraoui, gynécologue et animatrice du mouvement Barakat !. Pendant plus d’une demi-heure, les deux invitées argumentent, se chamaillent, s’étripent et se disputent. Quand l’élue défend avec morgue le président Bouteflika – jusqu’à s’afficher avec son portrait officiel -, la jeune médecin descend en flammes le bilan du chef de l’État, s’indigne qu’il se soigne au Val-de-Grâce, en France, plutôt que dans un hôpital algérien, et s’étrangle à l’idée qu’il brigue un quatrième mandat. Depuis, la vidéo tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Amira Bouraoui passe maintenant pour une figure de proue de la protestation anti-Bouteflika, alors qu’Akila Rabhi fait l’objet de moqueries de certains médias ainsi que des internautes, qui la traitent de baltaguia (nervi) du régime. Les Algériens sont comme ça : passionnés, impulsifs, bouillants…

Dans un passé très récent, de telles joutes étaient inimaginables sur une chaîne algérienne. Non que la presse ne fût pas libre, mais parce que le monopole sur l’audiovisuel exercé depuis cinquante ans par la télévision de l’État, surnommée perfidement Canal Boutef, interdisait la création de chaînes privées et obérait de fait l’existence de débats contradictoires. Deux ans après la promulgation, en janvier 2012, d’une loi autorisant l’ouverture du champ audiovisuel, on en compte une bonne dizaine. Et à l’heure de l’élection présidentielle, leurs audiences pèsent sur la scène politico-médiatique, bien qu’elles soient difficiles à quantifier en l’absence d’instruments de mesure.

Des extrémistes des mouvances islamiste ou communiste en prime time

Au coeur des programmes qui font fureur auprès des téléspectateurs, les talk-shows. Explications de Kada Benamar, animateur de Houna el-Djazaïr, une émission diffusée en prime time quand la télévision publique propose de sirupeux feuilletons égyptiens, turcs ou syriens : « Ces émissions plaisent et attirent parce que les Algériens y débattent dans une langue qu’ils comprennent, à savoir un mélange d’arabe dialectal, de kabyle et de français. Nous avons même invité des extrémistes des mouvances islamiste ou communiste, qui n’ont aucune chance de passer à la télévision d’État. »

Animateur de Controverse sur Dzaïr TV, propriété de l’homme d’affaires Ali Haddad (réputé proche de Saïd Bouteflika, le frère du président), Khaled Drareni estime que le succès de ces talk-shows a également pour origine la soif de ses compatriotes – grands consommateurs de télévision française – de débats vifs et d’échanges sans censure. « Ça rappelle ce vent de liberté qui a soufflé sur la télévision publique entre 1989 et 1991, époque où islamistes, démocrates, nationalistes et communistes y débattaient sans tabous, souligne-t-il. Nous prenons le relais, deux décennies plus tard, avec plus de moyens et une marge de manoeuvre plus grande. » En face, que propose l’ENTV, la télévision nationale ? La vieille langue de bois et l’exclusion de l’antenne, sauf en période électorale, des responsables de l’opposition, des membres de la société civile et des syndicats autonomes.

Mais ces joutes oratoires, aussi populaires soient-elles, sont-elles susceptibles d’influer sur le choix des électeurs le 17 avril ? Rien n’est moins sûr. Il n’empêche. Contrairement aux trois précédents scrutins présidentiels de 1999, 2004 et 2009, la campagne de 2014 se déroulera sur les plateaux TV et sur les réseaux sociaux. En soi, cela constitue un vrai changement.