Mission difficile pour Tayeb Louh : des jeunes chômeurs l’attendaient à la sortie de la ville scandant des slogans réclamant du travail en fustigeant l’exclusion.
Aux alentours de 12h, une vingtaine de jeunes, bien en vue, attendaient le cortège ministériel à l’entrée de la ville. Encadré par un cordon policier, qui dégageait la route, le cortège passera sans s’arrêter. La forte présence policière dans la capitale de l’Ahaggar donnait un avant-goût de la tension qui y régnait. Le soir, en quittant la ville, le cortège passera devant les mêmes manifestants, cette fois-ci encadrés par les forces antiémeutes.
Dépêché en pompier, le ministre du Travail a tenté de rassurer les jeunes, du moins ceux qui ont assisté à sa rencontre avec les élus locaux, les notables et des membres de la société civile. Certains ont applaudi, d’autres ont quitté la salle après avoir insulté les élus locaux. N’empêche, la Coordination locale de défense des chômeurs maintient sa manifestation prévue pour le 10 avril. C’est dire que le déplacement des ministres sur place n’a pas toujours réussi à calmer les esprits.
Après avoir procédé à des inaugurations de structures dépendant de son département, le ministre du Travail avait programmé une rencontre avec les jeunes et les élus locaux en fin de journée au siège de la wilaya.
Tayeb Louh a pris tout son temps pour écouter les doléances des jeunes de Tamanrasset et a apporté des réponses, sans toutefois réussir à atténuer la colère qui s’exprime présentement de la même manière, dans toutes les contrées du Sud algérien.
Parmi les problèmes posés, celui relatif à la décentralisation des banques. Malgré une instruction qui existe depuis plusieurs années, à Tamanrasset, seule la BNA joue le jeu. Le reste des banques doivent s’en référer à leurs directions régionales lesquelles rendent leurs réponses après plusieurs mois. Ceci pour le cas des dossiers Ansej. Le ministre a estimé que cette situation était inacceptable et a promis d’y remédier dans les jours à venir. Parmi les doléances, figure également celle relative à l’ouverture de postes budgétaires dans la Fonction publique notamment. Mais les jeunes de Tam réclament également leur quota de postes sur les sites gaziers d’In Salah. Certains n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère pour dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ici. “Si les jeunes d’In Salah ont le droit de travailler ici, nous exigeons le même droit chez eux, sinon qu’ils restent chez eux.” Un discours très en vogue par-ici, au point où certains sont allés jusqu’à se demander : “Pourquoi le gouvernement pousse les gens du Nord à venir travailler ici, alors que pour nous, on ne nous offre pas d’emplois ?”.
Des quotas de postes dans la Fonction publique
Le discours se radicalise, prend des tournures qui mettent les élus locaux, le nouveau wali et même le ministre dans la gêne. Les jeunes, qui se sont exprimés, sont remontés contre le pouvoir central et veulent plus, tout de suite. Certains sont allés jusqu’à demander au ministre du Travail de décréter des quotas de postes dans la Fonction publique au profit exclusif des enfants de Tam. Un élu de l’APW ne s’est pas fait prier pour remettre au ministre du Travail quatre CV de cadres de Tamanrasset qui travaillent à la Cnas en le priant publiquement de les promouvoir en tant que directeurs dans d’autres régions du pays.
Dans une wilaya où le taux de chômage officiel se situe à 13,49%, les demandes d’emploi se concentrent essentiellement dans le secteur public, notamment dans la Fonction publique, mais les jeunes contestataires veulent, eux aussi, leur part du gâteau et concentrent leurs tirs sur les sociétés étrangères, particulièrement celles évoluant dans le champ gazier d’In Salah, mais aussi celles exploitant le site aurifère d’Amesmessa.
Les sociétés étrangères dans la ligne de mire
Parmi les griefs retenus contre ces sociétés, l’exclusion des enfants de la région, en leur imposant des conditions impossibles telles que la maîtrise de langues étrangères pour des postes de chauffeur, de gardien ou parfois d’agent d’entretien. En plus, ils pointent du doigt les disparités salariales flagrantes. Le nouveau wali a déjà dépêché une commission spécialisée à In Salah pour faire le point sur la situation de l’emploi sur place. Pour sa part, le ministre du Travail a promis de sévir contre les sociétés contrevenantes, affirmant que le ministère du Commerce pourrait retirer le registre du commerce à toute société ne respectant pas l’instruction du Premier ministre relative à l’emploi dans le Sud et rappelant que seuls les walis avaient la prérogative de décider, à titre exceptionnel, d’un recrutement en dehors de la wilaya, si le poste recherché ne trouvait pas preneur dans la wilaya.
L’Anem n’est qu’un intermédiaire
Tayeb Louh s’est élevé contre les accusations portées à l’encontre de l’Agence nationale de l’emploi (Anem). “Accuser l’Anem, c’est une manipulation. C’est faux. Le problème réside dans les conditions exagérées de certaines entreprises étrangères.” Le ministre a défendu bec et ongles les entreprises créées dans les dispositifs Cnac et Ansej et a affirmé que “ces dispositifs dérangeaient ceux qui voient d’un mauvais œil l’émergence d’une classe de jeunes entrepreneurs, ceux qui s’octroient les gros prêts bancaires en devises, dont une bonne partie reste à l’étranger. Nous avons confiance aux jeunes et nous allons les soutenir. Nous avons relevé le plafond de soutien aux jeunes du Sud à 100% (crédits bonifiés) et nous avons demandé aux jeunes de l’Ansej de s’organiser en syndicat”.
Mais à Tamanrasset, les dispositifs Ansej et Cnac n’emballent pas trop les jeunes, notamment en raison des lenteurs bureaucratiques des banques. La plupart des projets réalisés ont été le fait de jeunes originaires d’autres wilayas, comme ce jeune venu de Batna pour faire dans la menuiserie aluminium. “À Batna, le marché est saturé, alors qu’ici, cette activité est inexistante.”
Pour le ministre du Travail, l’instruction du Premier ministre apporte la solution et il s’agit de veiller à son application sur le terrain. “Les problèmes se règlent par la franchise. Nous n’avons rien à cacher. Il y a certes des lacunes et des dépassements, mais nous allons fermer la porte à ceux qui veulent exploiter ces lacunes”, martèlera-t-il. Tayeb Louh estimera, par ailleurs, que seul l’investissement créateur de richesses et d’emplois est à même de résoudre le problème du chômage.
À ce titre, il dira que les mesures d’encouragement en faveur des investisseurs devraient être revus, de façon à offrir plus d’avantages à ceux qui veulent investir dans le Sud, par rapport à ce qu’on leur offre au Nord, car, estimera-t-il, si les investisseurs ont les mêmes avantages au Sud qu’au Nord, ils préféreraient rester au Nord.
Quant aux régions qui ne disposent pas d’entités économiques et qui sont dépourvues d’activités génératrices d’emplois, le ministre demande aux walis de formuler les propositions de projets qui pourraient être financés au profit des jeunes.
Mais les assurances du ministre du Travail sont loin de satisfaire tout le monde, notamment les jeunes contestataires qui persistent à croire que “nous sommes des citoyens de troisième zone”, ou encore “notre wilaya ressemble à une prison, on y envoie les cadres défaillants pour les punir”. Un discours en vogue en ce moment dans toutes les régions du Sud.
Il y a aussi l’agriculture et le bâtiment
Et même si Tayeb Louh a, à maintes fois, insisté sur le fait que l’emploi ce ne sont pas seulement les champs pétroliers et gaziers ou la Fonction publique, faisant remarquer que des secteurs comme l’agriculture et le bâtiment manquent cruellement de main-d’œuvre, les jeunes maintiennent la pression sur le gouvernement et réclament des postes d’emploi tout de suite, au profit exclusif des enfants du Sud.
On veut aussi les hautes fonctions et l’enseignement du tifinagh
Une pression qui met dans l’embarras, pas seulement le gouvernement, mais aussi les notables et les élus locaux.
À Tamanrasset, la réunion avec le ministre du Travail a failli dégénérer lorsqu’un jeune a pris la parole accusant les élus locaux de “pourris”. Ces derniers n’ont pas caché leur colère, allant même jusqu’à menacer de porter l’affaire devant la justice, selon le maire de Tamanrasset. C’est que la représentation locale traditionnelle est fortement menacée par ce vent de contestation. D’ailleurs, les notables locaux avaient senti le vent tourner, eux qui ont tenu, à la fin du mois dernier, à transmettre leur plate-forme de revendications où figure, entre autres, leur rejet de “l’exclusion” du Sud, et où ils exigent un quota de postes dans les hautes institutions de l’État (ministères, ambassades), mais où ils demandent aussi l’enseignement de tamashek dans le graphique traditionnel des Touareg : le tifinagh.
Le volet politique des revendications des enfants du Sud paraît dépasser les prérogatives du gouvernement Sellal. Des rumeurs font état du prochain déplacement du président Bouteflika à Ouargla, là où, en 2004, le chef de l’État fut accueilli par les premières émeutes du genre et d’où est partie la contestation.
A. B