Les «clandestins» n’opèrent plus dans la discrétion
A Alger, «le transport informel» assuré par ce que l’on appelle communément «taxis clandestins» est une profession en pleine expansion. La loi l’interdit, mais elle est tolérée en ce sens qu’elle arrange plus qu’elle ne dérange.
Les stations improvisées «clandestins» sont partout: dans les différents quartiers de la ville, mais surtout aux abords des stations de transports agréés, des hôpitaux, des marchés, des institutions administratives, etc. Les «clandestins» n’opèrent plus dans la discrétion, leur activité se fait au vu et au su des autorités. Ainsi, dans chaque station de taxis réglementaires s’est greffée une autre «clandestine». Ce sont carrément des stations parallèles. A ce titre, l’exemple de la gare routière du Caroubier, à Alger, est le plus édifiant.
Là, «les clandestins» pullulent, proposent, à la criée leurs services aux citoyens sans gêne. Pour les observateurs, ce phénomène «constitue une réponse au dysfonctionnement et à la défaillance du système de transport public en commun, au chômage et aux faibles revenus des citoyens». Cette activité rapporte, d’où sa généralisation même dans les autres villes du pays. Les «fraudeurs» forment, aujourd’hui, une activité parallèle, qui ne cesse de croître. Les «clandestins» ne sont plus seulement des chômeurs, qui se rabattent sur cette «profession» mais il y a également des salariés et des retraités. «C’est pour arrondir les fins de mois, la vie est très chère. Et puis, cette activité est tout bénéf. Il vous faut juste une voiture qui roule et c’est bon.»
Une profession fidélisée
Pour mieux comprendre cette activité, nous avons visité plusieurs «stations clandestines» à Alger et interrogé les taxieurs agréés et «les clandestins». Grande a été notre surprise de constater que «le clandestin» n’est plus ce «monsieur en loque» à bord d’une vieille Peugeot ou Renault déglinguée. «Le monde a changé cher ami», lance un jeune pimpant à bord de sa Chevrolet blanc cristal flambant neuve. «C’est le clandestin d’aujourd’hui», note encore ce jeune ajoutant une couche à notre étonnement quand il affirme: «Il y a des clandestins avec toutes les marques de véhicules, y compris des Mercedes»
A Ben Aknoun, à la place Maurice-Audin, à la place du 1er Mai et à Chevalley, les chauffeurs «clandestins» attirent une clientèle, composée de toutes les catégories sociales. Certains «fraudeurs» comptent, témoigne-t-il des clients permanents. «J’ai trois clients que je déplace quotidiennement à leur poste du travail chaque soir et je les récupère tard dans la nuit. Ils travaillent dans un hôtel à Zéralda et habitent à Bouzaréah. Je leur assure leur déplacement depuis, maintenant, une dizaine de mois», nous fait savoir Moh ancien administrateur qui s’est transformé en «clandestin». «Je ne suis pas le seul qui compte des clients fidèles, mais la majorité des clandestins» soutient-il ajoutant que «les clients sont nombreux la nuit alors que le transport fait grandement défaut».
«Les clandestins» ne sont pas tous des chômeurs
Les chauffeurs clandestins interrogés affirment qu’ils travaillent tous les jours de la semaine, sauf imprévu ou pour la maintenance du véhicule.
Cependant, d’autres soulignent qu’ils exercent cette profession occasionnellement. Ces derniers sont pour la plupart soit des personnes ayant un travail permanent ou alors des retraités et d’autres salariés se trouvant dans le besoin. Néanmoins, une grande partie de nos interlocuteurs déclare travailler toute la journée: de 7h du matin à 20h du soir. Rencontré à la place des Martyrs, Alger, Omar, un agent de sécurité, travaillant chez un concessionnaire automobile, nous a révélé qu’il exerce le métier de «clandestin», en parallèle, avec son travail d’agent de sécurité, depuis 2 années déjà. Il justifie que son salaire modeste ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, et ce, notamment depuis qu’il s’est marié. S’agissant des retraités (qui ne peuvent pas conduire toute la journée), ils préfèrent, à leur tour, travailler soit la matinée, soit l’après-midi et la soirée. C’est selon leur temps libre et leur condition physique. Il y a également ces jeunes furtifs, qui «fraudent» quelques heures juste de quoi gagner l’argent de poche. Ces derniers empruntent pour cela la voiture de leurs parents. Et pour travailler, il leur suffit de s’approprier des espaces de stationnement un peu partout dans la ville et en dehors du centre-ville. Pour trouver la clientèle, les «clando» ont leur astuce. Ils se font une réputation de transporteur de bouche-à-oreille.
Face à cette situation, les chauffeurs de taxi agréés, qui payent leurs impôts, prennent leur mal en patience. «C’est de la concurrence déloyale pour nous et c’est du vol pour l’Etat» fulmine un chauffeur de taxi exerçant ce métier depuis 1964. «Les temps ont changé, aujourd’hui, cela se fait dans les stations de taxis réglementaires», regrette-t-il, tout en reconnaissant qu’il y a un réel déficit en matière de transport sur certaines lignes. «Les tarifs proposés sont trop élevés pour le client, mais aussi par la concurrence déloyale des clandestins», explique Ahmed, un chauffeur de taxi à la gare routière du Caroubier.
De nombreuses pétitions ont été adressées aux autorités pour chasser ces intrus mais aucune n’a abouti. «Les fraudeurs qu’ils trouvent dans les stations de taxi ou ailleurs sont d’un grand secours pour nous dans la mesure où ils comblent les défaillances du transport régulier et surtout que les tarifs sont abordables comparativement à ceux proposés par les chauffeurs agréés», témoigne Sid Ali qui fait chaque jour le trajet El Harrach-cité La Montagne.
Hocine, un usager, rencontré à la station clandestine de Ben Aknoun, fera savoir que les clandestins sont disponibles à toute heure de la journée ou de la nuit. «Le soir, il y a très peu de taxis en ville, et ce sont les clandestins qui opèrent. Le tarif est négociable», explique-t-il. Les usagers de certaines lignes souffrent le martyre à cause du comportement des taxis qui arrêtent le service dès 18h, en les laissant en rade. C’est dire que «les fraudeurs» ont de beaux jours devant eux.