Les deux charmantes étoiles ont en commun le fait d’être algéroises d’origine Kabyles. Souad Massi, 44 ans et originaire de Amechtras (Ouadhias), est une chanteuse talentueuse bien connue.
Tinhinan Tartag, 18 ans et originaire d’Azeffoun, est élue Miss de Kabylie 2015, par un organisme dirigé par un couple kabyle venant d’Alger. Son nom est source de polémiques puisqu’il se confond avec le surnom du patron des services de renseignements, que tout le monde sait amazigh chawi mais pas amazigh kabyle comme Tinhinan.
Le cas de ces dames est illustratif pour appuyer notre analyse sur le malaise identitaire qu’a généré dans la société le système ayant régné sur l’Algérie postcoloniale depuis le départ de la France.
Commençant par le cas de Tinhinan, qui depuis quelques jours, est victime d’un acharnement sans précédent suite à son refus de parler le kabyle quand le directeur du journal Temps d’Algérie, Hassan Maoli lui a suggéré de parler sa langue maternelle dans une émission de Dzair TV. Ne s’attendant pas à une telle suggestion venant de l’ex-journaliste d’El Watan, désorientée elle a répondu maladroitement qu’elle préférait parler en arabe. Au fait, ce n’est qu’une excuse pour dissimuler sa gêne de ne parler sa langue maternelle, puisque sa réponse était presque en entier en français.
Faut-il blâmer la jeune fille innocente qui ne comprend pas bien les questions et les enjeux identitaires, ou plutôt les organisateurs de Miss Kabylie n’ayant pas inclut une clause sur la nécessité de parler Taqbaylit, parmi les critères de la compétition? Ou encore ses parents qui n’ont pas transmis à Tinhinan l’héritage linguistique de leurs ancêtres?
Le plus à blâmer est, de mon point de vue, le système postcolonial ayant instauré dans la société un déni identitaire étouffant, et dont on paye encore le prix fort. En effet avec sa politique de dépersonnalisation à très grande échelle des peuples amazighs qui composent la société, on ne peut s’attendre qu’à des victimes collatérales comme les parents de Tinhinan. Il ne fait aucun doute que ceux-ci à la maison ne parlent à leurs progénitures que l’Arabe algérois. Exactement comme les millions d’Algérois originaires de Kabylie, pour qui parler le Kabyle est synonyme de sous-développement. L’humoriste Fellag dans un de ses shows, a parfaitement souligné ce fait. Personnellement j’ai vécu dans les années 70s ce qu’a évoqué Fellag, avec des expressions méprisantes genre : Qbayli bunu bunu, jab rriha fi 3abunu.
Pour revenir au cas de la chanteuse Souad Massi, qui dans la plupart de ses interventions médiatiques (principalement en France et en Moyen-Orient) se fait passer pour une chanteuse arabe moderne, est un autre cas d’analyse, intéressant à décortiquer. Dans une récente interview au journal El Watan elle a déclaré, pour décrire son dernier album complètement en arabe littéraire, et intitulé El Mutakalimun (Les orateurs), ceci : «Je me suis dit pourquoi ne pas chanter des poèmes arabes et j’ai commencé par les grands classiques : El Moutanabbi, Zoheir Ibn Abi Salma, Ahmed Matar, Abou El Kassem Echabbi».
C’est parfait pour Souad Massi, qui après avoir chanté en français, espagnol, anglais et l’arabe algérien, elle s’est maintenant mise à l’arabe classique. Ceci montre son côté universaliste, ce qui est à son honneur. Mais ne faut-il pas qu’avant de scruter d’autres perspectives d’ordre linguistiques, commencer par partir de chez soi comme dit IDIR, à partir de la langue de ses ancêtres.
Étant, à quelques années près, de la même génération que Souad Massi, l’école postcoloniale m’a fait aimer ces grands poètes arabes, et plus particulièrement ceux de la Jahiliya dont Zoheir Ibn Abi Salma, El Khansa, Antar Ibn Chadad, …. Mais à la différence de Souad Massi, le printemps amazigh de 1980 et la source de son déclenchement, qu’est le livre «Poèmes kabyles anciens» de Mouloud Mammeri, m’ont fait découvrir que nous les kabyles aussi nous avons eu notre lot de grands poètes-philosophes tels que Yusef Uqasi, Si Muh Umhand, Chikh Muhand Ulhusin, Muhand Said Amlikech, … et dont la liste continue à s’allonger jusqu’aux poètes-philosophes modernes que sont Slimane Azem, Lounis Ait Menguellat, Matoub Lounes, Zedek Mouloud pour ne citer que quelques-uns.
Pour revenir au cœur du sujet, si la Kabyle qu’est Souad Massi, croit encore qu’elle est vraiment arabe, et au même titre que Tinhinan Tartag, la faute incombe-t-elle à ses parents qui ne lui ont pas transmis la langue et les valeurs kabyles? Ou plutôt au bombardement idéologiques de l’école algérienne qui continue jusqu’à date à faire croire à nos enfants kabyles, chaouis, mozabites, targis, … qu’ils sont Arabes et non Amazighs. Exactement comme la constitution le dicte. De plus d’après cette même école idéologique, ces enfants doivent être fiers de leurs grands poètes arabes El Moutanabbi, Zoheir Ibn Abi Salma, Ahmed Matar, Abou El Kassem Echabbi, et non pas de leurs grands poètes amazighs Aissa El Djarmouni, Adel Mzab, Othmane Bali, Slimane Azem, et de nombreux autres poètes amazighs chawis, mozabites, targis et kabyles.
C’est dans ce cadre qu’il faut situer les glissements verbaux de Tinhinan et de Souad Massi. Au lieu d’en vouloir à ces belles étoiles, nous préférons qu’on ferme la parenthèse des polémiques inutiles et se concentrer sur l’essentiel. C’est-à-dire continuer la lutte pour que les choses changent à l’avenir pour asseoir une société paisible, psychologiquement stable, et surtout épargner à nos enfants et petits-enfants de telles anomalies identitaires à l’avenir.
Racid At Ali uQasi