Ath Hichem, un village de la commune d’Aït Yahia, Ain El Hammam, perché sur une crête de près de 1 200 mètres d’altitude, accueille depuis jeudi dernier le Festival culturel du tapis d’Ath Hichem, qui en est à sa deuxième édition. Auparavant le tapis d’Ath Hichem était célébré chaque année par une fête avant que le ministère de la Culture ne décide de la promouvoir au rang de festival avec tous les avantages que procure un tel statut.
Le festival qui a été ouvert jeudi dernier par le directeur de la culture et du tourisme et celui de l’artisanat de la wilaya de Tizi-Ouzou est l’œuvre de l’association locale «Thiliwa» (fontaines), en collaboration avec plusieurs directions de wilaya et la daïra d’Ain El Hammam. Cette manifestation a été organisée en hommage à trois femmes tisserandes disparues au courant de cette année, à savoir Aït Ouazzou Nora, Aït Ouazzou Nouara et Aït Bellil Noura. Outre les artisanes locales du tissage, ce festival a vu la participation des artisans en bijou, poterie… venus d’autres wilayas du pays. Jeudi dernier, les tisseuses d’Ath Hichem aux «mains généreuses et savantes», ont étalé avec fierté dans les salles de l’école primaire et de la maison du tapis du village, les plus beaux tapis de différentes dimensions et couleurs, tissés avec amour, au bout de quelques semaines de dur travail, de jour comme de nuit. En dépit des difficultés de commercialisation de leurs produits, les tisseuses continuent toujours leurs activités de tissage.
L’attachement de ces femmes à cette activité ancestrale est plus que charnel. Elles chérissent ce métier comme leurs enfants. C’est le cas de Na Mezhoura Benmamra, qui, du haut de ses 78 ans, continue de pratiquer ce métier de tissage de tapis depuis qu’elle a 25 ans. «J’aime le métier à tisser du tapis que j’ai appris à l’âge de 13 ans à l’école de tissage du village auprès de Mme Ouerdia Aït Abdeslam», nous dira toute fière Na Mezhoura en brandissant ses plus belles œuvres exposées à cette occasion. La cherté de la matière première, la laine surtout, se répercute immanquablement sur le prix du tapis que les tisserandes du village ont du mal à écouler, s’est plainte Na Mezhoura, précisant toutefois qu’elle continuera à pratiquer ce métier qu’elle adore. Un tapis de très petite dimension est affiché à 7 500,00 DA, alors qu’un autre de dimension moyenne dépasse les 30.000 DA, nous dira celle qui pourrait être la doyenne des tisserandes encore active d’Ath Hichem.
Le problème de commercialisation des produits de tissage revient comme un leitmotiv dans nos discussions avec les villageois d’Ath Hichem, fortement perplexes devant la situation dans laquelle se trouve l’activité héritée de génération en génération. «Le tapis d’Ath Hichem est en déperdition. Il est même en danger de mort», a tenu à affirmer M. Aît Iftene, membre du commissariat du festival. «Le tapis, et particulièrement celui d’Ath Hichem, qui était jadis un élément essentiel de la dot de la mariée en Kabylie, est hélas détrôné par la couette chinoise à bas prix», s’est-il lamenté, ajoutant qu’il fut un temps où il n’existait pas une maison au village Ait Hichem où on ne trouvait pas un métier à tisser dressé dans le coin le plus éclairé de la maison. Aujourd’hui, ces maisons où trônaient des métiers à tisser sont de plus en plus rares à Ath Hichem. «Il faudrait mettre en œuvre une véritable politique de sauvegarde de l’artisanat national qui risque de disparaître», nous a confié notre interlocuteur avant d’aller s’inquiéter de l’organisation de ce festival si cher à la population tisserande de ce village de quelque sept mille habitants répartis sur trois Adhrum «tribus», à savoir les Ath Madhi, en haut du village, les Ath Ouesbaa, au milieu du village, et les Ath Mendil, en bas du village. En plus d’avoir su sauvegarder depuis des siècles le métier à tisser, le village d’Ath Hichem a gardé également la structure traditionnelle de l’organisation de Thaddart mise en place par leurs aïeuls. C’est ainsi que le village est partagé en Adhrum qui est à son tour scindé en Ikherban.
Les Ikherban représentés par Twamen sont présidés par l’Amin qui est élu par l’ensemble des villageois (Tajmaat). Sebt, marché du samedi, situé au chef-lieu de commune d’Ath Yahia, centre économique important pour toute la région, est un lieu de rencontre des villageois de la commune. Sebt, qui domine toute la région, offre une vue pittoresque. Le village Ath Hichem, connu pour ses hivers rigoureux, a été raccordé au gaz naturel en 2010, au soulagement des villageois qui souffraient le martyre. Ce village reste bloqué en hiver à cause de la neige. En 2005, ce village a été isolé du reste du monde durant quinze jours, se souvient un villageois pour souligner l’importance de l’arrivée du gaz à leur village. Evoquer le tapis d’Ath Hichem et ses motifs uniques et spécifiques nous amène inéluctablement à citer les principales tisserandes qui se sont sacrifiées pour que le tapis du village acquière une notoriété nationale, voire même internationale. Les portraits de Na Ghenima Aït Issad, Ouerdia Aït Abdeslam, Aït Ouazzou Nora, Aït Bellil Noura et tant d’autres pionnières dans le domaine, que nous ne pouvons citer toutes, sont brandis dans la maison du tapis en signe de reconnaissance à leur combat pour la sauvegarde de ce métier et le savoir-faire transmis aux générations actuelles. Na Ghenima Aït Issaad, moudjahida, est l’une des femmes les plus emblématiques du village. Et pour cause ! Elle a été celle qui a rouvert, à l’indépendance, le collège d’enseignement technique du village, fermé durant la guerre de Libération nationale sur instruction des moudjahidine. Grâce à elle, des centaines de filles se sont initiées aux techniques du tissage avec lequel des familles entières ont pu vivre en ces moments difficiles de lendemain d’indépendance.
La défunte a participé à plusieurs foires d’exposition à travers l’Algérie et à l’étranger au cours desquelles elle a décroché plusieurs titres, diplômes et médailles. La gardienne du tapis est décédée le 3 janvier 1993. Elle est toujours aimée et respectée pour ce qu’elle a donné comme savoir-faire aux filles de son village. Le collège technique d’Ath Hichem a été réalisée en 1892. Germaine Chantréaux a été la première institutrice française à y exercer. Na Ouerdia Abdeslam et Ghenima Aït Issaad comptaient également parmi les formatrices ayant marqué leur passage.
Cette école de tissage a permis la codification de ce métier, ses motifs et techniques, facilitant ainsi son apprentissage, selon un document de l’association Thiliwa. Elle a permis également de mettre en valeur la symbolique des tapis d’Ath Hichem. Au-delà du moyen de subsistance, le tapis a de tout temps été une forme d’expression, nous diront les connaisseurs du métier. Les dessins et les motifs décoratifs du tapis d’Ath Hichem expriment l’humeur, l’espoir et la peine des tisserandes. Le tapis du village d’Ath Hichem est reconnaissable parmi d’autres par ses motifs spécifiques. En attendant un véritable plan de sauvegarde de cet art tant aimé et adoré par les tisserandes d’Ath Hichem, les villageois sont décidés à lutter contre la menace de disparition qui guette leur tissage en gardant toujours les métiers à tisser dressés dans les coins les plus éclairés de leur maison.
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