Taleb Ibrahimi, Abdennour Ali Yahia et Rachid Ben Yelles, Ils disent non au 4e mandat

Taleb Ibrahimi, Abdennour Ali Yahia et Rachid Ben Yelles, Ils disent non au 4e mandat

P140211-13.jpgIls disent non au 4e mandat

Face à une actualité bouillonnante, marquée par une incertitude et un flou politiques à deux mois de l’élection présidentielle, d’anciens hauts responsables de l’Etat, des acteurs de la société civile et des personnalités influentes réagissent pour recadrer le débat qui glisse dangereusement vers des thèmes extrêmement nuisibles à la République.

Après l’ancien président de l’APN, Abdelaziz Ziari qui a mis en garde contre une mafia politico-financière voulant faire main basse sur l’Etat, c’est au tour de trois grosses pointures du monde politique de rompre le silence. Taleb Ibrahimi, Abdennour Ali Yahia et Rachid Ben Yellès ont rendu publique hier une déclaration dans laquelle ils disent s’opposer à un 4e mandat.

Cette position politique engage ses auteurs mais nous avons le devoir de la rendre publique pour nos lecteurs. Tout comme nous ouvrons nos colonnes aux défenseurs du 4e mandat dont le secrétaire général du MPA, Amara Benyounès qui nous a accordé un entretien.

Déclaration

Après avoir bafoué la Constitution qui limitait le nombre de législatures à deux mandats, voilà que le pouvoir veut reconduire M. Bouteflika -arrivé illégitimement au pouvoir en 1999 – pour un 4e mandat consécutif. C’est une négation de la République et du sacro-saint principe de l’alternance au pouvoir, une offense à la mémoire de ceux de nos compatriotes qui ont sacrifié leur vie pour l’indépendance du pays et une marque de mépris pour les citoyens que nous sommes. Sauf réaction significative de la société civile et politique, M. Bouteflika sera maintenu à la tête de l’Etat au titre d’une parodie d’élection identique à toutes celles que nous avons connues dans le passé, et ce, malgré son âge avancé, son état de santé déplorable et le bilan fort contestable des quinze dernières années.

Un bilan d’autant plus inexcusable que l’Algérie aura connu au cours de cette période, une conjoncture exceptionnellement favorable, celle d’une paix civile retrouvée grâce à la population qui a rejeté et l’extrémisme et l’éradication, celle d’une pluviométrie providentielle et celle d’une embellie extraordinaire des cours du pétrole. Les recettes pétrolières colossales perçues durant cette période ont été dilapidées à l’exception d’une partie bloquée en bons de Trésor, pour le seul bénéfice de l’économie américaine.

Au lieu d’utiliser la manne tombée du ciel pour bâtir une économie de substitution à l’économie rentière des hydrocarbures et propulser l’Algérie au rang des pays émergents, le régime de M. Bouteflika a choisi d’engager le pays sur la voie qui lui permet de rester au pouvoir en achetant la paix sociale avec l’argent du pétrole.

Pour ce faire, il a inondé le marché de produits d’importation et passé des contrats faramineux avec des entreprises étrangères de travaux et de prestations de services, à la grande satisfaction d’une faune d’affairistes de tous acabits et de tous bords. Des contrats qui ont donné systématiquement lieu à des commissions exorbitantes au profit des contractants nationaux et de leurs intermédiaires à travers le monde. Des fortunes colossales se sont ainsi bâties sur le vol et la prévarication au détriment du Trésor algérien.

Le pillage des recettes provenant de l’exportation des hydrocarbures au cours de ces années funestes pour l’intérêt du pays, a été accompagné par une surexploitation criminelle de nos gisements pétroliers pourtant bien connus pour la modestie de leurs réserves en comparaison avec celles des Etats pétroliers de la région. Une surexploitation qui a accéléré le processus d’épuisement déjà largement entamé, ce qui expose la nouvelle génération d’Algériens à de graves problèmes de ressources.

Peu de projets productifs ont vu le jour durant les quinze dernières années et le peu qui restait encore de l’ancien appareil de production a été démantelé pour laisser place nette aux barons de l’importation qui ont fait des Algériens une population d’assistés ayant perdu le sens de l’entreprise, ne produisant plus rien et attendant tout de l’extérieur, et vivotant dans un Etat en queue de classement dans tous les rapports publiés périodiquement par les institutions internationales.

Un Etat déliquescent, caractérisé par une administration budgétivore et incompétente, une bureaucratie étouffante, des services publics défaillants, une économie dominée par les activités informelles, la spéculation, la fraude, l’évasion fiscale et monétaire.

Un Etat hors normes, profondément gangrené par la corruption (aggravée par l’impunité), et totalement déconsidéré aux plans régional et international. Un Etat incapable de protéger sa population contre les tonnes de kif qu’un pays voisin, connu pour sa politique expansionniste et son bellicisme à l’égard de l’Algérie, déverse quotidiennement sur nous, sans que le pouvoir en place ne réagisse.

C’est une véritable «guerre de l’opium» que ce pays mène contre nous, une guerre qui fait des ravages dans la jeunesse algérienne et menace la République dans son intégrité territoriale. Alors que l’Algérie, depuis l’Indépendance, n’a jamais connu de conditions aussi favorables pour son développement qu’au cours des quinze dernières années, sa régression politique, économique, culturelle et éthique n’aura malheureusement jamais été aussi grande qu’au cours de cette même période. Cette déchéance est l’oeuvre de la coterie au pouvoir qui pousse maintenant l’arrogance jusqu’à vouloir imposer un 4e mandat dans un climat délétère aggravé par une situation explosive dans le sud du pays et des déclarations irresponsables faites hélas au nom du FLN.

Aussi, et devant le viol qu’il s’apprête à faire subir une nouvelle fois à notre peuple, nous, signataires de cette Déclaration, considérons qu’il est de notre devoir, devant Dieu et le peuple algérien, de dénoncer publiquement et solennellement, ses dérives politiques et morales inacceptables, sa gestion désastreuse des affaires de l’Etat et son immobilisme face au développement du régionalisme, du communautarisme et des forces centrifuges qui menacent le pays d’éclatement.

Nous, signataires de la présente Déclaration, disons non à une 4e candidature de M.Bouteflika et appelons toutes les forces saines du pays – et notamment celles attachées à la justice sociale et à la moralisation de la vie politique – à exprimer leur refus par tous les moyens pacifiques qu’ils jugent utiles: prises de position individuelles et collectives, recueils de signatures, pétitions, déclarations, appels, etc., comme nous leur demandons, en cas de maintien de cette candidature, de boycotter massivement le simulacre d’élection que le pouvoir en place projette de tenir.

La prochaine échéance électorale doit être l’occasion d’exiger une refondation des institutions afin que la situation que l’Algérie a connue durant les quinze dernières années ne se reproduise plus jamais et pour que la candidature à la magistrature suprême ne soit dorénavant permise qu’aux seuls dirigeants dans la force de l’âge, en pleine possession de leurs capacités physiques et intellectuelles, et cela, à l’exemple de tous les pays qui comptent dans le monde.

Taleb Ibrahimi, Abdennour Ali Yahia, Rachid Ben Yellès

Alger le 10 février 2014