Tahar Ould Amar, écrivain, à l’expression: « L’académie ne va pas inventer tamazight »

Tahar Ould Amar, écrivain, à l’expression: « L’académie ne va pas inventer tamazight »

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En marge de la cérémonie prévue, mais reportée, en l’honneur de Djellaoui, le président de la toute, récente académie berbère nous avons rencontré Tahar Ould Amar, écrivain, journaliste, auteur de «tafunast i itezgen pétrole» (la vache à pétrole) et avons essayé de contourner la large question de tamazight. Pour précision, Tahar Ould Amar a longtemps occupé des espaces dans la presse avec des écrits rédigés dans sa langue maternelle et objet de ses multiples combats.

L’EXPRESSION: Quel est votre avis sur cette décision des hautes autorités du pays, l’Algérie vient de se doter d’une académie berbère?

Tahar Ould Amar:

En voyant la composante humaine, tout porte à croire, que cette académie tant attendue est chargée d’une mission autre que celle d’accompagner les langues amazighes en usage dans le pays vers de meilleurs horizons. S’agissant de sa composante on y retrouve des personnes d’un profil et d’un niveau sidérants. Il n’est tout de même pas normal de retenir des noms de personnes inconnues de l’univers amazigh (en termes d’implication dans la recherche) dont des licenciés. On y retrouve même des détracteurs du fait amazigh. Cela étant, des membres (une dizaine), dont M. Djellaoui, le président, n’ont rien à prouver quant à leur compétence et surtout leur engagement et position concernant notamment la problématique de la graphie. Ils auront du pain sur la planche

L’académie est perçue comme un moyen pour l’émancipation de la langue. N’est-ce pas l’institution pourvue des moyens pour donner à la cause un cadre scientifique, linguistique?

De toute façon je ne la perçois pas comme telle. La vitalité de la langue est assurée par ses locuteurs, par une dynamique sociale soutenue par une production tous azimuts. Les langues amazighes n’ont pas attendu l’académie pour exister. «L’institution» a été incarnée par des hommes à l’image de Mouloud Mammeri. Elle continue à être incarnée par des volontés et des engagements désintéressés, je pense entre autres à Mohand Belkacem qui fait un travail fabuleux dans le domaine de l’informatique. On veut nous faire croire que l’académie va nous réinventer tamazight. L’académie devrait être à l’écoute et au service de la langue en usage. Elle n’a pas vocation d’inventer une langue, un espéranto amazigh.

Est-ce l’aboutissement de la longue lutte pour l’identité ou un simple palier à franchir dans le développement d’une langue longuement reniée pour des raisons politiques?

Ni l’un ni l’autre, telle qu’elle se dessine je crains qu’elle ne soit un instrument idéologique, encore un, pour permettre à ce pouvoir d’entretenir et pérenniser «la ouhadiya» (l’uniformisme) qu’il affectionne tant. Les sorties de Ghlamallah, converti en linguiste, de Goussam, du journaliste «chercheur» qui n’a pas trouvé mieux que de s’en prendre à «Azul»… semblent être commandées pour montrer la voie de la «lougha al amazighya el fusha» en caractères arabes. La débilité est telle qu’ils sont capables d’exiger tamazight en langue et caractère arabes.

En vous référant à votre vécu et expérience, quelles sont les vraies conditions pour une réelle émancipation de la langue?

Vous savez, il me semble que M. Dourari n’a pas été retenu parce que son profil n’arrange pas les desseins du pouvoir en place. Dourari, me semble-t-il, parle de langues amazighes et pas de dialectes. Il a toujours associé la politique linguistique à la citoyenneté et aux libertés. Et c’est ce dont ont besoin les langues amazighes.

Pessimiste?

Les langues amazighes ont survécu à des siècles de déni. Ce n’est pas aujourd’hui, alors que la conscience identitaire est plus importante, qu’elles vont finir dans les épitaphes. Mieux que l’Académie, elles ont la vigueur sociale.