Taghit L’appel du Grand Erg

Taghit L’appel du Grand Erg

Aller à Taghit, c’est comme voyager dans le temps. Cette ville, située à 93 km au sud de Béchar, est considérée comme le « berceau de la civilisation néolithique ». En témoignent les gravures rupestres qui parsèment la région.

Visiter Taghit, c’est aussi découvrir les richesses touristiques de l’Algérie dans toutes leur splendeur mais aussi leur fragilité. 5h du matin. Une caravane de véhicules s’ébranle de Béchar vers l’oasis. 93 kilomètres d’une mer de dunes. Dans ces immensités, on y découvre des palmeraies qui s’étendent à perte de vue. Sur la route, un flot incessant de véhicules : des touristes nationaux et étrangers qui ont choisi Taghit en cette période de vacances scolaires et de Nouvel An. Les immatriculations donnent un aperçu sur l’attrait de la célèbre oasis : Blida, Aïn Defla, Oran, Tébessa, Oum El Bouaghi… Des équipes de la direction des travaux publics étaient déjà sur le terrain, en cette heure matinale, pour des travaux de réhabilitation des tronçons de cette route endommagée, notamment avec le passage des camions de gros tonnage.

Taghit vue du ciel, c’est 10.000 DA

A l’entrée, un panneau couleur bleue indique l’entrée de la commune de Taghit. Les touristes décident de faire une halte pour des photos souvenir et pour apprécier le panorama, notamment les dunes du Grand Erg dont l’une dépasse les 300 mètres. Les touristes ont les yeux rivés sur le lever du soleil. Ses premiers rayons effleurent le faîte de la dune qui s’illumine progressivement. En contrebas, le vert des palmiers miroite alors que l’ocre des ksour vire à l’orange. Irrésistible. Enfin, Taghit surgit. Au loin, le grand Erg Occidental est investi par les touristes, amateurs de ski et autres randonnées sur sable. Sur les lieux, une ambiance particulière régnait. Une dizaine de quads sont stationnés près des chameaux sellés pour l’occasion. Des circuits ont été aménagés pour les enfants. Un jeune de Taghit a ouvert une agence de location de quads, dans le cadre de l’Ansej, une première dans la région. Ces engins sont loués à raison de 2500 DA pour les enfants et 5000 DA pour les adultes, pour une randonnée d’une heure. Sid-Ahmed est originaire de Skikda. Il vient chaque année « travailler » à Taghit. « J’ai une entreprise de location de quads, je me déplace ici en cette période, jusqu’au mois de mars. Durant la saison estivale, je travaille dans les villes côtières », dit-il. Un commerce très rentable, selon lui. « Ça rapporte, parce que les touristes notamment les jeunes adorent la vitesse sur le sable », a-t-il précisé. Sid-Ali, lui, a trouvé un autre créneau : il propose aux touristes le survol du Grand Erg à bord d’un ULM, un engin unique en Algérie. Il s’agit d’un aéronef muni d’un moteur. « Il y a une forte demande. Les curieux et aventuriers s’offrent le plaisir de découvrir Taghit du ciel », a-t-il précisé. Les prix sont fixes : 10.000 DA. Assia, venue d’Alger, est enthousiaste. « C’est une belle aventure », lance-t-elle. De même pour Halim, étudiant à Alger qui a déboursé ses économies dans ces aventures. Mais pour Yassine, un père de famille, c’est exagéré. « C’est exorbitant. Toutefois, j’ai offert des randonnées à dos de chameau à mes enfants », a-t-il dit. Les randonnées à dos de chameau ne sont pas à la portée de toutes les familles : une tournée est à 500 DA. Pas de négociations avec leur « pilote ». Bien au contraire, il exige 100 DA pour tout touriste désireux de se prendre en photo avec son animal. « Business is business », a précisé Ali, un propriétaire de chameaux. « Nous chômons toute l’année à l’exception de trois mois, soit de la fin du mois de décembre au début du mois de mars », se justifie-t-il.

Des noces à Taghit : un rêve des nouveaux couples

Meriem de Kouba est gâtée, et pour cause, elle vient passer ses noces à Taghit. « C’était mon rêve. J’entendais parler de cette région que je n’ai jamais vue. On a sollicité une agence et on est bien pris en charge. Je me suis amusée comme une petite fille ». La jeune mariée fait la moue quand son époux refuse qu’elle utilise l’ULM. « C’est risqué, je ne veux pas te perdre », lui lança-t-il. Des groupes d’amis ont également fait le choix de visiter Taghit. « C’est une découverte pour les nouveaux mais aussi pour les habitués. Malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée alors que le potentiel touristique existe », a soutenu Saïd de Bejaïa, un amateur de ski sur sable.

Des baraques pour la vente de sandwichs et de boissons

Fayçal, un touriste algérois, a déploré l’absence de culture touristique. « On aurait souhaité goûter des plats traditionnels de la région. Je n’ai pas parcouru 1.200 km pour un sandwich ». Un habitant de Taghit, qui suivait notre discussion, nous a orientés vers un restaurant traditionnel, situé à proximité des ksour. Des tables sans couverts sont disposées dans deux petites salles. Le serveur nous présente le menu : des pommes de terre frites accompagnées d’escalopes de volaille et une macédoine. Nulle odeur de plat traditionnel, au grand désappointement des touristes. Un constat que les étrangers n’ont pas manqué de relever. « C’est sur commande », nous a confié l’homme à tout faire au restaurant, coiffé d’un chèche. Face à la demande des touristes, notamment des étrangers, Mohamed Bensafi, un jeune de Taghit, a mis en place un bureau d’orientation pour le tourisme saharien. « Je travaille à titre bénévole pour la promotion du tourisme dans la région de Taghit. Ce bureau consiste à orienter les touristes. » Mohamed est pratiquement l’intermédiaire. Il propose ses services aux agences de tourisme, aux visiteurs, à savoir l’hébergement, les randonnées et les plats traditionnels et même des soirées à l’occasion du réveillon.

Parcourir 1.200 km pour un sandwich chawarma

Afin de combler le déficit en infrastructures, des associations locales ont opté pour la restauration des ksour dont certains sont classés patrimoine national architectural. Tous se distinguent par leur architecture arabo-musulmane. La plupart ont une appellation d’origine berbère. Il faut savoir que 320 ksour de Béchar se trouvent dans la la ville de Kerzaz. On a visité le ksar Sidi Ayad, partiellement restauré et construit à l´époque morabite. Ses ruelles labyrinthiques sont obscures, même en plein jour. Dans certains ksour, des tentes ont été installées où des jeunes servent du thé à la menthe. Les chambres sont louées à 1.500 DA la nuitée. Les plats traditionnels sont proposés à la commande, poulet cuit sous le sable « Djedj Bouga », couscous avec de la viande séchée, pain farci (khobz el basla), m’hadjeb ainsi que belboula (soupe) à des prix allant de 600 à 1000 DA le plat. Mohamed Bensafi propose aussi des guides touristiques mais il a relevé certaines insuffisances. « L’année passée, on a eu la visite de 20 touristes suisses qui ont demandé à faire des randonnées à dos de chameau mais on n’a pas pu satisfaire leur demande en raison du manque de dromadaires. Cette année, on s’est organisé à travers des contacts avec les éleveurs des chameaux. Le tourisme à Taghit devrait être pris en charge par le ministère et non par les associations qui ne disposent pas, elles, de grands moyens », a-t-il souligné.

« Le marché Noël » de retour

Le tourisme, c’est aussi l’artisanat. A l’occasion, « le marché Noël » a repris son activité pas loin de la placette de Taghit. Des stands abritent des boutiques de vente de produits artisanaux, des kheïmas traditionnelles où l’on sert le thé corsé du désert. Aux abords, des œuvres traditionnelles, des jarres, des bols, des assiettes avec des décorations diverses sont exposées à même le sol. Les chèches sont cédés à 450 DA. « Ils se vendent comme des petits pains. C’est devenu l’identité de tout visiteur de Taghit », a assuré un vendeur.

gravures rupestres menacées

On ne peut visiter Taghit sans faire un détour du côté des stations des gravures rupestres, un musée en plein air et 7.000 ans d’histoire de l’art. Cette ville est composée de sept stations « abandonnées » et non gardées. Nous parcourons près de 28 km pour arriver à la station « Zaouia Tahtania », dernier hameau de l’oasis de Taghit, qui remonte à plus de 40.000 ans avant Jésus-Christ. Selon un sapeur-pompier, qui nous servait de guide, ces gravures représentent la vie quotidienne de l’Homme ancien. On a pu voir des dessins représentant des vaches, des chèvres gravés sur de grosses pierres. Les écritures sont en tifinagh (langue berbère). Malheureusement, les gravures sont saccagées. On peut clairement lire les noms et les villes des visiteurs transcrits à la peinture, à la craie et parfois même gravés. « La station se trouve dans un endroit isolé et non sécurisé. Certains touristes ignorent qu’il s’agit d’un patrimoine et non pas de simples pierres », a regretté Mouloud, un vendeur d’objets de souvenir. Son compagnon Sidou a relevé l’absence de guide. « Il y a des jeunes chômeurs dans la région qui peuvent servir de guide, pourquoi ne pas les recruter durant la saison touristique ou même comme gardien. Nous, les commerçants, nous gardons certes l’œil sur les gravures pour éviter les actes de vandalisme mais ce n’est pas suffisant. Certes, le lieu n’est pas sécurisé, mais on n’a jamais constaté d’agression ou vol », a-t-il tenu à préciser. Coup de foudre, les touristes promettent de revenir visiter la ville….