Syrie: Violents combats à Afrine et partie d’échecs entre Ankara et ses alliés occidentaux

Syrie: Violents combats à Afrine et partie d’échecs entre Ankara et ses alliés occidentaux

Par Kahina Terki

Les opérations menées par l’armée turque contre l’enclave kurde d’Afrine dans le nord de la Syrie se sont intensifiées hier. Cette intensification qui pourrait entraîner une escalade appelle pour l’instant deux questions importantes : la première concerne les capacités opérationnelles des forces turques à mener un assaut rapide contre le bastion des Unités de protection du peuple (YPG) qu’elle considère comme un repaire du PKK, une organisation considérée comme «terroriste» par Ankara et ses alliés occidentaux.

La seconde porte davantage sur l’attitude de ces mêmes occidentaux dont le discours oscille entre la compréhension des «intérêts» sécuritaires stratégiques de la Turquie et le souci d’épargner des combattants kurdes qu’ils considèrent comme des alliés de premier plan dans leur guerre contre Daech et ce n’est pas dit explicitement, mais pensé secrètement, comme des acteurs de poids en ce qui concerne la réflexion sur l’avenir de la Syrie et sur la séquence post-régime Bachar al-Assad.

En ce qui concerne la première question, on signale que de violents affrontements meurtriers pour les deux camps se sont déroulés hier mardi dans la région d’Afrine. Depuis samedi, les forces pro-Ankara, appuyées par l’aviation et l’artillerie turques qui pilonnent la région, ont repris deux villages de la région d’Afrine. Plus de 80 combattants des YPG et des groupes rebelles syriens pro-Ankara ont été tués, ainsi que 28 civils, la plupart dans des bombardements turcs, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). La Turquie, qui a enterré mardi son premier soldat tué dans les combats, a indiqué avoir perdu un deuxième militaire dans le cadre de cette opération. Mais le président turc, Reccep Tayyip Erdogan, se dit convaincu de la victoire.

«Grâce à Dieu, nous allons sortir victorieux de cette opération, ensemble avec notre peuple et l’Armée syrienne libre», a-t-il déclaré lors des funérailles du premier soldat tué depuis samedi, selon l’OSDH. Signe de l’âpreté des combats, selon les observateurs, les forces pro-Ankara avaient réussi, lundi, à prendre le contrôle de la colline stratégique de Barsaya, dans le nord de la région d’Afrine, avant de la perdre quelques heures plus tard. Des pick-up blancs surmontés de mitrailleuses gravissaient les routes de terre à flanc de colline, alors que le bruit des tirs retentissait sans discontinuer, selon un correspondant de l’AFP.

Face à l’offensive, les autorités du canton de Jaziré, l’un des trois territoires contrôlés par les YPG en Syrie (avec Afrine et Kobané), ont décrété mardi la «mobilisation générale» pour «défendre Afrine», selon un communiqué. «La résistance des Kurdes et les combats sont très violents sur trois fronts : nord-est, nord-ouest et sud-ouest d’Afrine», a indiqué le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane.

Washington : «éviter l’escalade» 

Pour ce qui est de la seconde question, elle traduit une situation aussi incertaine que celle du terrain militaire. «La violence à Afrine trouble ce qui était jusque-là une zone relativement stable de Syrie», a ainsi déclaré, mardi, le ministre américain de la Défense Jim Mattis, appelant comme d’autres responsables américains Ankara à «faire preuve de retenue dans ses opérations militaires comme dans sa rhétorique». «Nous sommes parfaitement conscients des préoccupations sécuritaires de la Turquie, notre alliée au sein de la Coalition et de l’Otan. Nous exhortons toutes les parties à éviter l’escalade et à se concentrer sur le combat contre l’EI (Daech ndlr), qui est une menace commune pour nous», a déclaré pour sa part le porte-parole du Pentagone Adrian Rankine-Galloway. «Cette opération se poursuivra jusqu’à ce que le dernier terroriste soit éliminé», a toutefois souligné le Premier ministre turc Binali Yildirim.

Tout se passe donc comme si Washington et les puissances occidentales qui soutiennent les YPG, se contentant pour l’instant d’un discours critique à l’ égard d’un Etat membre de l’Otan, semblent être à l’écoute de la Turquie et de ses options stratégiques. Mais YPG, accusés par Ankara d’être la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sont l’épine dorsale d’une alliance de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington dans la lutte contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI) en Syrie. Tout se passe également comme si l’on assiste à une partie d’échecs au cours de laquelle les intérêts des uns et des autres vont cesser de coïncider et l’on pourrait assister à ce moment-là à un nouveau scénario des guerres en Syrie.

Il est à rappeler que la Turquie a lancé son opération après l’annonce par la coalition internationale antijihadistes emmenée par les Etats-Unis de la création d’une force frontalière de 30.000 hommes dans le Nord syrien, avec notamment des combattants des YPG. L’Union européenne s’est dite «extrêmement inquiète» lundi, tandis que le Qatar, proche d’Ankara, a exprimé mardi son soutien à l’offensive. Il est à rappeler aussi que le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni lundi dernier pour discuter de l’escalade mais sans émettre de condamnation. Wait and see.