L’administration américaine aurait proposé à Moscou de négocier le départ du président syrien tout en conservant ses intérêts dans le pays.
Le conflit syrien vit-il un tournant ? Jadis fermement opposée à toute résolution condamnant le régime syrien, la Russie semble peu à peu lâcher du lest à propos de son indéfectible allié. Ainsi, pour la première fois depuis le début du conflit syrien, qui a fait 13 000 morts depuis 14 mois, Moscou a voté en faveur d’une résolution du Conseil de sécurité condamnant à l’unanimité le régime de Bachar el-Assad pour le massacre de Houla. Dans la nuit de vendredi à samedi, des tirs d’artillerie lourde, puis des offensives de miliciens alaouites dans cette ville sunnite ont fait 108 morts, dont 49 enfants, atteints par des éclats d’obus ou exécutés à bout portant.
Si, dans les faits, la condamnation onusienne n’implique aucune mesure coercitive, elle marque tout de même une unité retrouvée au sein de l’instance exécutive onusienne, un mois après le vote de deux premières résolutions sur l’envoi d’observateurs internationaux en Syrie. « En votant ces deux résolutions, Moscou s’est engagée dans un cycle de sanctions », explique au Point.fr Ignace Leverrier, ancien diplomate français. « Face à la réalité du terrain, à savoir la poursuite des violences par Damas, il lui sera difficile de s’opposer indéfiniment à d’autres résolutions plus contraignantes », explique le spécialiste de la Syrie.
Plan « à la yéménite »
Pendant que la diplomatie officielle suit son interminable cours à New York, une autre, beaucoup plus stratégique, commence à prendre forme en coulisse. D’après le New York Times, les États-Unis auraient proposé à la Russie un plan de sortie de crise impliquant le départ de Bachar el-Assad tout en conservant des cadres de son parti Baas au pouvoir. Ce projet « à la yéménite », en référence au plan négocié par l’Arabie saoudite qui a permis au président Ali Abdallah Saleh de quitter le pouvoir tout en gardant son vice-président à la tête du pays, aurait reçu une grande attention de la part de Moscou.
Selon le quotidien américain, le conseiller de Barack Obama, Thomas Donilon, s’est rendu en Russie il y a trois semaines pour en discuter avec le nouveau président Vladimir Poutine. Après un premier feu vert, le président américain aurait évoqué la question au sommet du G8 à Camp David avec le nouveau Premier ministre (et ancien président) russe Dmitri Medvedev, qui se serait montré pour le moins « réceptif ». « Lors de la réunion », raconte un haut fonctionnaire cité par le New York Times, « Medvedev a donné l’exemple de Hosni Moubarak qui s’est retrouvé dans une cage », lors de son procès. « C’est alors que Barack Obama a répliqué avec le Yémen. Medvedev a alors répondu que, oui, c’était quelque chose dont ils pourraient parler », révèle le haut responsable.
L’influence de Moscou menacée
Après ces premiers signaux positifs, Barack Obama pourrait évoquer directement le plan avec Vladmir Poutine, à l’occasion de leur rencontre bilatérale, le mois prochain. Un revirement russe sur la crise syrienne serait d’autant plus étonnant que la Syrie de Bachar el-Assad représente pour Moscou son dernier point d’ancrage au Moyen-Orient en abritant la base militaire russe de Tartous. Moscou trouve également en Damas un partenaire solide en matière de vente d’armes. En janvier, la Russie a affrété à destination de la Syrie un navire-cargo avec à son bord de 35 à 60 tonnes de munitions. En outre, Moscou a vendu à son allié 36 avions de chasse russes Yak 130, pour un montant total de 550 millions de dollars. Ils viennent s’ajouter aux 529 millions d’euros de contrats d’armement conclus entre les deux pays en 2010.
Pour convaincre la diplomatie russe, l’administration Obama aurait garanti, en contrepartie du soutien de la Russie à son plan, le maintien de ses liens étroits avec la Syrie sans Bachar el-Assad. « Nous reconnaissons que la Russie souhaite continuer à bénéficier d’une influence en Syrie », explique un haut responsable américain au New York Times. « Notre intérêt est de stabiliser la situation, pas d’éliminer l’influence russe. » Des déclarations qui laissent sceptique le chercheur Philippe Migault, spécialiste de la Russie à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). « Le rôle des États-Unis a toujours été de diminuer au maximum l’influence de Moscou au Moyen-Orient », rappelle-t-il au Point.fr.
D’après le chercheur, le plan américain n’a que très peu de chances de voir le jour. « Déjà disqualifiés vis-à-vis de leur population, les cadres alaouites auraient le plus grand mal à rester au pouvoir », explique-t-il. « Ce n’est pas le cas des fondamentalistes sunnites proaméricains du Conseil national syrien [principal organe de l’opposition, NDLR], qui n’hésiteraient pas à s’y engouffrer. » L’axe chiite Damas-Téhéran, sur lequel Moscou fonde sa politique moyen-orientale, pourrait ne pas s’en relever. Que penser alors du récent fléchissement de Moscou à l’ONU, au sujet du massacre de Houla ? « Ces déclarations n’engagent à rien », insiste Philippe Migault. « La Russie joue clairement la montre en tablant sur un pourrissement de la situation en faveur de Bachar el-Assad. D’autant plus qu’elle ne possède aucun instrument de pression si elle voulait le faire partir. »