Syrie / Dans les fiefs rebelles reconquis par Damas : L’aide peine à arriver

Syrie / Dans les fiefs rebelles reconquis par Damas : L’aide peine à arriver

Des dizaines de milliers de Syriens des régions reconquises par le régime au cours de l’année écoulée sont désormais en manque d’aide humanitaire: organisations et associations qui venaient à leur rescousse ne peuvent plus accéder à leurs secteurs.

Villes et localités rebelles tombées sous la coupe du pouvoir de Bachar al-Assad ont vu s’interrompre cette aide précieuse provenant d’ONG qui ne sont pas autorisées à travailler dans les territoires gouvernementaux. Les civils les plus vulnérables ont été privés de livraisons de nourriture et de médicaments, mais aussi de services de base dont ils dépendaient au quotidien. Quant aux employés locaux de ces organisations, ils ont parfois été poussés à la fuite ou à la clandestinité. C’est notamment le cas dans la Ghouta orientale, aux portes de la capitale Damas, mais aussi dans les territoires insurgés de la province centrale de Homs ou du sud syrien, des fiefs de l’opposition repris en 2018 par le régime. «Au total, des dizaines de milliers de personnes sont touchées par l’arrêt de (cette) aide humanitaire», déplore une porte-parole de l’ONG Care International, Joelle Bassoul. Après les reconquêtes de Damas, les partenaires locaux de Care «ont cessé leurs opérations», «leurs équipes craignant les arrestations», explique Mme Bassoul. Dès le début du conflit syrien en 2011, l’aide humanitaire s’est politisée et deux processus distincts sont apparus. Le premier, dépendant de Damas, fait que l’ONU et les organisations humanitaires installées dans la capitale ne peuvent intervenir qu’avec l’autorisation du gouvernement. Mais pour échapper aux restrictions du régime et travailler plus librement dans les zones rebelles, l’immense majorité des organisations humanitaires internationales ne sont pas enregistrées auprès de Damas.

«Pénuries»

A présent, ce mode opératoire pose problème: le pouvoir d’Assad contrôle près des deux-tiers de la Syrie, après avoir multiplié les victoires face aux rebelles. «L’aide qui venait des agences internationales dans le sud s’est complètement arrêtée», confirme Mohammad al-Zoabi, originaire de la localité d’Al-Mseifra. «Il y a des pénuries de farine et de fournitures médicales», poursuit cet homme de 29 ans, en rapportant la fermeture de certaines cliniques et hôpitaux de campagne. Pour fournir des aides aux territoires rebelles, des opérations transfrontalières sont aussi menées depuis les pays voisins –Jordanie et Turquie principalement. En juin, 66 camions chargés d’aides sont entrés dans le sud syrien depuis la Jordanie, selon l’ONU. Un mois plus tard, quand la zone est passée sous contrôle du régime, aucune aide n’a pu être acheminée depuis la frontière. Plusieurs organisations internationales, à l’instar de l’International Rescue Committee (IRC), Mercy Corps ou Save the Children, ont confirmé la cessation de leurs activités après la reconquête des secteurs rebelles. L’»IRC n’est pas autorisé à travailler dans les zones gouvernementales de Syrie», explique Lorraine Bramwell, sa responsable pour la Syrie. Les enjeux sont pourtant de taille. Mme Bramwell rappelle qu’en 2017, son organisation fournissait une aide à plus de 300.000 personnes dans le sud syrien. L’ONG intervenait aussi auprès de six cliniques dans la Ghouta orientale, reconquise en avril par le régime au terme de deux mois d’une offensive qui a fait plus de 1.700 morts.

«Accès restreint»

A présent, les civils originaires des secteurs passés sous contrôle du régime ont accès aux hôpitaux gouvernementaux.

Ces régions reçoivent aussi des convois d’aides affrétés par le Croissant-Rouge syrien, souvent en partenariat avec l’ONU. Mais, selon des habitants contactés par l’AFP, ces infrastructures gouvernementales sont souvent plus difficiles d’accès, et l’assistance du Croissant-Rouge moins large que celle prodiguées ces dernières années par les ONG internationales.

D’autres disent leur réticence à solliciter des services gouvernementaux, par crainte de représailles après des années sous contrôle rebelle. «Dans les zones qui ont connu des changements de pouvoir, l’accès continue d’être restreint», déplorait en août l’ONU dans un rapport. «Cela empêche d’apporter en temps voulu une réponse aux besoins humanitaires, qui pour la plupart restent très graves», poursuivait ce rapport.

Dans la province de Homs, des habitants de l’ex-localité rebelle de Talbissé, reconquise en mai par le régime, évoquent eux aussi des pénuries de médicaments et de nourriture. Quand les produits sont disponibles, ils sont hors de prix. «Il y avait un hôpital fonctionnel et trois centres médicaux avant l’arrivée du régime.

Tout a fermé, car maintenant ils doivent être enregistrés auprès des ministères», confie à l’AFP Sami, 20 ans.

Les ONG peuvent encore oeuvrer relativement librement à Idleb, ultime grand bastion insurgé de Syrie, dans le nord-ouest. Mais, pour intervenir ailleurs en Syrie, il semble que les ONG internationales n’ont plus d’autres choix que de s’accréditer auprès du régime. «Sera-t-il possible d’avoir un meilleur accès dans les mois à venir, maintenant qu’aucune menace existentielle ne pèse sur le gouvernement, et que la guerre est quasiment gagnée?» s’interroge Arnaud Quemin, directeur de Mercy Corps pour la Syrie.