Syrie : Après huit années de guerre, un pays perdu et victoire à la Pyrrhus du régime de Damas

Syrie : Après huit années de guerre, un pays perdu et victoire à la Pyrrhus du régime de Damas

Anis Remane

Il y a huit ans, la guerre éclatait en Syrie. Depuis, le conflit a pris une ampleur inimaginable et a vu la multiplication d’acteurs locaux et internationaux qui s’affrontent dans un pays à l’avenir plus qu’incertain en dépit du maintien du régime de Damas et de ses victoires sur les groupes armés rebelles qu’il soit d’inspiration islamiste ou pas. Symbole du triomphe de Bachar  El-Assad, la statue de son père Hafez El-Assad a été réinstallée à Deraa, ville d’où sont parties les premières manifestations hostiles, à la place où elle avait été démolie en mars 2011. Un geste certes très mal vu par  la population sortie dimanche dernier crier sa colère scandant « la Syrie est à nous et non pas à la maison des Assad » mais qui n’indique pas moins que la famille régnante dans le pays n’est plus dans la situation difficile dans laquelle elle se trouvait il y a cinq ou six ans.

La reprise de Deraa en juillet 2018 par les forces de Bachar El-Assad n’a pas été qu’un coup dur porté à l’insurrection, elle a marqué un tournant dans l’histoire du conflit et ouvert une nouvelle page remplie d’incertitudes quant à l’avenir du pays. Toute perspective envisagée pour la Syrie ne peut faire l’impasse, en effet, sur le morcèlement et les ravages humains et économiques que son territoire a subi en huit ans de guerre qui ont fait plus de 360.000 morts, mis sur la route de l’exil plus de 13 millions de déplacés, et généré des destructions estimées à 400 milliards de dollars. Pour le régime de Damas, qui a enregistré de sérieuses victoires militaires sur les groupes rebelles et djihadistes grâce au soutien russe et iranien, le défi de la reconstruction est d’autant plus immense à relever qu’un tiers du territoire syrien échappe encore à son contrôle.

Conséquence de ces victoires, la situation économique calamiteuse a toutefois pris le dessus sur les craintes sécuritaires, selon les observateurs. Chômage massif, effondrement du service public, coupures de courant, pénuries de gaz domestique, la grande majorité des Syriens vivent à ce jour sous le seuil de la pauvreté, selon l’ONU.  Les combats ont nettement baissé en intensité et le « califat » du groupe Etat islamique (EI) est sur le point de s’effondrer, mais le conflit est toutefois devenu « plus complexe », en raison de la présence de « puissants acteurs étrangers qui contrôlent de vastes zones (…) et risquent de ne pas quitter la Syrie de sitôt », souligne pou l’AFP Nicolas Heras, chercheur du Center for New American Security. Le paysage actuel est celui « de la division et du désespoir », explique pour l’agence de presse Joshua Landis, spécialiste du conflit syrien. Plus d’un tiers du pays « est occupé par des Etats étrangers qui ont bâti et financé des milices locales », indique-t-il.

Un territoire  sous influences

Par ailleurs, plusieurs régions restent dans le viseur de Damas, dont celles contrôlées par les Kurdes, jusque-là soutenus par Washington, dans le nord et le nord-est du pays. Contrôlée par Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), groupe dominé par l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, la province d’Idleb (nord-ouest) est, elle, « protégée » par un accord russo-turc ayant empêché une offensive du régime Assad.

La Turquie maintient pour sa part des postes de contrôle et des patrouilles dans cette région ainsi qu’une présence dans plusieurs villes frontalières.  De son côté, Washington s’est résolu à garder 200 militaires sur le territoire syrien, après avoir d’abord annoncé le retrait de ses 2.000 soldats.

Cette volte-face est perçue comme une volonté des Etats-Unis de garder un pied –et un pouvoir d’influence, même a minima– dans le pays. Dans ce champ de bataille géopolitique, les intérêts des protagonistes divergent fortement.

Ankara, hostile au projet d’autonomie kurde, « veut imposer une “Pax Ottomana” dans le nord et l’est de la Syrie », selon M. Heras. « La Russie veut stabiliser Assad»pour élargir son influence au Moyen-Orient, au détriment de Washington notamment, tandis que l’Iran cherche à utiliser le territoire syrien dans son combat à distance contre Israël, lequel a multiplié ces derniers mois les raids aériens en Syrie. Autre obstacle de taille pour Damas, la « guerre économique », évoquée dimanche par le président syrien alors que le régime est incapable à ce jour de faire face au chantier de la relance.

La guerre a entrainé des destructions massives d’infrastructures et a réduit à néant plusieurs secteurs lucratifs, dont celui du pétrole. Le régime de Bachar El-Assad « a besoin de l’eau et du blé » de l’est syrien alors que Washington « a pour politique de le priver de ses ressources » afin de voir « s’effondrer » l’économie, relève encore Nicolas Heras. Selon Joshua Landis, « les États-Unis imposent à la Syrie l’un des régimes de sanctions les plus stricts ce qui aggravera la misère » sociale. Face au défi de la reconstruction, les puissances étrangères ont, elles, pour ambition première de rentabiliser des années d’un soutien militaire des plus coûteux.

Moscou et Téhéran ont d’ores et déjà signé des accords bilatéraux avec les autorités syriennes et conclu des contrats à long terme dans divers secteurs, notamment l’énergie, le bâtiment, l’agriculture et le pétrole. Dans cette perspective, le président russe Vladimir Poutine a appelé les Européens à contribuer financièrement au processus de reconstruction alors que son pays s’active auprès des organisations internationales et des riches monarchies du Golfe pour en assurer les fonds nécessaires.

Cet appel ne semble pas trouver d’écho dans les capitales occidentales ayant soutenu la rébellion contre Bachar El-Assad, tout du moins en l’absence d’un règlement politique équitable. D’autres pays, qui appelaient également au départ de M. Assad, font en revanche preuve de pragmatisme face à la nouvelle donne politico-militaire. Les Emirats arabes unis et Bahreïn ont ainsi décidé fin 2018 de rouvrir leurs ambassades à Damas. Mais l’aboutissement d’une solution politique parait d’autant plus complexe que l’opposition n’a jamais été aussi mutique, éclatée et subordonnée depuis 2011.

Chronologie d’une guerre effroyable

Révolte  et répression

Le 6 mars 2011, en plein Printemps arabe, une quinzaine d’adolescents sont arrêtés et torturés pour avoir peint des graffitis antirégime à Deraa (sud), considéré ainsi comme le berceau de la révolte. Le 15 mars, des dizaines de personnes manifestent aux cris de « liberté » à Damas, centre du pouvoir dans un pays gouverné d’une main de fer depuis 1971 par la famille Assad, Bachar Al-Assad ayant succédé en 2000 à son père Hafez. Les manifestations, qui s’étendent à d’autres villes, sont réprimées par le régime. En juillet, un colonel réfugié en Turquie crée l’Armée syrienne libre (ASL), composée de civils ayant pris les armes et de déserteurs de l’armée. Le mouvement d’opposition va se transformer en rébellion armée, soutenue par les Occidentaux ou des pays arabes. Les rebelles vont conquérir d’importants bastions, notamment des secteurs de la ville de Homs (centre), ou des quartiers d’Alep, deuxième ville du pays (nord).

L’aviation, atout  du régime

En mars 2012, l’armée prend le fief de la rébellion à Homs. D’autres opérations sanglantes avaient été menées, notamment à Hama (centre), après d’immenses manifestations antirégime. En juillet, des rebelles lancent la bataille de Damas. Le gouvernement garde le contrôle de la capitale, mais des zones de sa banlieue passent aux mains des insurgés. A partir de 2013, des hélicoptères et des avions du régime larguent bombes et barils d’explosifs sur les secteurs rebelles.

Hezbollah, Iran

En avril 2013, le puissant mouvement chiite libanais Hezbollah reconnaît son engagement au côté d’Assad,. L’Iran chiite va soutenir financièrement et militairement le régime en envoyant des « conseillers militaires » et des « volontaires » iraniens, afghans et pakistanais.

DJihadistes

En juin 2014, le groupe ultra-radical Etat islamique (EI) proclame un « califat » sur les territoires conquis en Syrie, où Raqa (nord) est son principal fief, et en Irak voisin. En septembre, une coalition internationale dirigée par Washington lance, après l’Irak, ses premières frappes contre l’EI en Syrie. En octobre 2017, les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes et soutenues par la coalition, s’emparent de Raqa après des mois de combats. L’EI perd progressivement ses territoires. Ses combattants restent éparpillés à travers le désert du centre du pays. Dès 2013, d’autres djihadistes avaient renforcé leur assise dans le nord-ouest. La province d’Idleb est actuellement sous le contrôle de Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), dominé par l’ex-branche d’Al-Qaïda.

Poutine au secours d’Assad

Le 30 septembre 2015, la Russie entame une campagne de frappes aériennes en soutien aux troupes du régime, en grande difficulté. L’intervention militaire de Moscou est un tournant qui va permettre de remettre en selle le régime. La rébellion va subir revers après revers, et sera chassée d’Alep en décembre 2016. En janvier 2017, Moscou et Téhéran parrainent avec Ankara, soutien des rebelles, des pourparlers de paix au Kazakhstan en vue de trouver une issue au conflit. Ce processus dit d’Astana va éclipser les négociations sous l’égide de l’ONU.

Engagement turc

Le 20 janvier 2018, la Turquie lance avec des rebelles syriens une offensive contre une milice kurde, les Unités de protection du peuple (YPG), épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS).Le 18 mars, les forces turques et leurs supplétifs syriens arrachent aux YPG Afrine.

La Ghouta meurtrie

Le 18 février, le régime lance une offensive d’ampleur sur l’enclave rebelle dans la Ghouta orientale (plus de 1 700 morts). A la faveur d’un intense pilonnage mais aussi d’accords d’évacuation parrainés par la Russie, le régime parvient à reprendre pied dans le dernier bastion des insurgés aux portes de Damas. Le 14 avril, l’armée annonce avoir repris l’enclave rebelle. Le même jour, des frappes sont menées par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni en représailles à une attaque chimique présumée imputée au régime contre des civils à Douma, dans la Ghouta.

Le régime, qui dément, a été accusé à plusieurs reprises de recourir à des armes chimiques. En avril 2017 déjà, des missiles de croisière avaient été tirés par des navires américains sur une base du régime dans le centre du pays, après une attaque meurtrière au gaz sarin.

Trump ordonne  un retrait

Le 19 décembre, le président américain Donald Trump ordonne le retrait des quelque 2.000 militaires américains stationnés en Syrie, estimant que l’objectif des Etats-Unis, vaincre l’EI, a été atteint. L’annonce fait polémique à Washington et suscite l’inquiétude des YPG, considérées comme « terroristes » par la Turquie qui menace de déclencher une nouvelle offensive contre cette milice.Quelques semaines plus tard, Washington annonce qu’il s’est finalement résolu à garder 200 militaires en Syrie.