Symboles du chômage qui touche Ouargla,La ville aux mille et un cafés…

Symboles du chômage qui touche Ouargla,La ville aux mille et un cafés…

«Depuis quatre ans je chauffe les chaises des cafés»

Entre un café et un café, il y a…un café. Tel est le premier constat dès que l’on débarque à Ouargla. Malgré leur grand nombre, il est difficile de trouver une place pour prendre un café. De 7 h du matin, jusqu’à 21h, ils sont pleins à craquer. Les jeunes en sont leurs principaux «occupants».

Ce nombre élevé de cafés symbolise donc, à lui seul, la détresse de la jeunesse ouarglie. Entre manque de loisirs et chômage, le café reste le seul endroit où ils passent leur journée. Abdellah fait partie de ceux que le chômage a poussé à passer ses journées entre les quatre murs d’un café. «Ou au mieux dans sa terrasse», plaisante-t-il pour ironiser le drame qu’il vit au quotidien. Diplômé en pétrochimie à l’Institut national des hydrocarbures de Boumerdès (INH), ce jeune, qui est resté pendant cinq années à plus de 800 km de chez lui, est rentré au bercail il y a plus de quatre ans. Depuis, c’est le chômage! «Mon diplôme en poche, crédule comme je suis, j’ai pensé que le fait d’avoir fait de la pétrochimie me permettrait de trouver tout de suite du travail, plus près de chez moi puisque les plus grands gisements de pétrole du pays se trouvent chez nous, à Ouargla», raconte-t-il, les larmes aux yeux.

Pots-de-vin ou piston pour travailler

«Malheureusement, l’amère réalité m’a vite rattrapé. Depuis quatre ans je chauffe les chaises des cafés après avoir chauffé ceux de l’école», ajoute-t-il avec autant de désespoir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, Abdallah a frappé à toutes les portes…En vain! «J’ai déposé des CV partout. J’ai essayé Sonatrach, ses filiales et ses sous-traitants. J’ai tenté ma chance dans toutes les compagnies étrangères qui sont installées dans le pays. Je suis inscrit à l’Agence nationale de l’emploi (Anem). Mais, c’est partout la même réponse: «on vous rappellera», dit-il. Avant de dénoncer. «Pour trouver du travail, il faut être pistonné ou donner des pots-de-vin. ça marche comme ça ici. Moi je n’ai ni piston, ni argent pour donner de la «tchipa» (pots-de-vin, Ndlr), je reste au chômage. Alors que d’autres qui n’ont même pas le niveau requis et qui viennent d’autres régions, sont recrutés…». Alors, Abdallah se contente de petits boulots par-ci par-là. «Mais même ces petits boulots, je ne trouve rien de régulier. Seuls les cafés le sont ici…», estime-t-il.

Mokhtar est un «collègue» de café d’Abdallah. Lui aussi est diplômé, mais ne trouve pas de travail. «Ce n’est pas la faute à la chance, mais aux autorités qui préfèrent donner nos emplois à leurs enfants et aux enfants de leurs amis qui n’ont aucun niveau. Ça marche comme ça à Sonatrach», dénonce Mokhtar qui souligne que même les cafés ne lui sont pas toujours accessibles. «Il m’arrive de ne pas avoir un centime en poche, je ne peux donc même pas me payer un café. A mon âge, je ne peux pas demander de l’argent à mes parents qui sont déjà dans la misère…», ajoute-t-il avant de nous demander si on trouvait normal qu’un jeune de 27 ans soit dans cette situation. «Normalement, à mon âge, je devrais avoir des rêves plein la tête, des ambitions, des projets, penser à me marier…Alors que là je ne trouve même pas de quoi me payer un café. Je n’ai donc aucune raison de vivre», rétorque-t-il.

«Plus rien à perdre…»

Tahar, 24 ans, estime pour sa part, qu’il est en train de mourir à petit feu. «Les jours passent et moi je me demande à quoi je sers dans ce monde. Un homme qui ne travaille pas est-il un homme? Moi je ne travaille pas et ce n’est pas faute d’essayer. Je suis prêt à faire n’importe quoi pourvu que je travaille. J’en ai marre de cette vie», dit-il en avouant au passage qu’il pensait des fois au suicide ou pire… dit-il sans ambages, ce qui démontre la détresse de ce jeune. Détresse, désespoir, dépression sont également présents chez Salah, qui lui, n’a pas fait d’études supérieures, mais espère au moins un travail d’agent de nettoyage ou d’agent de sécurité. Rien! «Chakib Khelil kla edzayar ou hna li el pétrole idji men ardna massahatelnache même pas khedma! Chebab bladi…(Chakib Khelil a dépouillé l’Algérie et nous on n’a même pas eu droit à un petit travail! Il est beau mon pays)», lance-t-il avec regret. Il n’arrive pas à comprendre pourquoi le Sud est autant marginalisé par les autorités alors que c’est dans ses entrailles que se trouve l’or noir qui fait vivre tout le pays. Abdallah, Mokhtar, Tahar et Salah ne sont pas les seuls à passer leurs journées attablés dans les cafés de Ouargla à attendre un miracle appelé travail. Ils sont des milliers dans le même cas.

Un mal plus profond que le chômage…

Toutefois, le chômage n’est pas la seule raison qui révolte ces jeunes de Ouargla. Le mal est beaucoup plus profond. Comme le résume si bien Omar, un jeune chauffeur de taxi. «Restez une journée à Ouargla, à la fin de la journée, vous aurez envie de vous suicider.» Omar n’a pas tort. Il n’a rien à faire dans cette ville où on s’ennuie à mourir. Comme dans toute l’Algérie, les loisirs font défaut, mais un peu plus à Ouargla où il n’y a vraiment rien à faire. «Mis à part les cafés, la seule chose qu’on peut faire, c’est de plonger dans le sable à défaut de le manger», plaisante ce chauffeur de taxi, illustrant parfaitement la situation. Omar, qui a beaucoup voyagé dans le pays et qui sait que les loisirs font défaut dans pratiquement toute l’Algérie, soutient que Ouargla est la ville la plus ennuyante d’Algérie, elle qui est la plus riche. «Paradoxal mais vrai! Au moins dans les autres villes du pays on les fait taire avec l’opium du peuple qu’est le football. Chez nous, même le football n’existe plus», atteste-t-il. «Le Chabab Riadhi Béni Thour qui a remporté la Coupe d’Algérie en 2000 n’a reçu aucun soutien des autorités. Il était parvenu à accéder en deuxième division, maintenant à cause des problèmes financiers, il se retrouve à jouer dans les petites divisions (5eme division Ligue de Ouargla, Ndlr). Vous trouvez normal que Sonatrach et Naftal sponsorisent le Mouloudia d’Alger et le MC Oran, alors qu’un club de Ouargla, la ville du pétrole, ne soit pas aidé par ces compagnies pétrolières», se révolte-t-il. «Cela peut paraître comme un petit détail, mais ça me révolte car ça témoigne à lui seul du mépris qu’ont pour nous les autorités de notre chère patrie», réplique-t-il avec autant de colère. «Cela sans parler des autres sports qui sont pratiquement inexistants chez nous», ajoute- t-il. «Nos enfants ne peuvent ainsi même pas aller au stade pour supporter une bonne équipe ou pour faire du sport», certifie-t-il avec désolation.

Une ville riche…mais ennuyante!

Sortir décompresser seul, en famille ou avec ses amis, c’est mission impossible à Ouargla. «Il y a un promoteur privé qui avait ouvert un parc de loisirs à l’entrée de la ville où des manèges faisaient le bonheur des petits et des grands. Mais il a vite fait faillite car l’Etat n’a rien fait pour l’aider», témoigne Khemisti Mohamed Sayeh, journaliste à la radio locale et militant des droits de l’homme. «Il avait rempli le vide laissé par l’Etat en matière de loisirs mais on ne l’a pas aidé, alors il a mis la clé sous le paillasson après quelques mois d’activité. Un beau parc comme celui-là est fermé, il est en train de tomber en ruine alors qu’il avait réussi à faire oublier aux Ouarglis, quelque peu, les difficultés de la vie. C’est désolant», s’indigne Si Khemisti.

«Au mois de mars c’est l’ennui, je vous laisse imaginer ce que c’est en plein été quand il fait plus de 45° à l’ombre, quand les journées n’en finissent pas, quand il n y a pas de plage et quand il y a un manque de piscines municipales et de loisirs», indique, de son côté Mohamed, père de famille et propriétaire d’un café. En parlant de café, ceux virtuels, à savoir les cybercafés étonnamment, ne sont pas nombreux dans la ville, alors qu’ils pourraient servir de passe-temps. «On n’est pas nombreux et la connexion est loin d’être satisfaisante. On est encore à l’âge de pierre», révèle un gérant de cybercafé qui soutient que le faible débit décourage les plus téméraires. «C’est plus un dépit qu’un débit. Essayer de se connecter dans un cybercafé est plus un cauchemar qu’un loisir», fait-il savoir avec regret. Voilà donc le drame que vit au quotidien la jeunesse d’une ville, qui marche sur le pétrole! Désolant pour un pays qui grâce à ce pétrole dort sur 200 milliards de dollars de réserves de change et prête de l’argent au FMI. C’est cela, le pays de tous les paradoxes…