Sur la ligne Bab Ezzouar-Ruisseau Un tramway, des scènes et des siennes

Sur la ligne Bab Ezzouar-Ruisseau Un tramway, des scènes et des siennes

La scène se passe sur la ligne Bab Ezzouar-Ruisseau. Sur le quai, le compte à rebours a commencé ; il ne restait que deux petites minutes pour l’arrivée du tramway. Et c’est à la seconde près que celui-ci pointe du « nez ».

Une leçon de ponctualité qui n’est pas passée inaperçue. « On gagnerait à prendre l’exemple d’une telle organisation », murmure une jeune dame. Malheureusement, la réalité est tout autre. Les vieux réflexes ont la peau dure, et la technologie à elle seule ne peut inculquer le sens du civisme et de la discipline à ces dizaines de voyageurs agglutinés de part et d’autre de la station.

On se bouscule comme dans un bus, alors qu’on doit d’abord céder le passage à ceux qui s’apprêtent à descendre. La plupart sont des « clandos » et rares sont ceux qui paient leur ticket. « Ce sont tous des harrag », lance une vieille dame, ticket en main. « Même si j’achète mon ticket, comment vais-je le faire poinçonner, sachant que les appareils placés à cet effet ont tous été endommagés par des voyous du quartier », enchaîne un jeune père de famille accompagné de ses deux enfants. Au niveau de la station Rabia Tahar, à Bab Ezzouar, deux contrôleurs font leur irruption.

Parmi les voyageurs indélicats, on marmonne quelques mots, sans doute pour désapprouver la désagréable surprise. Un pétard mouillé, puisque les deux « visiteurs », au lieu de pénaliser « les sans ticket », n’ont d’autre choix que de leur faire payer le trajet. Cela, au moment où d’autres, de crainte de débourser les 50 DA, essaient de s’engouffrer au maximum à l’intérieur du tram, en attentant la prochaine station.

Une façon, à la fois d’échapper au contrôle et surtout à remonter dans la prochaine rame, sans payer le moindre sou. Même les mendiants y trouvent leur « compte ». On se croirait à la gare du 2-Mai où les mendiants écument les bus. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce à l’intérieur des principales agglomérations, chaque station est annoncée ; on exhorte même les voyageurs de s’éloigner des portes.Mais connaissant nos concitoyens, à l’annonce d’une nouvelle station, les commentaires fusent : comme par exemple : « pourquoi, la station pont d’El Harrach, au lieu de Oued El Harrach » ou bien « quelle relation entre La Glacière et Hawaa El Djamil », tonne un septuagénaire.

D’autres s’étonnent également de la relation entre « Mandarines » et « Tamaris ». Les commentaires ne manquent pas, puisqu’un citoyen trouve anormal que l’on suspende l’annonce des stations, alors que le tramway est doté de cette prouesse technologique.

« C’est typiquement algérien. Comment voulez-vous que quelqu’un qui n’a jamais pris le tramway, ou qui n’a jamais mis les pieds à Alger, puisse savoir à quel endroit il est ? », s’interroge un jeune étudiant.D’autres ne manquent pas d’imagination : au moment où l’on parle de l’amitié entre l’Algérie et la France, ne doit-on pas joindre l’utile à l’agréable en engageant un guide touristique qui puisse à chaque station de tramway expliquer aux voyageurs, la symbolique de certaines stations.

Il citera, par exemple, celles des « Fusillés », Tripoli, Mokhtar Zerhouni… « Rien ne nous empêche dans un moyen de transport fabriqué par les Français, d’évoquer le passé colonial, c’est à partir de là que commence la vraie amitié », conclut un ancien militant de l’ex-zone autonome d’Alger au moment où le haut-parleur annonce la dernière station : Ruisseau.

Arezki Louni