Suite au cycle infernal des émeutes, La police traumatisée

Suite au cycle infernal des émeutes, La police traumatisée

De nombreuses infrastructures de la DGSN sont en panne de réalisation à l’échelle nationale faute d’assiettes de terrain disponibles mais surtout et avant tout répondant aux critères de sécurité de la police.

Un corps traumatisé par les milliers d’émeutes qui ont secoué le pays ces dernières années. Taboue, la peur de la population se cache dans les bureaux des Directions de l’administration locale, les DAL, qui ne savent plus où implanter la police républicaine…

Personne n’en a parlé, pas même ces derniers jours à l’occasion de la Fête nationale de la police. C’est que le malaise est forcément tabou puisant ses origines hors du corps de sécurité qui doit, depuis la décennie noire, à l’image d’autres corps mobilisés, assumer les conséquences d’une mauvaise gouvernance, à l’échelle locale ou nationale.

Son implication dans le rétablissement de l’ordre lors de grandes tensions populaires, la police le paie cher. Elle est devenue le bouc émissaire de la colère des uns et des autres quand la cause des émeutes innombrables vient, la plupart du temps, de l’administration.

LA POLICE, LE MÉDIATEUR BOUC ÉMISSAIRE

Les BRQ, bulletins de renseignements quotidiens plus exactement, que nos institutions s’échangent comme banque de données, ont recensé ces dernières années des milliers de mouvements de rue, de manifestations et émeutes à travers le territoire national.

Quand les Casques bleus n’interviennent pas manu militari, ils sont affectés sur les lieux pour parer au pire, assurer la sécurité des citoyens et protéger les immeubles et biens publics, objets parfois d’agression et de vandalisme.

Les flics arrivent souvent les premiers, avant les autorités locales qui se dérobent et n’osent pas affronter les protestataires excités, comme lors de l’affichage de la liste d’attribution des logements, les coupures de courant incessantes ou la pénurie d’eau en période de chaleurs caniculaires… Ainsi, les observateurs peuvent assister de façon récurrente à des pourparlers entre un officier supérieur de la police, le commissaire de l’arrondissement par exemple et les manifestants.

L’homme en uniforme faisant montre d’un courage exemplaire pour s’approcher, seul et sans arme, des jeunes en furie afin de leur parler et leur promettre ses bons offices de médiateur auprès du wali et du P/APC.

En fin psy de terrain, à l’écoute des discours de ras-le bol des administrés, le policier devient tout à coup l’avocat du pauvre face à des responsables qu’il doit protéger impérativement mais dont il connaît manifestement le déficit de compétences ou la gestion chaotique, le népotisme, la corruption et autres travers qui ne peuvent échapper aux services des renseignements généraux. Des RG qui saturent sous les multiples rapports alertant en vain le pouvoir central à propos des émeutes imminentes.

Les scènes de hauts gradés de la police s’ingéniant à souffler aux élus des réponses politiques urgentes, lors de la tenue de cellules de crise, témoignent de la faillite de notre démocratie où c’est celui qui fait directement face à la révolte qui se voit contraint de gérer les esprits lors de graves troubles sociaux.

PEUR DES BALCONS, PEUR DES ÉMEUTES

Au point où des citoyens peuvent finir par accuser le «sympathique commissaire divisionnaire » d’hier de ne pas avoir tenu sa parole lorsque le wali ou le P/APC, profitant du calme revenu, s’entête dans ses décisions impopulaires ou injustes.

Des politiques le reconnaissent : «Sans la police et ses négociations parallèles, nombre d’émeutes auraient dégénéré sinon empiré.» Une police qui dépasse tous les jours sa mission de maintien de l’ordre et de prévention du crime.

Ajoutées à ce rôle délicat de médiateurs officieux, les bavures, les erreurs et les actes individuels ou collectifs répréhensibles de policiers, compliquant la relation entre la police (qui se déclare résolument républicaine et au service du citoyen) et les populations de plus en plus radicales dans leur mode de revendications.

Du coup, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les choix de terrain pour l’implantation des sûretés urbaines, de casernes de la BMPJ, des URS, de célibatoriums et autres infrastructures relevant de la DGSN s’apparentent à un casse-tête chinois. Moult projets sont en souffrance, l’enveloppe budgétaire bloquée en attendant qu’une poche de terrain fasse enfin consensus au sein de la commission pour l’édification d’une bâtisse au profit de la police.

Quand ce n’est pas un chef de daïra qui fait du zèle en considérant que le commissariat est trop proche des balcons des citoyens, c’est un responsable chargé de la sécurité qui mentionne que «le bâtiment sera à la portée des cocktails Molotov et autres projectiles en cas de soulèvement…»

On compterait ainsi par dizaines les dossiers gelés depuis des années au niveau des DAL, les directions de l’administration locale chargées du lancement et du suivi des chantiers de la police.

«On ne peut envisager d’isoler complètement les policiers des citoyens qu’ils doivent protéger», fait remarquer un technicien dans une wilaya de l’est du pays.

LA FAUTE AUX POLITIQUES…

A ce sujet, la police n’a certainement pas grand-chose à dire. «La police ne peut tout de même pas assumer la honteuse crainte de la population qu’elle s’efforce de servir au mieux», fulmine un agent de l’ordre public qui requiert l’anonymat. Et, en guise de clin d’oeil à notre usage abusif de la langue française pendant notre entretien clandestin, notre interlocuteur nous rappelle l’actualité de Trappes en France ces derniers jours, où un commissariat a subi l’assaut de citoyens en colère eux aussi.

Une comparaison très pertinente à condition qu’on apprécie dans le même mouvement les réactions des politiques au secours de la police française, quand ici, en Algérie, les flics ne peuvent compter que sur leur savoir-faire pour se réconcilier avec des citoyens exaspérés.

En attendant, les projets de développement des infrastructures de la police resteront en suspens tant que les policiers eux-mêmes appréhenderont, chaque matin, l’éclatement d’une émeute ou d’échauffourées à leurs portes.

Tandis que la lutte antiterroriste n’est pas complètement achevée, la police se serait bien passée de ce potentiel agresseur, le citoyen, qui l’a accompagné dans sa victoire sur la pègre des maquis. A quand un mea culpa des dirigeants politiques pour un retour des policiers à leur vocation première ?

Nordine Mzalla