Stratège militaire et homme d’Etat d’envergure

Stratège militaire et homme d’Etat d’envergure
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Le défunt président Houari Boumediene était imprégné des principes de liberté, de patriotisme et de justice ont souligné les intervenants lors de la conférence organisée hier, à Alger à l’occasion du 32e anniversaire de sa mort. Intervenant lors de cette conférence organisée par l’Association « Mechaal Echahid » au siége du quotidien El Moudjahid, M. Abderrezak Bouhara, moudjahid et officier de l’ALN, a affirmé que le défunt président, qui était imprégné des principes de liberté, de patriotisme et de justice, avait créé les villages socialistes, après son accession au pouvoir, dans l’objectif « de préserver la dignité du fellah ».

Evoquant le rôle du président Boumediene lors de la guerre de libération, l’intervenant a indiqué qu’il « avait réussi à organiser les unités de l’ALN sur les frontières mais l’acheminement des armes avait échoué » pour de multiples raisons dont les méthodes utilisées par l’ennemi. M. Bouhara a ajouté que l’Armée était pour le président Boumediene « un instrument pour réaliser les objectifs de la révolution après l’indépendance du pays ». De son coté, le colonel Mohammed Ramdhani, ancien cadre de l’ANP, a souligné que Boumediène  » était un stratège », rappelant dans ce contexte, son appel adressé, à l’Assemblée générale de l’ONU dans les années 1970, aux Etats occidentaux pour aider les pays en voie de développement en vue d’éviter l’émigration des jeunes de ces pays pauvres en quête d’une vie meilleure. Evoquant les qualités du président défunt, M. Ramdhani a précisé qu’il  » était rigoureux » dans l’application des lois lorsqu’il était à la tête du tribunal militaire de la révolution. Il a également apporté des modifications au système de la révolution par la création d’écoles militaires à travers les différentes wilayas du pays et le perfectionnement des capacités des officiers de l’armée notamment à travers l’instruction continue, a-t-il ajouté. Dans le même contexte, l’intervenant a indiqué que Boumediène était « un homme ingénieux » et discret » .

A l’initiative de l’Association Machaâl Chahid, en coordination avec El Moudjahid, a eu lieu, hier, au centre de presse de notre publication, une rencontre commémorative à la mémoire du défunt Président de la République, Houari Boumediène. Ce fut l’occasion en ce 32e anniversaire de sa disparition, d’évoquer le stratège militaire qu’il était durant la lutte de Libération nationale et l’édificateur qu’il a été dans la période post indépendance.

Pour évoquer la mémoire du disparu des personnalités qui sont intervenues, M. Abderrazak Bouhara, un très proche collaborateur du Président Boumediène durant la lutte de Libération nationale et la période post indépendance, le colonel Ramdani, autre collaborateur du Président Boumediène durant la guerre de Libération nationale, a exercé lui aussi des responsabilités après l’indépendance au sein de l’ANP en étant, notamment responsable de la formation à l’Académie militaire de Cherchell.

Un tournant incontestable

Les deux personnalités ont évoqué la mémoire du Président Boumediène en rappelant son parcours durant la lutte de Libération nationale en tant que haut responsable de l’ALN et notamment au début des années 60 avec la création de l’état-major général qui lui fut confié. Boumediène devait hériter de deux états-majors Est et Ouest désormais unifiés à partir de cette date sous son commandement.

La création de l’état-major général en 1960 marque ainsi un tournant incontestable avec la création d’une armée qui commençait à émerger. M. Ramdani a mis en exergue le travail inlassable de Boumediène durant la lutte de Libération nationale, aux postes qui étaient les siens pour unifier les rangs, et veiller à la formation des éléments qui évoluaient au sein de l’ALN

Un stratège

Boumediène a été un stratège, note l’orateur, alors que chef d’état-major, il lui fallait concevoir des scénarios pour alléger le fardeau porté par les wilayas, isolées avec l’installation des lignes Challe et Morice.

Des offensives multiples ont été alors menées pour fixer les corps expéditionnaires français et permettre aux wilayas de s’organiser. Boumediène a veillé à la bonne marche des unités, il a veillé à la formation des formateurs.

Il avait pris option pour une guerre totale contre l’ennemi. Boumediène est qualifié de leader, par l’orateur.

Une personnalité qui parlait peu mais écoutait beaucoup

Boumediène était une personnalité qui parlait peu mais écoutait beaucoup. Au lendemain de l’indépendance, en qualité de ministre de la Défense, il a contribué à constituer le ministère, il a poursuivi le travail de formation déjà entamé dans le cadre de l’état-major général en impliquant toutes les compétences à travers tout le territoire national.

A l’origine de l’organisation de l’ANP

L’orateur rappelle que Boumediène avait été à l’origine de l’organisation de l’ANP, qu’il a procédé à la mise en place de régions militaires, procédé à la création d’écoles militaires qui sont aujourd’hui un fleuron de l’appareil de formation nationale. Boumediène s’est de ce fait beaucoup impliqué dans la professionnalisation de l’ANP.

Intervenant à la suite du colonel Ramdani, M. Abderrazak Bouhara, a lui aussi insisté sur le parcours de Boumediène durant la guerre de Libération nationale, est sur le passage de l’ALN, en Armée nationale populaire au lendemain de l’Indépendance.

Les graves épreuves de l’administration coloniale

Sur la constitution de l’ALN, M. Abderrazak Bouhara relève que début 1956, le gouvernement colonial français était convaincu que la lutte de Libération nationale qui a été engagée par les forces nationalistes algériennes ne pouvait procéder pour l’armée coloniale que d’une opération de maintien de l’ordre à combattre avec les méthodes classiques. Ce fut une grave erreur, car la lutte de Libération nationale allait s’avérer très vite une révolution populaire engagée pour libérer le pays.

470 offensives en septembre 1955, 3.290 en mars 1956 menées par l’ALN

Selon des statistiques des services du corps expéditionnaire français citées par Abderrazak Bouhara pour le seul mois de septembre 55, soit à moins d’une année d’engagement de la lutte, 470 offensives ont été menées par l’ALN et en mars 56, ont été comptabilisées 3.290 opérations. L’orateur cite les Aurès comme zone de prédilection dans les opérations qui étaient engagées par l’ALN.

Des batailles à l’intérêt stratégique évident

M. Abderrazak Bouhara rappelle pour la circonstance l’importance stratégique de l’offensive du 20-Août 55 lancé dans le nord Constantinois.

C’était comme si telle une fusée, la Révolution armée libérait le deuxième étage de cette fusée pour donner une autre et grande dimension à l’événement et cela dans un temps très court depuis le déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre 1954.

M. Abderrazak Bouhara cite aussi comme autre fait d’armes, la bataille de Djorf qui a été menée de main de maître par l’ALN.

Une affaire parfaite à régler

A partir de tous ces faits, le gouvernement colonial français commençait à comprendre que ce qui se passait n’avait rien de facile à régler comme cela a été supposé quelques mois auparavant.

Le corps expéditionnaire français était réellement face à une guerre de Libération nationale à laquelle il lui fallait adapter ses stratégies et ses méthodes.

Le gouvernement français comprit en effet qu’il était confronté à une guerre totale menée par l’ALN et le peuple algérien dans son ensemble.

Le congrès de la Soummam : un événement capital

Abderrazak Bouhara en vient à évoquer dans son intervention le congrès de la Soummam en août 1956 et l’importance stratégique qu’un pareil événement eût pour la suite de la lutte de Libération nationale. Le caractère de mouvement insurrectionnel généralisé a imprimé à la lutte de Libération nationale nécessitait des stratégies appropriées adaptées à une lutte de longue durée. C’est dans ce cadre-là que s’étaient engagés les participants au congrès de la Soummam, dont les orientations tenaient compte du caractère éminemment populaire de la lutte qui était engagée.*

Fidélité à l’engagement populaire

Les résultats du congrès de la Soummam furent tous fidèles à cette orientation. Dans la série de batailles déjà citées, M. Abderrazak Bouhara y ajoute la bataille historique, dit-il, de Palestro. Face à cette offensive de l’ALN, le gouvernement colonial français visait l’étouffement de la lutte. De Gaulle et Challe ont opté pour une stratégie de fermeture des frontières en érigeant des barrages électrifiés. Ils parlaient d’étanchéité totale des frontières qui consistaient à paralyser l’ALN et à l’étouffer à l’intérieur.

2 ans pour de Gaulle, un an et demi pour Challe pour venir à bout de la Révolution

De Gaulle s’était donné deux ans pour venir à bout de la lutte de Libération nationale, délai ramené à un an et demi selon les pronostics de Challe, relève M. Abderrazak Bouhara. On sait ce qu’il advint de tous ces calculs, note-t-il. L’orateur rapporte alors une autre réflexion de de Gaulle qui, selon M. Abderrazak Bouhara, sonnait comme un aveu dans la défaite de l’armée d’occupation lorsque le Chef de l’Etat français dira à qui voulait l’entendre que c’était une guerre que l’on a gagné, mais que nous n’aurons pas à la terminer.

L’aveu de la défaite

C’est un aveu qui amènera de Gaulle, ainsi contraint, à la négociation et à conclure la paix avec les représentants du mouvement de Libération nationale. M. Abderrazak Bouhara notera dans son intervention, la place éminente de la diplomatie dans le combat pour la libération du pays. S’agissant du défunt, Président Boumediène, l’orateur relève que son engagement n’a pas commencé avec l’état-major général. Il s’élève contre les conclusions hâtives concernant les conditions de la lutte et la stratégie qui était opposée à l’armée d’occupation.

La lutte de Libération a été une épreuve difficile

Ce sont des conditions éminemment difficiles. Il ne faut pas se le cacher, note M. Abderrazak Bouhara. On ne peut oublier, suggère-t-il, tout l’arsenal militaire dont disposait l’occupant et qui a été mis à contribution pour venir à bout de la lutte de Libération nationale. La France s’est engagée puissamment sur le plan militaire en Algérie.

Elle avait une couverture à l’échelle régionale qui comprenait l’Afrique du Nord et avait mis au point une stratégie visant à verrouiller l’ALN. C’était celle de l’étanchéité des frontières déjà évoquée. Elle devait être opérationnelle sur le plan terrestre, maritime et aérien. Nous avons en raison de cette pression de l’armée coloniale, subit des pertes sensibles.

Une pression qui a influé sur la Révolution

Cette pression a lourdement pesée sur nos effectifs. Renouveler nos effectifs n’était pas non plus une mince affaire. Il fallait mobiliser, former de nouveau. Ce n’était pas le cas de l’armée d’occupation qui pouvait pour ce qui la concernait puiser dans ses réserves.

M. Abderrazak Bouhara a évoqué les crises qui ont secoué le mouvement de Libération nationale, rappelant que dans toutes les situations comparables à celles vécues par les Algériens sont sujettes à des crises, car c’est dans la nature des choses. La lutte de Libération nationale, selon l’orateur a été une lutte difficile, nécessitant beaucoup d’engagement, beaucoup d’investissement, la contribution de tout un peuple.

Confrontés à une forte puissance militaire

Nous étions confrontés à l’armée d’une puissance militaire qui avait déployé des moyens considérables pour venir à bout de la Révolution armée, mais en vain.

L’installation de barrages électrifiés aux frontières a été un obstacle majeur qui a occasionné beaucoup de pertes dans nos rangs. M. Abderrezak Bouhara avoue qu’il s’agissait parfois d’un obstacle insurmontable.

Lui-même a essayé de passer à trois reprises, sans succès. Certains y sont parvenus avec beaucoup de difficultés, d’autres n’ont pu franchir que certaines lignes butant sur d’autres. L’approvisionnement en armement a pu être effectué, le passage pour en alimenter les wilayas était très difficile.

M. Abderrazak Bouhara affirme laisser aux spécialistes l’analyse des actions qui ont été menées dans ce sens. Ce qui est sûr, c’est que tous étaient animés d’une grande volonté, qui a peut-être diminué par la suite compte tenu de l’immensité et des difficultés rencontrées.

Opération de diversion pour alléger la pression sur les wilayas

De grandes opérations ont été menées pour réduire la pression sur les wilayas, car à une certaine période, elles étaient particulièrement isolées. Beaucoup de responsables qui se trouvaient à l’extérieur du pays après avoir exercé au sein des wilayas, ne sont pas retournés, pour de multiples raisons, vers celles-ci, demeurant aux frontières.

En évoquant la transition de l’ALN à l’ANP, l’orateur souligne que les Français avaient déjà concocté un plan pour noyauter le passage à une armée nationale, avec notamment la constitution, à la veille de l’Indépendance, durant la période de cessez-le-feu, précisément, d’une force locale.

La force locale en tant que colonne vertébrale

Tout était prêt pour que ce scénario fonctionne, souligne M. Abderrazak Bouhara. Pour les Français, la force locale devait servir de colonne vertébrale en quelque sorte à la constitution de l’Armée nationale. Ils voulaient reproduire ce qu’ils avaient déjà fait dans d’autres pays qui étaient sous domination coloniale française.

Ce scénario n’a pas fonctionné. Pour Boumediène, note l’orateur, l’ANP devait être un symbole matérialisant la révolution populaire qui a conduit à la libération du pays. Elle devait en être le ferment.

Tout devait être ramené au peuple, à son engagement et à son sens du sacrifice.

Un homme politique issu des couches populaires

Pour M. Abderrazak Bouhara, le défunt Président Houari Boumediène était issu des couches populaires. Il tirait sa force de là. Son itinéraire politique a été marqué durablement par cette situation. Boumediène, en accédant au pouvoir, allait mettre en place les instruments de matérialisation de la Révolution démocratique et populaire qui lui a servi d’inspiration. Nationalisme et révolution populaire étaient actionnés au service d’une politique de développement qui devait assurer au pays les moyens de son fonctionnement, et profiter aux couches les plus déshéritées.

Préserver la dignité du fellah

Révolution agraire, les villages socialistes, c’était la bataille, note M. Abderrazak Bouhara, engagée pour préserver la dignité du fellah, l’orgueil de la nation, celui d’un peuple. Le défunt Président voulait que le fellah puisse être orgueilleux. L’orateur rapporte le propos tenu par le Chef de l’Etat français, le général de Gaulle, s’adressant à Rédha Malek : “Dites au Président Boumediène que je l’attends par la grande porte ou jamais”. La réponse du Président Boumediène rapporté par M. Abderrazak Bouhara a été cinglante : “Par la grande porte, dit alors le Président Boumediène, ou jamais. L’Algérie est un pays d’une grande fierté, c’est une Algérie victorieuse, qui a terrassé le colonialisme, illuminé le monde à travers son combat pour la liberté et l’indépendance. Elle n’a naturellement pas à monnayer sa dignité”. Concernant la transition ALN-ANP, l’orateur relève pour tous les événements qui se sont passés dans notre pays au lendemain de l’indépendance qu’il n’y a pas d’exemple de pays où l’armée ne s’est pas mêlée à la politique.

L’armée partie prenante dans la stratégie de défense globale

C’est vrai qu’elle n’a pas prise, traditionnellement, sur les élections par exemple, mais elle a son mot à dire et demeure impliquée dans la stratégie générale de défense de la nation sous tous ses aspects. Ce qui est important, affirme M. Abderrazak Bouhara, c’est dans l’immédiat post indépendance, on a vaincu les stratégies mises en place par la France pour parasiter la mise en place des instruments devant assurer notre indépendance, on a vu à quoi voulait aboutir le gouvernement colonial français à travers la mise en place de la force locale par exemple, en cherchant à en faire le noyau de l’Armée nationale populaire.

Haut dirigeant militaire et homme d’Etat

La commémoration du 32e anniversaire du décès du Président Boumediène aura été donc l’occasion pour une large assistance, composée de personnalités politiques, de représentants d’institutions publiques, de représentants du mouvement associatif et de moudjahidine, de se remémorer l’initiative d’un haut responsable et d’un homme d’Etat qui aura marqué par la politique qu’il a mise en place, sa présence dans les hautes sphères de l’Armée de libération nationale, comme au sein de l’Etat après l’indépendance.

Un nationaliste farouche et d’un engagement total

Le Président défunt était d’un nationalisme farouche, et d’un engagement total. M. Ramdani, qui l’a côtoyé durant la lutte de Libération nationale, dira que Boumediène est un chahid de la bataille de l’édification nationale du pays. Aussi bien lui que M. Abderrazak Bouhara ont fait la démonstration que le nationalisme que portait en lui l’ancien Président a été réellement mis au service de la lutte de Libération nationale d’abord, de la politique de progrès qu’il a insufflée au pays en accédant à la charge suprême.

Quand en 1974, il prononça son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies ce fût pour réclamer plus de justice en faveur des plus démunis, de meilleurs équilibres dans les rapports entre le Nord et le Sud. C’était un discours historique qui est une référence en matière de relations internationales.

T. M. A.