Elles seraient deux mille femmes en France, selon les estimations le plus répandues, à porter le niqab et la burqa. Depuis lundi, en vertu d’une loi controversée, elles ne peuvent plus se risquer sur la voie publique sans risquer de se faire verbaliser et d’avoir à régler une contravention de 150 euros. Deux d’entre elles ont déjà été interpellées en vertu de la nouvelle loi.
Lundi, deux femmes en niqab ont été interpellées à la fin d’une manifestation devant la cathédrale Notre-Dame à Paris, non pour leur accoutrement, mais en raison du non-respect de la procédure de «déclaration de manifestation ». L’appel à manifester avait été lancé par l’homme d’affaire Rachid Nekkaz, ancien candidat à la présidence et porte-parole de l’association «Touche pas à ma constitution» qui milite contre la loi.
L’homme d’affaire a d’ailleurs décidé de mettre en oeuvre son projet de créer un «Fonds de défense de la laïcité et de la liberté» pour prendre en charge les amendes qui seront infligées aux femmes en niqab verbalisées.
Le bien-fondé d’une loi sur un épiphénomène – 2.000 femmes concernées sur une population de 70 millions d’habitants – a été fortement contesté en France. Les politiciens ayant leurs propres calculs, il revient désormais à des policiers français, très dubitatifs, de devoir appliquer la loi. Ils expriment ouvertement leur scepticisme.
UNE LOI «INFINIMENT DIFFICILE À APPLIQUER»
La loi sera «infiniment difficile à appliquer » et «sera infiniment peu appliquée », a estimé lundi le secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de police, Manuel Roux. «Très clairement, ce n’est pas aux policiers d’aller faire du zèle», a-t-il déclaré, même devant «des cas qui sont outrageusement provocateurs.
On ne va pas rien faire non plus». Il est clair que ces policiers, s’ils veulent se faire plus contraignants, risquent de provoquer un trouble plus sérieux à l’ordre public que le passage dans la rue d’une femme en niqab. «Je n’ose même pas imaginer quand on va s’intéresser à une femme voilée (…) dans un milieu sensible avec des hommes qui sont très fiers, et des policiers qui auront fait le premier pas et ne pourront pas reculer».
La loi qui entre en application fait partie d’une démarche soutenue d’une partie des politiciens français de mettre les musulmans et l’Islam au coeur d’une «menace» indéfinie et indéfinissable. Légiférer pour 2.000 femmes afin de stigmatiser en permanence tous les musulmans de France, apparaît comme un «bon investissement » pour des hommes politiques discrédités et en plein désarroi.
La loi anti-burqa se saisit en définitive d’une tendance ultra-marginale pour mettre à l’index une population plus large qui, officiellement, n’a pas «de problème avec la république». Mais qui en a manifestement avec les politiciens français. Les musulmans de France, même quand ils veulent se faire oublier, sont constamment placés sous les feux des projecteurs par des manoeuvres systématiques.
Au point où deux ministres français de l’Intérieur se sont laissé aller à des épanchements plus que douteux. L’un a d’ailleurs été condamné par la justice de son pays, l’autre est clairement sur la même pente et clame qu’il y aurait «trop de musulmans en France », lesquels endossent ainsi le rôle de bouc émissaire commode car sans défense. En permanence.
UN DANGEREUX POISON
Il ne s’agit plus «d’accidents» politiques qui peuvent survenir dans une démocratie. On se retrouve face à une entreprise ininterrompue qui distille à doses massives un dangereux poison dans le débat politique.
L’actuel pouvoir français est responsable d’un abaissement sans précédent du niveau de ce débat qu’il oriente structurellement vers des thématiques raciales et antimusulmanes en jouant sur la peur, les phantasmes d’invasion et de dissolution de l’identité française.
La droite néoconservatrice au pouvoir, en relayant ce discours d’extrême droite, banalise le racisme anti-arabe et l’installe en toile de fond «explicative » de tous les maux de la société française.
C’est la France officielle qui tente de voiler intégralement ses propres échecs économiques et sociaux en réveillant de vieux démons aussi familiers que dangereux. Les observateurs internationaux sont plus que perplexes devant cette dérive. «M. Sarkozy et le reste de son parti devraient arrêter leur exploitation éhontée de l’intolérance à des fins politiques ».
C’est ainsi que le New York Times conclut un éditorial virulent de son édition du 11 avril intitulé «Le sectarisme imposé par le gouvernement». Mais il ne s’agit pas que de diversion. Les analystes français ne s’y trompent pas : derrière les stigmatisations de l’Islam et les manipulations de phénomènes marginaux, l’objectif est de renforcer le plafond de verre sur lequel viennent buter les populations françaises d’origine maghrébine et subsaharienne.
Ces citoyens assignés à «communautés », à qui l’on refuse la moindre influence dans la vie politique française, sont stigmatisés pour mieux être exclus. Ils doivent rester à leur place, en marge et en dessous du reste du corps social. Les 2.000 femmes en niqab ne sont qu’un prétexte. Une aubaine pour des aventuriers politiques qui ne semblent pas craindre d’instaurer un climat d’apartheid de fait en stigmatisant sans cesse une partie de la population.
Salem Ferdi