Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, est arrivé à Colombo, vendredi 22 mai, dans une ambiance de lendemain de fête. Passée l’ivresse de la victoire, les autorités sri-lankaises sont confrontées à une pression accrue pour ouvrir les camps, répondre aux aspirations de la minorité tamoule et faire la lumière sur les crimes commis durant la phase finale des opérations contre la guérilla séparatiste des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). « Je vais transmettre la profonde inquiétude de la communauté internationale », a prévenu M. Ban, premier dirigeant mondial à se rendre dans le pays depuis la fin des combats.
L’ONU éprouve un malaise croissant à l’égard des camps contrôlés par l’armée entourés de barbelés, où quelque 300 000 réfugiés du conflit sont prisonniers. « Il y a un risque pour que les camps de déplacés deviennent des camps d’internement », confie au Monde John Holmes, chef des affaires humanitaires de l’ONU. Bien qu’il juge « compréhensibles » les craintes des autorités, qui redoutent des attentats-suicides de Tigres dissimulés parmi les réfugiés, M. Holmes estime qu’il revient à l’armée « d’isoler les individus problématiques ». L’ONU tente sans succès de convaincre Colombo que cette situation ne peut pas perdurer.
Dès son arrivée, Ban Ki-moon a promis « d’exhorter le gouvernement à accélérer le triage et l’enregistrement des réfugiés » pour que « les familles soient réunies et puissent commencer à reconstruire leur vie », en rentrant chez eux. L’ONU offre d’aider le pays à réhabiliter la zone du Nord-Est, ravagée par les combats, en éliminant les milliers de mines posées par les Tigres, pour empêcher l’armée d’entrer et aussi dissuader les civils, derrière lesquels ils s’abritaient, de partir.
L’objectif immédiat de Ban Ki-moon est de s’assurer que les réfugiés bénéficient de l’aide dont ils ont besoin. Ces derniers jours, 60000 à 80000 personnes ont émergé de la zone de combats. « Certains sont malades et blessés, ils sont traumatisés, très maigres, et n’ont presque rien mangé pendant des semaines », dit John Holmes.
Or les autorités ont restreint l’accès aux camps des véhicules d’organisations humanitaires, mettant « des milliers de vies en danger », selon une coalition d’ONG sur place. « Sans véhicule, nous ne pouvons pas travailler », résume le chef des affaires humanitaires de l’ONU, qui a « du mal à comprendre ces restrictions ».
A plus long terme, l’ONU souhaite aussi offrir son expertise en matière de réconciliation. Faute d’un véritable processus politique pour prendre en compte les aspirations des Tamouls (12% d’une population à 74% cinghalaise), « il pourrait y avoir de nouvelles violences », a prévenu Ban Ki-moon. « Les vieilles rancœurs doivent être surmontées. Les Sri-Lankais de toutes origines ethniques et religieuses doivent bénéficier des mêmes droits », a-t-il déclaré vendredi.
Présent pour seulement vingt-quatre heures, le secrétaire général de l’ONU devait survoler, samedi, la zone ravagée par les combats et visiter le camp surpeuplé de Menik Farm (le plus grand camp de déplacés du monde), dans le nord, près de la ville de Vavuniya.
Son voyage est politiquement « risqué », reconnaît un proche collaborateur. Accueilli à Colombo par une haie d’honneur sur tapis rouge, le secrétaire général de l’ONU est soucieux de ne pas apparaître comme apportant sa bénédiction à une opération militaire brutale, qui a, selon des chiffres officieux de l’ONU, fait près de 8 500 morts. M. Ban comptait éviter cet écueil en ayant une conversation « franche », samedi soir, avec le président Mahinda Rajapaksa, qu’il connaît de longue date. L’homme fort du Sri Lanka a promis d’être « magnanime » dans la victoire, de « protéger » la minorité tamoule et de réinstaller chez eux les déplacés en moins de six mois. « Mon objectif est de m’assurer qu’il tienne ses promesses », confiait M. Ban avant la rencontre. « Le président dit tout ce qu’il faut, mais son message doit être partagé par l’armée et se traduire dans les lois », ajoute un haut responsable onusien.
La possible constitution d’une commission d’enquête internationale risque d’être le sujet le plus épineux. Des ONG et responsables européens et américains ont réclamé une telle investigation, qui viserait à la fois l’armée sri-lankaise, qui a tiré à l’arme lourde sur des zones peuplées de civils, et les Tigres tamouls, qui ont utilisé les civils en « boucliers humains ». Le Conseil des droits de l’homme de Genève doit étudier le dossier, lundi 25 mai. « A chaque fois que des violations graves des droits de l’homme sont commises, un processus d’investigation approprié devrait être mis en place », se contente de dire M. Ban.
Le secrétaire général de l’ONU devait aussi encourager le régime à s’ouvrir aux journalistes, tenus à l’écart de la zone des combats. Le ministère de la défense se justifie en affirmant qu’il ne veut pas que les déplacés soient « traités comme des animaux dans un zoo ».