Soustara- Alger : si Dar Al Ghoula m’était contée!

Soustara- Alger : si Dar Al Ghoula m’était contée!

Soustara.jpgC’est une maison entre Soustara et Dar Essoltane, à Alger, qui a été habitée par les ogres ont dans les temps immémoriaux.

Des enfants d’Alger, oubliés par les planificateurs, en ont hérité et en ont fait un monde Disney propre à eux. C’était bien avant que les bidonvilles n’envahissent l’espace sans que les autorités ne bougent.

Dans ce lieu mythique, on assista le 6 octobre 1973, à un moment particulier où les enfants ont simulé la guerre qui se déroulait au Moyen-Orient après la célèbre opération de traversée du canal de Suez menée par le général Saad-Eddine Chadli sur ordre d’Anouar Sadate.

La guerre d’octobre 1973 atteignit ce jour-là,les jeux d’enfants dans la maison de l’ogresse. A cinq heures du soir, des dizaines d’enfants de Soustara et de la Casbah s’étaient rassemblés à Dar Al Ghoula pour simuler avec beaucoup de débordements la guerre qui se déroulaient à des milliers de kilomètres.

dar el ghoula

Deux groupes s’étaient fait face derrière des barricades qui les séparaient d’une vingtaine de mètres. Le « combat »commença à coup de pierres et avec tout ce qui était à portée de mains. D’un côté, le groupe « Israël », de l’autre le groupe « arabo-palestinien », la bataille dura plus de deux heures et se termina par des blessés dans les deux camps.

Bien entendu, les pertes « israéliennes » ont été plus importantes car la tendance générale de la guerre d’octobre l’exigeait. Le fils d’un épicier du quartier fut le plus sévèrement atteint, non parce qu’il était dans le « front Israël » seulement. Mais parce qu’il était si gâté chez lui qu’il ne maîtrisait par les arts du combat à la maison de l’ogresse.

Il a dû méditer après ces moments durs ce qu’avait dit El Hadj El Anka de ceux qui entreprennent des choses pour lesquelles ils ne sont pas prêts.

Méritent leurs peines ceux qui s’aventurent en mer sans Raïs

Méritent leurs peines ceux qui quêtent les hauteurs sans échelle

. « : « يَسْتْهَلْ مَنْ يَدْخُلْ البحرْ بْغيرْ رِيَّاسْ..يَسْتْهَلْ مَنْ يَطْلُبْ العْلُوّ بْلاَ سْلاَلَمْ.

..آش ذا العار عليكم يا رجال مكناس..شاب داري في حماكم يا أهل الكرايم »…

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La maison de l’ogresse, où s’est déroulée en modèle réduit cette bataille – elle a été le canal de Suez, le Sinaï avec les fortifications israéliennes et la ligne Bar Lev – n’était en fait à l’origine qu’un terrain nu qui monte de Soustara à « Sidi Biche ».

Il y aurait eu quelques habitations qui ont été détruites durant l’occupation française. Certains affirment cependant que c’était un terrain resté vierge sans ciment, ni béton.

Lieu de plaisir et de loisirs

Dans les années 60-70, les structures sportives et de loisirs étaient des luxes réservées à certains quartiers « huppés » de la capitale. Dar Al Ghoula était en fait pour les jeunes du quartier, un lieu de loisir, un centre culturel et un complexe sportif.

De Dar Al Ghoula qui selon les légendes de l’enfance était l’antre d’une grande ogresse qui croquaient les petits enfants, des générations de jeunes de Soustara et de la Casbah ont fait leurs premiers jeux, leurs premières batailles, leurs apprentissages.

Ceux qui sont nés avant les années 80 dans cette zone de la capitale ont tous des souvenirs de ce « monuments » socio-culturel particulier. Parmi eux des gens devenus des cadres supérieurs de l’Etat et même des officiers supérieurs dans l’armée.

Dar Al Ghoula était, avec ce qui lui est resté verdure, le lieu de loisirs et de plaisirs. On y chassait les coccinelles, on y pratiquait le Tzarnikh, mot ironique pour désigner une pratique particulière de la luge sur du carton ou une bassine en plastique hors d’usage.

soustara

Bien entendu, c’était aussi le terrain par excellence des batailles à coups de pierres entre quartiers. Là, on « réglait des comptesr entre des individus ou entre quartiers. Parfois, dans un corps à corps général auquel personne n’y échappe. (« رَاسْ..رَاسْ..وَاحَدْ مَا يْسَلَّكْ).

C’était aussi le théâtre des jeux, moins violents, cache-cache et délivrance… Dar Al Ghoula a été utilisée aussi, mais plus rarement, comme un tableau pour y écrire en arabe et en français à la craie qu’on se débrouillait à l’école… ou avec des pierres calcaires.

Dar Al Ghoula était aussi un terrain des premières transgressions : c’est là qu’on y apprenait à fumer, à goûter à la « zetla » et, plus rarement, à prendre les premières gorgées de vins ou de bière dans des bouteilles oubliées par les disciples de Bacchus après leurs nuits à la Abou Nouas.

Le meilleur des activités organisées dans ce « centre culturel » improvisé par des enfants imaginatifs et suivant le cycle des saisons. On jouait aux billes, on échangeait des images, on s’adonnait à des parties des « noyaux d’abricots. »

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Un paradis perdu

Mais le meilleur, c’était les sorties avec le mouton de l’Aïd avec qui l’on passait de longues journées avec l’organisation de batailles homériques qui se terminaient parfois par des bagarres entre les enfants puis entre les parents.

Cet espace était digne d’être élevé par l’UNICEF en musée pour les enfants pauvres d’Alger. Un jour, le ministre Sid Ali Lebib est passé tel « Haroun Errachid » à la tête d’une délégation de son ministère. Il a promis aux gens du quartier qu’il en fera un complexe sportif. Du bruit seulement. Puis, il fut question de faire de Dar El Ghoula un parking….

Mais finalement ce sont les parpaings et les tôles Eternit des habitations « précaires » qui ont envahi l’espace et obstrué l’aire des jeux des enfants du quartier.

A Dar El Ghoula, on n’entend plus aujourd’hui les cris des enfants et leurs passions du jeu. Elle a été pendant des années, le jardin d’enfants des familles modestes de Soustara, une école de la « faim et des pieds nus » pour des générations entières dont certains font partie de l’élite.

Sur ses escaliers, elle aurait amplement mérité d’avoir l’inscription : site et monument classé.