Avec un taux d’intérêt de 1%, le nombre de micro-entreprises a explosé en Algérie malgré une campagne salafiste contre le Riba ou le prêt usuraire. Le gouvernement a reculé en décidant des crédits sans intérêt. Le ministre des affaires religieuses a annoncé une fatwa sur la question. Les salafistes sont-ils en train d’imposer leurs vues ?
Le ministre des affaires religieuses et du Wakf, Bouabdallah Ghlamallah, a organisé, hier, une réunion pour émettre une Fatwa au sujet des micro-crédits à destination des jeunes avec la participation d’universitaires spécialisés en économie, en fiqh (théologie) et des représentants des différents rites existants en Algérie.
Devant le Conseil de la Nation, il a dit qu’il espérait émettre une fatwa unifiée qui sera la référence pour les jeunes et les banques qui accordent ces micro-crédits. Glamallah a justifié l’initiative de son ministère par l’existence de divergences sur la « position légale » (au sens de la Charia) au sujet des intérêts bancaires. La nouvelle fatwa sur les micro-crédits sera publiée le plus tôt possible dans les journaux, a-t-il indiqué, une fois qu’il y a accord sur elle.
Ce souci d’édicter une « fatwa » intervient dans le contexte d’une campagne permanente des réseaux salafistes contre les « taux usuraires ». Les crédits accordés par le biais de l’ANSEJ (Agence Nationale de soutien à l’emploi des jeunes) et la CNAC (Caisse nationale d’allocation chômage) étaient cependant très courus malgré les avis religieux qualifiant le taux d’intérêt très symbolique de 1% de pratique « usuraire ». Même s’il n’a jamais fait mention de cette dénonciation de «l’usure » (Riba), le gouvernement a de fait cédé à ces exigences.
Le 11 mai dernier, Abdelmalek Sellal a indiqué à Laghouat que le taux d’intérêt de 1% imposé aux crédits bancaires “sera annulé de manière définitive pour tous les projets d’investissement réalisés par les jeunes à travers le pays”. Auparavant ce taux zéro était limité aux régions du sud et des hauts-plateaux. Dans la foulée il avait annoncé la prolongation de 6 à 10 ans de la durée d’exonération d’impôts et de 3 à 10 ans de la durée d’exonération de l’impôt sur le foncier.
400 milliards de DA de crédits malgré la campagne anti-Riba
La campagne contre les prêts « usuraires » n’a pourtant pas eu d’incidence sur l’afflux des demandes de crédits dans le cadre de l’Ansej et la Cnac. Le cap des 100 000 micro-entreprises créées dans le cadre des dispositifs d’aide à l’emploi de jeunes a été franchi en 2012: 65 000 par l’Ansej et 34 800 par la Cnac. Les crédits octroyés atteindraient les 400 milliards de dinars, soit plus de 5 milliards de dollars, selon certaines estimations. Sur les réseaux, les salafistes ont crié victoire.
Le Président de la commission des fatwas au conseil supérieur islamique, M. Mohamed Cherif Kaher, s’est réjoui de la décision du gouvernement. Le fait que l’Etat prenne en charge le paiement des intérêts transforme ces prêts en « actes licites », a-t-il dit. Il a invité les jeunes à bénéficier en toute confiance de ces formules en remarquant qu’« avant la suppression des intérêts, de nombreux jeunes s’en étaient détournés, de peur de commettre des actes illicites ».
Ce qui donne le ton sur la Fatwa annoncée par Ghlamallah, les religieux faisant en général une lecture littérale du verset 275 de la Soura II, «Dieu autorise la vente et prohibe l’usure» et du verset 278 «Vous qui croyez prémunissez-vous envers Dieu, abandonnez ce qu’il vous reste à percevoir d’usuraire si vous êtes croyants ». Les plus « ouverts » ont tendance à inciter ceux qui n’ont pas d’autres moyens de gagner leur vie de l’accepter par « contrainte ».
Equation faussée
Sans même discuter de l’aspect économique, certains ont estimé absurde de céder sur ce taux d’intérêt symbolique de 1%. A l’image d’un chroniqueur du Quotidien d’Oran qui soulignait que ce « sont des jeunes valides et normalement constitués. A cet effet, ils doivent quelque chose contre ce que leur offre la nation. Sinon la donne et l’équation sont faussées, et les résultats seront à fortiori, si ce n’est déjà le cas, socialement cataclysmiques ».
Le même chroniqueur, Abdelkader Leklek, citait le professeur Mohamed Charfi. « Nous distinguons aujourd’hui d’une part le prêt à intérêt à un taux raisonnable, qui est permis par la loi, réglementé et contrôlé par l’institut d’émission et qui rend les meilleurs services à l’économie, et, d’autre part, l’usure, qui est illégale parce que les taux sont excessifs, immoraux et néfastes pour l’économie. Mais les théologiens, n’ont pas pensé à cette distinction qui, à l’époque, n’existait pas et ont, de ce fait, interprété le riba comme étant non seulement l’usure mais tout prêt à intérêt même minime ».
La Fatwa annoncée sera décortiquée avec attention. « Dans un pays où les jeunes ont fini par croire que le diplôme est un « droit » et ne nécessite pas du travail et de l’effort, une fatwa officielle prohibant des taux d’intérêts bancaires, même modestes, risque de créer le sentiment que le crédit sans contrepartie est un « droit »se désole un économiste.