Soumia Salhi, présidente de l’association pour l’émancipation de la femme à l’Expression: « Les mentalités machistes persistent »

Soumia Salhi, présidente de l’association pour  l’émancipation de la femme à l’Expression: « Les mentalités machistes persistent »

Figure de proue du féminisme et du syndicalisme en Algérie, Soumia Salhi est aujourd’hui une référence que tout le monde consulte pour parler du syndicalisme au féminin dans notre pays. Etant à la tête de la Commission nationale des femmes travailleuses à la Centrale syndicale Ugta depuis de longues années, elle a assisté à toutes les étapes par lesquelles ce mouvement est passé. Après plus de 60 ans aujourd’hui sur l’indépendance de l’Algérie, Soumia Salhi est toujours insatisfaite et juge que beaucoup de chemin reste à parcourir dans ce domaine, tant que les mentalités machistes subsistent. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé ci-dessous, elle revient sur l’état des lieux du syndicalisme au féminin en Algérie et sur les raisons qui font que les objectifs souhaités par les femmes ne sont pas encore atteints.

L’Expression: Il est établi que le nombre de femmes activant dans des syndicats est de loin inférieur à celui des hommes. L’on ne compte à présent qu’une femme à la tête d’un syndicat, à savoir celui des vétérinaires. Comment justifiez-vous cet état de fait?

Soumia Salhi: Les femmes sont massivement adhérentes du syndicat et souvent actives dans les mobilisations. C’est au niveau des responsabilités que leur présence est faible. Elle est même rare au sommet des organisations. Cette distorsion existe dans le monde entier, même dans les pays où le salariat féminin est important depuis longtemps. Et cela concerne le monde politique. L’idéologie patriarcale et les pratiques sociales qui vont avec survivent partout bien qu’inégalement d’une société à l’autre.

J’ai mené, des années durant, un combat douloureux pour une visibilité des femmes et pour leur accès à la responsabilité. Il y a eu des progrès importants dans mon organisation et même au-delà. Nous avons des femmes qui dirigent des syndicats d’entreprises, mais nous n’avons qu’une seule femme secrétaire générale de l’union de wilaya (Tlemcen). Partout dans le monde ce sont de telles luttes qui ont fini par imposer des politiques volontaristes, représentations dans les tribunes, dans les délégations, quotas dans les organes de direction. Et partout, malgré les avancées, on reste bien en deçà des discours et des volontés affichées.

Cela est étonnant en Algérie dans la mesure où les femmes intègrent de plus en plus des partis politiques et se battent même pour être des têtes de listes? Voyez-vous une différence entre les deux domaines?

Avant la loi sur les quotas, le monde politique était encore plus indigent que l’univers syndical. Dans notre pays, c’est plutôt pire car la présence des femmes au travail et dans l’espace public est très récente et toujours contestée. Il y a cinquante ans nous étions 97% de femmes au foyer. Aujourd’hui après un essor formidable, nous sommes six ou sept fois moins nombreuses que les hommes dans le monde du travail.

Mais la rareté des femmes dans les postes de responsabilité est criante même dans les syndicats d’enseignants et de médecins qui sont pourtant des corporations majoritairement féminines. Les représentations politiques et professionnelles demeurent difficiles d’accès pour les femmes. Notre campagne syndicale des années 2000 a eu un écho dans tous les compartiments de la société. Et l’action symbolique volontariste engagée dans l’Ugta a eu un prolongement dans l’imposition de quotas par la loi de 2012. Mais alors qu’au départ, il était envisagé d’exiger un minimum de 30% tant dans les listes électorales que dans les directions des partis et des syndicats, la résistance des courants conservateurs a limité les quotas chiffrés aux listes électorales se contentant d’exiger des partis et des syndicats une présence féminine.

Certains syndicalistes hommes affirment que les femmes ne sont pas intéressées par le travail syndical, car ce dernier est difficile et à risques, ensuite n’est pas avantageux? Partagez-vous ce point de vue?

La question ne se pose pas du tout comme ça. Dans les grèves, les femmes prennent souvent «des risques» en se mettant au premier rang. Elles sont un véritable levier pour la lutte syndicale! Je pense à notre regrettée Samira de l’Encc d’Oran, à Malika la cheminote, aux femmes des crèches de Presco, à la porte-parole de la grève de l’Institut de recherches nucléaires, à Fadhela, Zineb, Hassiba, Zouina du mouvement des profs en 2003 et 2006.

Et j’en oublie. Mais plus on monte dans la hiérarchie des responsabilités plus le monopole des hommes est visible. Militer sincèrement en politique ou au syndicat, ce n’est pas «avantageux», mais plutôt un sacrifice. Par contre, la présence dans les appareils politiques syndicaux, dans les postes électifs est juteuse dans le système capitaliste et elle procure de multiples avantages. Regardez les batailles furieuses et sordides que se livrent dans les campagnes électorales en Europe et aux USA, des candidats aux programmes semblables.

Étant vous-même syndicaliste depuis de longues années, dites-nous, si vous le voulez bien, les entraves et les obstacles qu’une femme syndicaliste rencontre le plus et font qu’elle craque?

A ma connaissance, les femmes ne craquent pas plus que les hommes. Elles sont exclues de la responsabilité. Ainsi, on peut reconnaître le leadership d’une femme, accepter son ascendant sur le groupe, mais il est difficile, pour un homme, d’assumer, dans notre univers patriarcal, d’être dirigé par une femme. Eh bien ça change. Il y a aussi les moeurs de fonctionnement.

Les réunions informelles où tout se décide en fait et même les réunions formelles se déroulent souvent dans des lieux et à des horaires que notre société encore conservatrice interdit aux femmes. Les moeurs de fonctionnement se sont adaptées et la société est plus ouverte. Après, il y a les contraintes de la double journée de travail, l’obligation qui lui est faite de se sacrifier, seule, pour la famille. Et cela rend la femme moins disponible.

Quelles solutions proposez-vous pour justement rendre le travail syndical intéressant, du point de vue loi notamment?

Le travail syndical est intéressant pour tous ceux et toutes celles qui veulent défendre l’intérêt collectif des travailleurs et des travailleuses. L’objectif, à terme, doit être l’obligation de la parité 50%/50% dans tous les compartiments de la vie sociale, dans toutes les représentations et les centres de pouvoir. Mais c’est une bataille longue et complexe car au-delà de la norme statutaire ou légale, c’est la réalité de nos sociétés, de leur fonctionnement qu’il faut changer.