La place Tahrir (Libération), épicentre de la révolte depuis le 25 janvier, était noire de monde, hier après-midi. Beaucoup de manifestants portent des drapeaux égyptiens et des banderoles. « Nous sommes le peuple, nous sommes le pouvoir », scandent les protestataires.
Pour ce quinzième jour consécutif, plusieurs milliers de personnes, plus d’un million dans l’après midi selon certaines sources, sont toujours présentes sur la grande place Tahrir, au Caire, pour réclamer le départ du président égyptien Hosni Moubarak. Les manifestants ont dormi sous des tentes ou enroulés dans des couvertures. Bon nombre d’entre eux campaient au pied des chars de l’armée déployés sur plusieurs accès à la place. En dépit des hausses de salaire de 15% pour les fonctionnaires et certaines mesures, annoncées lundi par Hosni Moubarak, les Egyptiens maintiennent la pression.
Statu quo
Le gouvernement ne cède pas, les occupants de la place Tarhir non plus. Le gouvernement tente de gagner du temps et mise sur l’essoufflement des protestataires qui ne l’entendent pas de cette oreille. Le départ d’Hosni Moubarak est toujours exigé.
Ce qui est loin de se réaliser. Le vice-président Omar Souleimane tente d’apaiser les esprits et met toujours en avant le rôle du président Hosni Moubarak dans la prise de décision. Il a annoncé, à l’issue d’un entretien avec le président Hosni Moubarak, hier, que l’Egypte a un plan et un calendrier pour un transfert pacifique du pouvoir. «Le président a salué le consensus national, confirmant que nous sommes sur le bon chemin pour sortir de la crise actuelle», a dit Souleimane.
«Une feuille de route claire a été mise en place avec un calendrier pour un transfert pacifique et ordonné du pouvoir», a-t-il ajouté. Le vice-président égyptien a réaffirmé que le gouvernement n’engagerait aucune poursuite contre les manifestants qui réclament la démission immédiate du président Moubarak, au pouvoir depuis trente ans. Hosni Moubarak a « signé un décret présidentiel en vertu duquel il a formé une commission qui aura pour mission d’apporter des amendements à la Constitution », a annoncé Omar Souleimane à la télévision d’Etat à l’issue de la rencontre avec le président égyptien. Les amendements qui font l’objet d’un dialogue avec l’opposition sont liés au nombre de candidatures à la présidentielle ainsi qu’au mandat présidentiel, alors que l’élection est prévue en septembre prochain.
Dimanche soir, le gouvernement égyptien a annoncé la formation d’un comité chargé de préparer ces amendements. Le comité, qui devrait être nommé d’ici mars 2011, rassemblera « le pouvoir judiciaire et un certain nombre de personnalités politiques, pour étudier et proposer des amendements constitutionnels et les amendements législatifs requis », a annoncé le porte-parole du gouvernement, Magdi Radi.
Amendement des articles
76 et 77 de la Constitution
Ces amendements devraient concerner en premier lieu les articles 76 et 77. Le premier concerne les conditions requises pour être candidat à l’élection présidentielle en Égypte (un candidat indépendant doit réunir le parrainage de 250 élus émanant de trois institutions différentes, toutes dominées par le parti au pouvoir). Le second ne fixe aucune limite au nombre de mandats présidentiels : il devrait être ramené à deux mandats (de six ans) maximum. Pour rappel, Moubarak avait annoncé qu’il ne briguerait pas un sixième mandat.
Mais l’opposition dont les Frères musulmans, principale formation de cette opposition égyptienne, ont annoncé lundi qu’ils reconsidéreraient leur participation aux consultations engagées par le gouvernement si leurs demandes, comme le départ du raïs, restent lettre morte. «Nous allons reconsidérer toute la question du dialogue (…) Certaines de nos demandes ont bien été prises en compte mais nous n’avons pas eu de réponses concernant les plus importantes, comme celle du départ de Moubarak», a expliqué Essam el-Erian, un des hauts responsables des Frères musulmans. Dimanche, l’opposition égyptienne a salué une première étape positive à l’issue des consultations avec le vice-président Omar Souleimane, au 13e jour du soulèvement contre le régime de Hosni Moubarak qui semble lui aussi reprendre du souffle après avoir failli être emporté par le mouvement populaire de contestation les premiers jours. Avec ou sans Moubarak, les voies qui mèneront l’Égypte jusqu’à l’élection présidentielle de septembre seront difficiles à trouver.
L’opposition est en faveur d’un gouvernement d’union nationale. Mohamed el-Baradei a publiquement suggéré de placer ce gouvernement de transition sous l’autorité d’un conseil présidentiel composé de trois personnes, incluant un représentant de l’armée. Une proposition qui risque de ne pas emporter l’adhésion des Frères musulmans. Il reste à savoir qui aurait la légitimité pour le nommer et qui, au-delà, en ferait partie. Tout l’enjeu est dans ces deux points. Il reste aussi la position de la jeunesse égyptienne qui ne voudrait pas que la révolution lui soit confisquée.
« Nous sommes le peuple, nous sommes le pouvoir », le slogan lancé, hier, par les occupants de la place Tahrir, résume à lui seul l’état d’esprit dans lequel se trouve la jeunesse qui a payé le lourd tribut du mouvement populaire. La mobilisation populaire, elle, ne faiblit pas et tend à se renforcer malgré les contraintes que rencontrent les manifestants. « Cela fait cinq jours que je suis là », lance fièrement Mohammed Ali, ingénieur originaire de Fayoum, au sud du Caire.