Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, « On n’a pas envie d’une confrontation violente avec le pouvoir »

Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, « On n’a pas envie d’une confrontation violente avec le pouvoir »
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Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, reconnaît, dans cet entretien, qu’un fossé sépare la classe politique de la société. Il considère, en outre, que le dialogue est la seule solution à la «crise» actuelle. Il revient sur les actions menées par l’opposition dans le cadre de la Cnltd, l’Icso, et se projette dans l’avenir. Malgré les difficultés.

L’Expression: Le front social bouillonne et les préoccupations qu’il exprime ne semblent pas cadrer avec celles des partis politiques. On parle de pouvoir d’achat, de salaires, de sécurité, de logement, etc, et les partis parlent de «révision de la Constitution», de «transition démocratique», «de consensus national», «de refonte républicaine». Ne pensez-vous pas que cette asymétrie des revendications entre la société et les partis va conduire à un divorce total entre eux?

Soufiane Djilali: Oui, le moins que l’on puisse dire est que le front social bouillonne et rien ne présage d’un retour au calme, bien au contraire. La baisse drastique des revenus de l’Etat à cause de l’effondrement du prix du pétrole empêche désormais le gouvernement d’avoir recours aux sempiternelles distributions de la rente, de toutes les façons, rapidement rattrapées par l’inflation.

Le pays est dramatiquement mal géré. Les conflits sociaux vont à l’évidence exploser. Mais tout cela n’est que le symptôme d’un mal plus profond, celui de la mauvaise gouvernance. Les syndicats, les associations et plus généralement les citoyens, sont dans leur rôle de revendiquer et de s’organiser pour protéger le peu de pouvoir d’achat qu’il leur reste. Le chômage, la mal-vie, le désespoir, sont devenus, malheureusement, une banalité. C’est sur cette réalité que le politique doit agir. Il doit le faire avec des instruments politiques, c’est-à-dire, à travers des institutions légitimes et fonctionnelles. Or, c’est là que le bât blesse.

Le pays est entré dans une grave crise et le gouvernement est dans une impuissance évidente. Pour remettre le pays sur les rails, pour résorber la colère des citoyens, pour relancer une croissance économique à la hauteur de nos prétentions, il faut commencer par une profonde réforme de l’Etat. Or, cet objectif est absolument inaccessible pour l’équipe en place.

Il faut renouer un minimum de confiance entre la classe politique et les citoyens. Des changements significatifs doivent intervenir. Pour cela, il faut une vision claire de l’avenir, une grande motivation, une présence constante sur tous les fronts. Sincèrement, pensez-vous que l’actuelle équipe soit dans ces dispositions?

LG Algérie

Ceci vous explique pourquoi l’opposition, qui n’a aucun levier en main dans la gestion des conflits sociaux et ne peut donc intervenir dans leur cours, pose tout de même les vraies questions: la gestion du pouvoir.

Maintenant, il est vrai que nous aurions pu enfourcher tous les mouvements sociaux. Mais les gens nous auraient immédiatement accusés de vouloir mettre de l’huile sur le feu ou à tout le moins de vouloir instrumentaliser la contestation.

Au final, le travail actuel de l’opposition est hautement éthique: on s’attelle à reconstruire les liens sociaux, à donner la main à ceux qui se sentent exclus, à renouer le dialogue social. Je sais que la presse reste pour l’instant focalisée sur l’absence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Mais cela n’est qu’un aspect du problème qui finira de toutes les façons par être abordé.

Les partis au pouvoir vous accusent de vouloir vous greffer sur les revendications populaires faute d’aptitude à mobiliser et à offrir des perspectives aux Algériens. La faiblesse de la mobilisation suite à l’appel de l’opposition à des rassemblements et des marches le 24 février ne dénote-t-elle pas du rejet des partis par la population?

Ce sont des accusations sans fondements. La vérité, c’est juste le contraire. La preuve? Votre précédente question! Le sentiment d’aujourd’hui que vous exprimez est que les partis sont déconnectés des revendications populaires. Comment peut-on donc arriver à la conclusion que les partis les utilisent?

Quant à la deuxième partie de votre question, la mobilisation du 24 février a été à la hauteur de ce que nous prévoyions. Il est injuste d’accuser l’opposition de ne pas avoir mobilisé les citoyens lorsque vous aviez en face une armada policière de plusieurs milliers d’agents, la fermeture de tous les accès de la capitale et l’interdiction de circuler sur les principales artères d’Alger. La répression a été brutale. Ni l’opposition ni les citoyens n’ont envie d’une confrontation violente avec le pouvoir. Par ailleurs, des milliers d’Algériens sont sortis à travers les 48 wilayas ainsi qu’à l’étranger. Cela est incontestablement une nouveauté dans l’action des partis politiques.

Quelle évaluation faites-vous de la démarche entreprise par l’opposition dans le cadre de la Cnltd et de l’Icso. Pensez-vous qu’elle a une chance d’aboutir sachant que même l’initiative du FFS, pourtant «politiquement correcte» aux dires de certains, semble sombrer dans une impasse?

Il faut bien comprendre que le travail que mène l’opposition dans le cadre de la Cnltd et de l’Icso est inédit et pourtant essentiel pour l’avenir du pays. Depuis de longues années, le pays avait des oppositions multiples, écartelées, fractionnées, souvent en contradiction, sans aucune prise sur les événements.

Aujourd’hui tout le monde constate qu’il y a un dialogue fécond entre les partis, une réunification des rangs, des propositions communes. Cela est de bon augure pas seulement pour l’opposition mais aussi pour le pays. Moins de tension entre les différents courants politiques, plus de dialogue, plus d’ouverture, plus de tolérance. Par ailleurs, depuis des mois, c’est l’opposition qui agit et le pouvoir qui réagit. L’opposition est offensive et le pouvoir sur la défensive.

Bien entendu, vous pouvez avoir matière à critique. Certains peuvent penser que l’opposition est radicale, qu’elle s’acharne contre le président de la République ou alors qu’elle ne pense qu’aux élections. Tout cela n’est qu’une caricature de la réalité. Le service que rend l’opposition à la nation est immense et la suite des événements le montrera. Les partis politiques, la société civile, des universitaires, des intellectuels etc… tous auront contribué de manière déterminante à cette évolution qualitative de la scène politique. Gageons que ces actions auront une grande répercussion sur la configuration de la scène politique et même sur la nature du régime à venir car il faut s’attendre à des bouleversements inéluctables.

Comment comptez-vous poursuivre vos travaux dans les jours qui viennent? Allez-vous continuer à revendiquer «une transition démocratique» et «une élection présidentielle anticipée» ou alors entamer les préparatifs pour affronter les agendas électoraux que fixe le pouvoir?

Personne ne peut vous dire ce qui va se passer dans le proche avenir. La situation à In Salah est tout simplement gravissime. Ceux qui suivent les événements là-bas ont le net sentiment que le pouvoir veut aller au pourrissement.

D’une contestation pacifique, il veut en faire un affrontement violent. Il s’attaque à une population faible numériquement, isolée sur le plan géographique et sans ancrage dans le régime. Mais j’ai bien peur que cela se transforme en défi pour les citoyens du Sud. Un mouvement subversif peut naître sur les décombres de la fraternité.

L’opposition doit continuer à aider ce mouvement citoyen. Il serait criminel de les abandonner car les conséquences en seront funestes.

Quant aux questions politiques, l’opposition est solidaire sur de nombreux points. Aucune issue à la crise sans un retour vers le peuple. Que cela se fasse par le biais d’une présidentielle anticipée ou par une transition négociée, l’essentiel est que le pays retrouve sa sérénité. L’opposition assume ses responsabilités, pour le moment, c’est le pouvoir qui reste autiste.

Malgré sa faiblesse structurelle, l’opposition reste tout de même plus homogène et plus crédible que la coalition hétéroclite et contradictoire qui se trouve au gouvernement.