PEUT-IL ENCORE SORTIR DU FILET JUDICIAIRE? L’ombre d’El Gueddafi plane sur Sarkozy

PEUT-IL ENCORE SORTIR DU FILET JUDICIAIRE? L’ombre d’El Gueddafi plane sur Sarkozy

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En 2012, le site Médiapart publie des révélations fracassantes sur un document libyen qui parle d’un financement de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy par le Guide suprême libyen Maâmar El Gueddafi, à hauteur de 5 millions d’euros versés en liquide.

L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a subi hier sa seconde journée de garde à vue parce qu’il n’a pas encore répondu à toutes les questions des enquêteurs. Interrogé sur l’éventualité d’un financement de sa campagne présidentielle victorieuse, par la Libye de Maâmar El Gueddafi, il est depuis 8 heures du matin dans les locaux de l’office anticorruption à Nanterre, en région parisienne dont il devrait sortir librement ce matin s’il n’est pas déféré par le parquet devant un juge d’instruction au cas où les preuves recueillies seraient considérées comme suffisantes. Depuis mardi, son audition entreprise aux premières heures de la matinée aura duré jusqu’à minuit, heure à laquelle il a pu quitter les locaux de la brigade d’investigation. La durée légale de quarante-huit heures étant épuisée ce matin même, reste la question de savoir s’il y aura, oui ou non, une présentation aux magistrats et une mise en examen de l’ancien président dont l’entourage ne doute absolument pas qu’il obtienne, comme en 2016, une remise en liberté.

Ce véritable feuilleton intitulé «l’argent de Gueddafi», a commencé avec l’ouverture d’une information judiciaire en 2013 à la suite de laquelle Nicolas Sarkozy était entendu pour la première fois. L’un des magistrats chargés de l’instruction de cette affaire, Serge Touraine, allait d’ailleurs renvoyer Sarkozy devant le tribunal pour l’affaire Bygmalion relative à la campagne de 2012. Cette enquête, engagée aux motifs de détournements de fonds publics et corruption active et passive, devait être étendue rapidement à des soupçons de «financement illégal de campagne électorale», ont alors révélé des sources proches du dossier. A la base de ces soupçons, un rapport circonstancié des enquêteurs anticorruption qui constataient une «forte circulation de fonds en espèces» dans l’entourage de l’ancien président. Et c’est aussi en 2012 que le site Médiapart publie des révélations fracassantes sur un document libyen qui parle d’un financement de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy par le Guide suprême Maâmar El Gueddafi à hauteur de 5 millions d’euros versés en liquide. Très vite, la machine judiciaire va s’emballer, grâce à des témoins majeurs comme le Franco-Libanais Ziad Takieddine qui, en novembre 2016, passe aux aveux et affirme avoir transporté ladite somme de 5 millions d’euros, de Tripoli à Paris, entre fin 2006 et début 2007, tout en affirmant avoir remis l’argent tantôt à Claude Guéant alors chef de cabinet et tantôt à Nicolas Sarkozy, lui-même, alors ministre de l’Intérieur.

C’était mettre en appétit les juges qui n’en demandaient pas tant. Car les dires de Takieddine confirmaient en tous points ceux de l’ancien directeur du renseignement militaire libyen, Abdallah Senoussi, qui, le

20 septembre 2012, tenait des propos identiques face au procureur général du Conseil national de transition libyen. Les enquêteurs ont en outre trouvé des mentions analogues dans les carnets d’un ancien ministre libyen du Pétrole qui concernent ces versements en espèce. Entre-temps, Ziad Takieddine était à son tour mis en examen pour «complicité de corruption d’agent public étranger» et pour «complicité de détournements de fonds publics en Libye». Et c’est alors qu’arrive l’ancien grand argentier de Maamar El Gueddafi, Bachir Salah qui a résumé la situation en quelques mots: «Gueddafi a dit qu’il a financé Sarkozy. Sarkozy a dit qu’il n’a pas été financé par Gueddafi. Je crois davantage Gueddafi que Sarkozy.» Mal lui en a pris puisque menacé à son tour par la machine judiciaire française, il échappera au filet d’Interpol pour se réfugier en Afrique du Sud grâce, dit-on, à la sollicitude du Qatar. Il a miraculeusement échappé à un attentat à Johannesburg, voici quelques mois, dont on ne sait pas trop s’il est en rapport avec l’affaire car l’homme est en délicatesse avec différents milieux. La piste n’ayant rien à envier à celle des éléphants, l’affaire Sarkozy impose aux enquêteurs de fouiner sous diverses latitudes et de suivre plusieurs pistes. L’une d’entre elles les a conduits à un certain Alexandre Djouhri, né Ahmed Djouhri, d’origine algérienne, homme d’affaires et de réseaux bien implanté dans plusieurs pays africains. Celui-ci était proche de Bachir Salah et de Claude Guéant qui, en tant qu’ancien secrétaire général de l’Elysée auprès de Nicolas Sarkozy, a été mis en examen pour «faux et usage de faux» et pour «blanchiment de fraude fiscale». Guéant n’a pas convaincu les juges pour ce qui est de l’acquisition d’un appartement huppé à Paris et diverses autres opérations douteuses, pour lesquelles il a évoqué la vente de deux tableaux. Un virement de 500 000 euros effectué à son profit par un cabinet d’avocat malaisien nourrit tous les doutes de sorte que Alexandre Djouhri a été arrêté à Londres où il subit des soins pour des problèmes de santé aigus, évitant de justesse l’extradition réclamée par la magistrature française.

En somme, le faisceau des «preuves» selon lesquelles Maamar al Gueddafi a bien contribué au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy commence peu à peu à s’étoffer même si, pour l’heure, la présomption d’innocence doit être de mise. Le juge Serge Touraine est face à un cas de conscience particulier, alors qu’une campagne agite le microcosme politique français, à gauche comme à droite, pour défendre ou pour pourfendre l’ancien chef de l’Etat et son entourage proche, selon les intérêts. Prudent, le Premier ministre issu de la droite juppéiste, a brandi l’arme du «respect» qui a toujours existé au sein de l’UMP, devenue Les Républicains après que la REM d’Emmanuel Macron eut balayé les échafaudages vermoulus d’une scène politique où l’argent règne en maître absolu.