Pour le moins étonnante et insolite que cette lettre ouverte au président Abdelaziz Bouteflika, qui nous a été transmise directement, par mail mercredi dernier, par Nicolas Sarkis, expert pétrolier franco-libanais, conseiller des pays producteurs et sociétés internationales ; directeur du Centre arabe d’études pétrolières et directeur de la revue le pétrole et le gaz arabes .
Que dit cette lettre ? Pour ne pas nous voir accusée de travestissement et d’interprétations erronées, et au risque de faire une publicité à ce curieux courrier, reprenons textuellement cette lettre ouverte. S’il n’a pas comme il dit le «passeport algérien», Nicolas Sarkis s’octroie de fait le passeport d’ingérence dans une affaire qu’il considère somme toute comme «circonscrite à des dérapages et des turpitudes de quelques suspects qui auraient trahi la confiance placée en eux».
Autrement dit : vous avez, Monsieur le Président été trompé et berné par ceux que vous avez nommés et vous n’y êtes pour rien. Mieux encore et pour être en phase avec les réactions officielles algériennes enregistrées à ce jour (celles notamment du président et de son actuel ministre de l’Energie) sur ces «dérapages », Sarkis y voit l’œuvre «d’une quarantaine de voleurs». Circulez, il n’y a rien à voir, même si cette affaire fait mal, elle ne concerne que quelques individus et le régime, Dieu merci, n’est en rien responsable de ces «turpitudes individuelles». Mais la cerise sur le gâteau, la sève de cette lettre n’est pas dans le baratin développé dans toute la première partie de la lettre sur la bravoure des Algériens qui «ont payé trop cher le prix de leur indépendance et de la récupération de leurs richesses nationales» et autres «Etat fort» construit depuis l’indépendance, mais elle se niche dans le dernier paragraphe, le final de ce courrier qui constitue précisément la finalité de cette lettre ouverte.
Se pâmant de savoir que le président Bouteflika ait trouvé «les mots justes» en se déclarant révolté par les scandales en question et en déclarant être «déterminé à ne pas laisser passer», Nicolas Sarkis y va de son panégyrique sur notre président Bouteflika qui nous a, selon cet expert sans passeport algérien (n’est-il pas temps de lui en donner un ?), délivrés de tous les maux. Comment, en effet, peut-on considérer, comme le fait sans retenue Sarkis, que c’est Bouteflika qui, après avoir porté bien haut le nom de l’Algérie sur la scène internationale», a «réussi à l’arracher (l’Algérie) aux affres des années noires».
Face aux «affres» des terroristes qu’il ne nomme d’ailleurs pas comme il ne nomme pas non plus tous ceux qui ont fait face au terrorisme et continuent à le faire, il y a eu, selon notre expert, un homme, un sauveur, qui était là et qui s’appelle Bouteflika. Le peuple algérien a trouvé en ce sauveur, libérateur et bienfaiteur, son homme et, suggère Sarkis, il faut lui rendre hommage. Se substituant enfin aux Algériens et parlant en leur nom, notre expert affirme que nous avons les yeux tournés vers ce sauveur et nous ne pouvons que lui souhaiter bonne chance dans «l’éradication de la gangrène qui menace la sécurité de l’Algérie».
Ainsi donc et plus que jamais, la sécurité et les intérêts vitaux de l’Algérie ne peuvent se passer aujourd’hui de ce sauveur. Qu’est-ce alors que cet appel ? Que recouvre cette lettre ? Une campagne d’information pour dire que le président Bouteflika n’est en rien responsable des scandales économiques qui se succèdent et mettent en cause ses proches ?
Le lancement d’une autre campagne, celle de 2014, pour un autre mandat à celui «qui a une nouvelle et lourde mission d’éradication de la gangrène» ? Et si la lettre de Nicolas Sarkis répondait à ces deux hypothèses ? Dans ce cas, qui a bien pu suggérer ce nouvel outil de communication ? Qui est ou qui sont derrière ce courrier pour le moins insolite ? Enfin, pour qui court Nicolas Sarkis ?
Lettre ouverte à Monsieur le Président Abdelaziz Bouteflika
Monsieur le Président,
Les informations qui abondent depuis quelque temps, dans la presse algérienne et internationale, au sujet des graves malversations auxquelles aurait donné lieu l’exploitation du pétrole et du gaz algériens font mal. Très mal.
Elles font mal en tout premier lieu aux Algériens eux-mêmes qui ont payé trop cher le prix de leur indépendance et de la récupération de leurs richesses nationales pour tolérer, ou penser une seule seconde, que certains de ceux à qui ils ont fait confiance pour assurer la bonne gestion de ces richesses aient vendu leur conscience et leur âme au diable pour s’enrichir sur leur dos. Ils ne peuvent, hélas, que se poser la douloureuse question de savoir à quoi aurait donc servi le sang de ceux qui sont morts pour que leur pays recouvre sa liberté et sa dignité, et à quoi auraient donc servi les sacrifices de ceux qui, après l’indépendance, ont durement œuvré pour construire un Etat fort et moderne et un pays où les serviteurs de l’Etat sont payés pour servir l’Etat et leurs concitoyens, et non point pour se servir eux-mêmes, ou servir des escrocs de tout acabit. Ce qui est dit et écrit au sujet de supposées vastes opérations de corruption dans le secteur algérien des hydrocarbures fait aussi très mal à tous ceux qui, sans avoir le passeport algérien, aiment votre pays et votre peuple et ne peuvent qu’éprouver de l’admiration pour tous les exemples de courage et d’abnégation que vous avez fournis au monde pendant et après la longue guerre de Libération nationale. Pour avoir eu le privilège d’accompagner les premiers pas de la Sonatrach dès sa création, et pour y avoir apporté une bien modeste contribution avant, pendant, et après la grande bataille des nationalisations, j’estime qu’il est de mon devoir de témoigner et de rendre hommage à tous ceux qui ont construit cette belle entreprise dont l’Algérie et les Arabes ne peuvent qu’être très fiers. Tous ceux-là ne peuvent qu’être indignés, ulcérés et profondément choqués par les dérapages et les turpitudes de quelques «suspects» qui auraient trahi la confiance placée en eux et failli à leurs devoirs, au risque de salir la réputation d’une entreprise considérée comme un modèle à suivre par tous les autres pays exportateurs d’hydrocarbures. Personne, en Algérie ou ailleurs, n’ose imaginer ou croire que l’Algérie du million et demi de martyrs puisse abriter et voir son économie sabotée par une quarantaine de voleurs. Non moins grave est le fait que ceux qui sont aujourd’hui pointés du doigt par la justice algérienne, italienne ou canadienne, pour des détournements supposés de milliards de dollars, sont ceux-là mêmes qui ont ouvert la voie à quelques sociétés étrangères sans scrupules pour surexploiter les gisements de pétrole et de gaz et accélérer l’épuisement des réserves du pays. Tant et si bien que l’Algérie est maintenant confrontée au risque de devenir dans peu d’années un pays importateur net d’énergie. Permettez-moi, Monsieur le Président, de dire que vous avez trouvé les mots justes en faisant savoir tout dernièrement que vous avez été «révolté» par les scandales dont il est question et que vous êtes déterminé à ne pas «laisser passer». Ces mots ont tout leur poids dans la bouche de celui qui, après avoir porté bien haut le nom de l’Algérie sur la scène internationale, et après avoir réussi à l’arracher aux affres des «années noires» de triste mémoire, assume aujourd’hui les plus hautes responsabilités au sommet de l’Etat. Les Algériens et les amis de l’Algérie ont maintenant les yeux tournés vers vous et ne peuvent que vous souhaiter bonne chance dans votre nouvelle et lourde mission d’éradication d’une gangrène qui commençait à menacer la sécurité nationale et les intérêts vitaux de l’Algérie.
Nicolas Sarkis
Khedidja Baba-Ahmed
Khedidja_b@yahoo.fr