Par Reghis Rabah, consultant et économiste pétrolier
Au-delà de la polémique autour de la prise d’otages à In Amenas, les Algériens ont profité de la très forte médiatisation pour s’interroger sur l’opportunité et les finalités des groupements associatifs dans le secteur pétrolier en Algérie. Il faut signaler par ailleurs que cette affaire n’a pas manqué d’alimenter les discussions cacophoniques dans des tables rondes organisées notamment dans les pays européens.
Cette tragédie a mis en exergue, du moins pour les premiers concernés, un autre point faible de la grande entreprise Sonatrach, censée agir pour le compte de l’Etat, pour le développement et l’exploitation des hydrocarbures en Algérie. L’inquiétude suscitée par le PDG de cette entreprise autour de l’exode du personnel expatrié des sociétés BP et Statoil travaillant sur le site gazier de Hassi Moumen de In Salah en est une preuve irréfutable. Rien que sur ce site, on aurait perdu plus de 250 étrangers de différentes nationalités. A en juger par la mine des responsables en charge de l’activité de ce champ gazier, les travaux de développement risquent d’être retardés et l’entrée en exploitation prévue dans deux ans est sérieusement compromise. Comment ce mastodonte étatique qui prospecte, exploite, transporte et commercialise les hydrocarbures depuis sa création en 1963 se trouve aujourd’hui totalement dépendant de l’expertise étrangère ? Et quel type d’expertise ? Parlons-en ! Sonatrach, dont le poids dans l’économie nationale est incontestablement vital, serait-elle á l’image du pays, lui-même entièrement à la merci des hydrocarbures ? D’abord et comme par hasard, le champ de Tiguentourine et In Salah où se nouent ces associations sont les premiers découverts en Algérie. Les caractéristiques pétrophysiques, les difficultés de forage et surtout les travaux de «work over» sont censés être parfaitement maîtrisés par les équipes de l’entreprise nationale. Il faut peut-être rappeler pour l’histoire que l’exploration pétrolière du Sahara a commencé en 1952, dans une incrédulité quasi générale. Deux sociétés se sont d’abord engagées : la SN Repal (BRP)(1) et la Compagnie française des pétroles, suivies de peu par la Creps(2) et la CPA(3) appartenant à Shell. Les premières découvertes (1952-1955) ne concernaient que des accumulations de gaz sec, alors regardées comme un objectif mineur. Les découvertes d’huile ne se produisent qu’au début de l’année 1956, d’abord dans la bordure méridionale du bassin avec Edjeleh, puis le champ en question de Tiguentourine, situé à 70 km à l’ouest d’Edjeleh.(4) Hassi Messaoud et Hassi R’mel sont découverts presque plus de six mois plus tard. Mais auparavant, en 1954, a eu lieu la première découverte d’hydrocarbures ; il s’agissait d’une grosse accumulation de gaz qui a été trouvée à Djebel Berga, au sud d’In Salah. C’était là le premier grand gisement de gaz algérien dont les réserves étaient estimées à 100 milliards de mètres cubes, qui n’ont pu être exploitées par manque de débouché commercial. Ceci bien entendu après les recherches entamées en 1946 au nord du pays dans les calcaires fissurés et qui ont fait apparaître du pétrole à Oued Gueterrini, près de Sidi Aïssa, et le Chélif près de Relizane mais la quantité a été jugée á l’époque commercialement non rentable. Ces associations ont-elles pour but de partager le risque géologique, alors dans ce cas pourquoi se limiteraient-elles aux gisements déjà découverts ? Visent-elles le partage de la croissance ? Avec plus de 200 milliards de dollars de fonds souverains placés dans les banques étrangères, le pays en a-t-il vraiment besoin ? Recherche-ton un transfert de technologie ? Sonatrach, dont l’expérience en matière de séparation, traitement préliminaire, transport et liquéfaction du gaz est avérée, a manqué tout simplement de vision stratégique pour aboutir à une telle dépendance. L’Algérie, qui a pratiquement construit la première usine de GNL en 1964 à Oran (Camel), maîtrise les 4 procédés de liquéfaction et dispose d’une flotte importante de transport. Il n’y a pas si longtemps, les Russes qui sont pourtant les fournisseurs historiques de la technologie à l’Algérie souhaitaient s’associer avec Sonatrach pour bénéficier de sa riche expérience dans ce domaine. En fait, que fait-on exactement dans ce vaste partenariat ? Il s’agit d’acquérir des trains standards pour séparer la partie liquide du gaz proprement dit et procéder à un système d’épuration pour éliminer le sable et les sousproduits (azote, gaz carbonique, hélium, etc.) qui, extraits avec le gaz mais non combustibles, réduisent son pouvoir calorifique, ainsi que des composants corrosifs (soufre) néfastes aux infrastructures de transport. Si le contrat signé en 1998 entre Sonatrach et BP dans le cadre de partage de production se justifie à cette période spécifique durant laquelle l’Algérie manquait de capitaux pour financer les installations dans le Grand Sud, la validation beaucoup plus tard par le gouvernement de la vente évaluée à 50% des parts du partenaire BP à Statoil reste une erreur stratégique pour laquelle le secteur de l’énergie subit, selon toute vraisemblance, les revers aujourd’hui. Cette même erreur s’est reproduite dans la présence des deux partenaires avec les mêmes proportions dans le gisement de gaz sec d’In Salah (Krechba, Teguentour et Reg), actuellement dans leur phase de développement. D’autres vont se reproduire avec la présence dans le module de steamcracking à Arzew pour ne citer que ceux-là. Que ramène BP Amoco ou Statoil de nouveau dans les techniques de développement, d’exploitation et de traitement de gaz ? Et que va ramener Total comme expertise dans le craquage à la vapeur de l’éthane ou le naphta des raffineries que Sonatrach pratique à Skikda depuis plusieurs années ? Si ces partenaires veulent partager le risque avec Sonatrach, ce n’est certainement pas dans les gisements existants mais dans la prospection d’un vaste domaine minier de près de 761 754 km2.(5) C’est à la fois l’essence même de ce type de partenariat et de cette manière que les ressources en hydrocarbures seraient valorisées, ce qui est un gain pour le pays hôte et une assurance pour ceux qui en consomment. Ce n’est certainement pas le cas puisque sur 774 688 km2 du domaine minier occupé, seulement 3% sont en exploitation et Sonatrach en détient seulement 2%. Le reste est soit en phase de recherche soit en prospection. Les quelque 260 découvertes, pour la plupart en association, ne sont que d’ordre marginal et qui n’ont pas une très grande influence sur les réserves en place. Par contre, les Algériens ont pu suivre en direct que la gestion de ces associations a quelque peu dévié de ses objectifs, sinon comment admettre la très forte présence des sociétés de catering dans les bases des sites pétroliers ? Nos sociétés privées ne sont-elles pas capables d’assurer ce service accessoire ? Le nettoyage et le jardinage sont assurés par des ouvriers maliens et tunisiens. Nos ingénieurs compétents sont transférés dans d’autres pays pendant que des Occidentaux, des Philippins, des Turcs et bien d’autres les remplacent sur les sites algériens. Dans ce cas, qui capitalise, consolide et fertilise le soi-disant savoir-faire visé ? Et plus grave, un chauffeur nigérien aurait vendu la mèche au groupe terroriste et tout cela sous l’amertume d’un grand nombre de chômeurs algériens. Pourquoi alors s’étonne-t-on que les citoyens du Sud osent parler d’une néocolonisation de leur région ? Cette pratique moyen-orientale qui consiste à s’entourer d’étrangers de la base au sommet semble inadéquate en Algérie vu l’énorme potentiel existant (plus de 900 000 naissances chaque année et 69% de la population est jeune)(6). Alors, est-ce un manque de confiance ou une politique voulue pour pousser les nationaux à l’exil ?
R. R.
(1) – SN Repal : Société nationale de recherche et d’exploitation des pétroles en Algérie et BRP : Bureau de recherche pétrolière
(2)- Creps : Compagnie de recherche et d’exploitation des pétroles au Sahara
(3)- CPA : Compagnie des pétroles d’Algérie.
(4)- Travaux du Comité français d’histoire de la géologie sous la direction d’André Combaz 2002
(5)- Bilan du ministère de l’Energie et des Mines 2009 et qui est resté sans changements à ce jour.
(6)- Voir le site www.ons.dz