Sonatrach a formé des milliers d’ingénieurs et de techniciens. L’ISTS (Institut supérieur des technologies du sport) a lui aussi formé des milliers de techniciens et de cadres du sport de haut niveau. Les différentes universités algériennes ont délivré des dizaines de milliers de diplômes à des étudiants en économie et en management.
Le PDG de Sonatrach est un ingénieur de la génération de l’indépendance, héritier d’un nom illustre. Il était crédité d’une image très favorable, liée aussi bien à sa formation qu’à sa lignée, avec un père considéré comme un modèle de militantisme et de probité. Le ministre de l’Energie, Salah Khebri, a été directeur d’une école prestigieuse, l’Institut national des hydrocarbures. Au pire, il pouvait être considéré comme un tenant de la bureaucratie d’Etat, celle qui est supposée s’accrocher à un formalisme bureaucratique paralysant, à défaut de faire preuve d’innovation. Mais dans son monde d’ancien directeur de l’INH, il était supposé croire à un minimum de valeurs et de normes. On n’accède pas à un tel poste sans un minimum de tenue, de savoir, de sens de l’Etat et des institutions. De plus, il était, dit-on, spécialisé dans l’économie du pétrole.
Mais quand il a fallu trouver une formule pour maîtriser ce qui se passe autour d’un club de football, propriété de Sonatrach, le Mouloudia d’Alger, tout ce monde a abdiqué. La puissante Sonatrach, le stratégique ministère de l’Energie et le pouvoir politique se sont rabattus sur Omar Ghrib, un homme considéré naguère comme infréquentable.
On ferme les yeux
Symbole de l’ère Raouraoua, Omar Ghrib représente ce que la gestion du football algérien a produit de pire. Une non gestion, faite de combines, de rente, de gaspillage de l’argent public, de faux professionnalisme, le tout s’appuyant sur les réseaux, le clientélisme, et sur une équipe nationale littéralement importée. Dans ce montage, tout était faux, tout le monde savait que c’était faux, mais dans le monde du sport, tout le monde a fermé les yeux. Parce qu’au départ, le professionnalisme n’a pas été conçu comme un nouveau mode d’organisation du football, mais comme une simple contrainte imposée par la FIFA, et qu’il fallait faire semblant d’accepter, sans rien modifier par ailleurs dans la gestion des clubs.
Cinq ans plus tard, les résultats sont là. Le Mouloudia d’Alger, qui peut générer un milliard de dinars de chiffre d’affaires avec un minimum de gestion, s’est retrouvé face à une alternative dramatique : tomber, symboliquement, entre les mains de Chakib Khelil, Rédha Hemche et les fils de Mohamed Meziane, ou revenir à Omar Ghrib. Aucun club de football au monde ne s’est retrouvé face à une aussi terrible alternative.
Il ne s’agit pas seulement d’incompétence. On est bien au-delà, dans un pays où personne ne sait ce qu’il faut faire, dans la gestion de Sonatrach comme dans la gestion des clubs de foot. Face à l’inconnu, tout le monde attend, en essayant de s’en tirer au mieux, et même d’en tirer profit.
Gestion bureaucratique dans l’impasse
Exemple de cette non gestion : dès l’avènement du professionnalisme, le gouvernement avait annoncé des mesures d’accompagnement pour, notamment, offrir aux clubs un prêt bancaire bonifié et garanti, un don, ainsi qu’un terrain pour aménager un centre de formation. Jusqu’à présent, aucun club n’est arrivé au bout de ces démarches. Le club le plus populaire du pays, le Mouloudia d’Alger, n’a ni stade pour s’entraîner, ni pour être domicilié et accueillir ses adversaires.
Ceci dépasse de très loin le simple stade du football. Il déborde vers l’économique, le politique et le social. Comme pour l’économie, pour l’entreprise, pour les subventions, pour la valeur du dinar, le système gère par l’immobilisme. Mais arrivée à une impasse, la bureaucratie a démissionné. Elle s’est délestée de la gestion de pans entiers de la vie sociale, au profit d’opérateurs plus ou moins informels, comme Omar Ghrib. Ceux-ci, vivant de petites combines, ont rapidement montré leurs limites. Leur comportement a même mené à des dérives graves ; si graves que le pouvoir a décidé de reprendre la main, y compris en faisant vivre le football grâce à « la mère des rentes », Sonatrach.
Abdication
Mais là encore, et avec tout cet argent, la bureaucratie n’y arrivait pas. Elle ne pouvait introduire les réformes nécessaires dans le domaine du sport, car elle craignait que des changements n’entraînent, dans une étape intermédiaire, une probable instabilité, avec des débordements de rue susceptibles de se transformer en un quelconque printemps. Face aux supporters du Mouloudia, cela pouvait devenir dangereux.
Entre-temps, la situation était devenue intenable. Alors, MM. Khedri et Amine Mazouzi ont abdiqué. Ils ont signé une reddition en rase campagne, remettant les clés du Mouloudia à Omar Ghrib.
C’est parfait comme symbole. Car dans le domaine économique et financier, on en est au même stade : incapable de faire face aux difficultés, le pays abdique face à l’informel. Après l’amnistie fiscale, le gouvernement est allé plus loin : il supplie les détenteurs d’argent de le placer dans les banques, et il les rémunère pour cela. Dès lors, quand le ministère des Finances abdique devant des trabendistes, il n’y a aucune raison pour que Sonatrach ne cède pas. C’est un premier pas, en attenant de confier la gestion de Sonatrach à Ghrib ou Omar Haddad. A ce moment-là, on regrettera Chakib Khelil, qui apparaîtra comme un héros algérien.