C’est dans une atmosphère de fête que s’est déroulé l’hommage rendu samedi dernier, à la salle Ibn Zaydoun, à une grande dame de la chanson algérienne, originaire de la ville des Roses, Seloua. Cette cérémonie entre dans le cadre de la série d’hommage, organisé par le ministère
de la Culture, en collaboration avec l’Office Riad El Feth, aux grands artistes qui ont marqué la scène musicale algérienne. Seloua est l’ambassadrice de la chanson algérienne dans toute sa variante : algérois, hawzi, bédouin. Avec un grand talent, Seloua a marqué l’histoire artistique de notre pays des années 60 à 80 où elle est qualifiée de grande star. Son talent ne se limite pas au chant. Elle a, comme on dit, plusieurs cordes à son arc. Elle est en effet auteur, compositeur, actrice et animatrice de radio et télévision. Seloua a toujours su donner la pleine dimension culturelle à son action en menant dignement sa carrière qui a commencé au théâtre pour enfants de Réda Falaqi à la radio d’abord avant de s’installer à Paris où, avec Amraoui Missoum, elle connaîtra le succès. Amraoui Missoum lui a composé ses plus beaux succès. Son amour de la musique la mène à relever un grand défi, convaincre sa famille réticenteet ce, pour réaliser son rêve de devenir chanteuse.
Belle, élégante, avec un bon sens d’humour comme elle à toujours su l’être. Vêtue d’un «karakou» traditionnel typiquement algérois, accompagnée de la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, ainsi que de l’actrice Farida Saboundji, son amie d’enfance, et de l’ancienne speakerine Amina Belouizdad, elle fait une entrée spectaculaire à la salle Ibn Zeydoun sous les forts applaudissements du public, accompagnés de youyous.
Comme de coutume, la soirée débute avec un documentaire d’une vingtaine de minutes qui retrace sa vie et son parcours artistique. De son vrai nom Fettouma Lemitti, Seloua est née à Bouzaréah (Alger), en 1941. Son amour pour la musique lui a été transmis par sa grand-mère maternelle qui lui a inculqué l’amour de l’harmonie musicale pour que la musique devienne par la suite, sa seule passion. Elle a eu une scolarisation traditionnelle de la part des grands chouyoukhs comme Kouider El Mafti, Cheikh Omar et Cheikh Abd El Bakki.
Elle a débuté sa vie artistique en 1952 comme animatrice dans une émission enfantine à Radio Alger sous la direction de Réda Falaki. La guerre d’indépendance bat son plein quand elle part pour Paris à la Radiodiffusion française pour animer la première émission féminine destinée au monde arabe. C’est là qu’en 1960 Missoum, qui venait de lancer un nouveau genre de chanson rénovant complètement la chanson algérienne et qui cherchait des interprètes, fit sa connaissance et lui donne la chanson «Ellah youwlik bi sabr». Leur rencontre va donner une impulsion nouvelle à cette chanson qu’elle n’a cessé de servir avec une grande passion puisqu’elle abandonna la Radio pour se consacrer entièrement à la musique et au chant.
En 1962, avec Lalla Amina, elle réalise la troisième vente de Pathé Marconi, et ce n’est pas peu dire quand on sait que la première vente fut cette année là Milord de Piaf. En 1963, elle a participé à plusieurs pièces théâtrales radiophoniques, telles que «Hadi Darna», «Warda bi el chawk»…et bien d’autres qui connurent un gros succès auprès des auditeurs. Son surnom Seloua lui a été donné par Mohamed Tahar Foudalah dans une pièce théâtrale «Ahlan wa sahlan bi sayidina ramadhan», aux côtés d’une pléiade d’artistes connus comme Mohamed Kechroud, Bahi Foudalah, Ali Abdoune et Athman Bouguetaya.
En 1964, elle entame une longue tournée dans les pays arabes où elle fut accueillie comme l’ambassadrice de la chanson algérienne. Dès lors, elle participa à toutes les semaines culturelles dans tous les pays amis de l’Algérie nouvelle. Malgré ses innombrables activités dans la chanson, elle revient à son premier métier et anime une émission télévisée de la RTA pour la promotion des jeunes talents.
Le 13 décembre 1967 était le jour de la disparition de Amraoui Missoum en France. Sa mort lui cause une grande peine. C’est avec lui qu’elle a réalisé les plus grands succès tels que «Allah Youlik basbar», «Hakda bghali saâdi», «Kif rayi hamalni», «Anta kount doun», «Nahouak ya l’ghali», «Ma tahlaflich»… et bien d’autres chansons qui ont marqué et marquent encore la scène musicale algérienne vu qu’ils font l’objet de reprises par la nouvelle génération.
Chanteuse du moderne, désemparée lors de la mort, en 1969, de Amraoui Missoum, auquel elle était liée et qu’elle admirait beaucoup, elle tente, à partir de 1970, une incursion dans l’andalou avec les encouragements de Merzak Boudjemia, un jeune compositeur doué qui dirigeait, au Conservatoire municipal d’Alger, l’orchestre moderne et qu’elle épousa par la suite. Voulant continuer la tradition inaugurée par Cheikha Yamna Bent El Hadj Mehdi et Fadéla Dziria, la cantatrice incontestée du hawzi qui venait de mourir, Seloua, courageuse et inspirée, subit une véritable mutation qu’elle assuma avec talent et persévérance et devient une grande dame de la chanson algérienne.
La reine de la chanson algérienne
Elle a été primée à la première édition de la chanson algérienne en interprétant la chanson en 1966 en compagnie de Nora, Khelifi Ahmed, Mohamed Lamari…, au Théâtre de verdure d’Oran avec «Matahlaflich», de Mahboub Bati. En 1980 elle a joué aux côtés de Rouiched dans «Hassen Taxi», un film qui fut sa seule et uni-que expérience cinématographique.
En 1990, elle a été choisie comme membre du Conseil national de la culture sous la direction d’Abdelhamid Benhadouga. Après une éclipse de quinze ans, Seloua fait son come- back en 2005 à travers un hommage qui lui a été consacré à la salle Ibn Zeydoun.
Quelques mois plus tard, elle a été couronnée par le titre de reine de la chanson algérienne par la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, lors de 27e édition du Festival international de Timgad. Son répertoire musical comp-te plus de 400 titres dans les trois genres hawzi, andalou et asri.
La soirée s’est poursuivie par le passage d’une pléiade de chanteurs connus sur la scène musicale qui sont venus partager la joie et le bonheur de cette grande dame qui a véritablement comblé son public, comme Wahiba Mahdiqui qui a chanté deux des célèbres chansons de Seloua «Anta kount doun» et «Nahwak ya l’ghali». Emue, l’interprète déclarera qu’il est vraiment difficile de chanter devant Seloua. «Je suis vraiment contente de participer à cet hommage pour une grande dame qui a laissé ses empreintes sur la scène musicale et qui est une référence pour moi et pour les artistes de ma génération. On la considère comme l’ambassadrice de notre musique. Nous lui devons le mérite, l’amour et le respect pour tout ce qu’elle a donné. Elle sera toujours pour nous le meilleur exemple à suivre». Pour sa part le chanteur Nacereddine Blidi a su mettre le feu dans la salle avec «Kif rai hamalni», et «Katba». Il n’a pas omis de remercier Seloua en déclarant que la scène artistique à toujours besoin d’elle.
Abdelmadjid Meskoud a chanté quelques couplets des chansons de Seloua avant d’interpréter sa propre chanson intitulée «Blida» où il parle de la beauté de cette région et d’Alger en évoquant les quartiers et les grands artistes. La clôture de la soirée s’est distingué par le passage sur scène de Seloua, magistale dans son interprétation de quelques-uns des titres de son répertoire. Le public était impatient de la réécouter, la revoir, se rappelant, surtout pour les femmes de sa génération, le temps d’une soirée, une époque. Son entrée sur scène était ovationnée par le public. Elle a été chaleureusement applaudie et accueillie avec de retentissants youyous.
Kafia Aït Allouache
“C’est une soirée mémorable pour moi”
Je remercie tous ceux qui sont venus pour assister à cet hommage qui m’a été consacré. Je suis vraiment heureuse et très contente et en même temps, très émue. La présence du public, venu nombreux, prouve qu’il ne m’a pas oublié. Le public a chanté mes chansons et cela m’a beaucoup touché. Cela fait 60 ans que je suis dans le domaine artistique, depuis l’âge de quatorze ans. C’est une soirée inoubliable pour moi. Le public ne m’a jamais oubliée, je le retrouve aujourd’hui. Quand on pense à Seloua, on pense à «Ya ouled el Houma», «N’ti ya Lalla Amina», «Kif rayi hamalni»…Toutes ces chansons sont restées dans la mémoire du public algérien et maghrébin. Cela me fait énormément plaisir de voir que je ne suis pas oubliée. J’ai chanté durant une période où il était bien difficile pour la femme de s’adonner à la chanson en raison des traditions. J’ai cassé tous les tabous de l’époque. J’ai mené une bataille auprès de mes parents. Cela a été très dur pour moi mais je n’ai jamais cédé et j’ai fini par m’imposer. J’aimerai dire à notre jeunesse d’être sérieux, de bien travailler, de faire attention et de suivre le bon chemin pour réussir. Le succès ne veut jamais dire réussite parce que le chemin reste toujours long pour réussir et pour arriver à avoir une carrière. Il faut surtout miser sur la qualité des textes et des compositions
Déclarations
Abdelkader Bendamache, président du conseil national de la culture
«Le modèle et l’expression de la chanson algérienne»
Seloua reste le modèle et l’expression même de la chanson algérienne. C’est une star dont la notoriété a dépassé l’Algérie, le Maghreb et même le territoire français au moment même où ses disques se vendaient en France et partout en Europe. Elle a connu la gloire partout et dans tous les genres musicaux. Elle a eu la chance de rencontrer les grands noms de la musique algérienne et de la culture nationale comme Rédha Falaqi, Amraoui Missoum, Lahbib Hachlaf, Abdelkrim Dali vers la fin. Et d’autres grands noms, même à travers le monde arabe, comme le Marocain Mohamed Abdesslam, les Koweitiens, les Irakiens…Elle a été de tous les rendez-vous artistiques arabes et vers la fin de sa carrière.
Mohamed Kadri connu sous le nom de Krikeche, acteur
«Merci Seloua !»
C’est une grande dame de la chanson algérienne. J’ai eu l’occasion et la chance de faire de grandes tournées avec elle. Les premiers moments étaient réservés aux chanteurs dont elle fait partie et moi je passais au milieu avec des sketchs. Franchement c’est une grande et formidable dame. Je lui dis merci pour tout et je lui souhaite une longue vie.
Amina Belouizdad, ancienne speakerine
«Amirat etarab el djazaïri»
C’est une très belle initiative de rendre hommage à une grande chanteuse que nous aimons beaucoup et que je considère comme une très chère amie, Madame Seloua. Nous avons travaillé longtemps ensemble et nous avons eu d’excellentes relations. Elle est toujours belle, fidèle à son image et son public. Je souhaite qu’elle le reste pour toujours. Pour moi je la surnomme « Amirat etarab el djazairi ».
Propos recueillis par K.A.A