Somalie : Le président assiégé dans sa capitale

Somalie : Le président assiégé dans sa capitale

La menace qui pèse sur sa tête se lit jusque dans les plus infimes moments contrariés de la vie quotidienne.



Même pour se faire couper les cheveux, le président de transition somalien, Cheikh Chariff Cheikh Ahmed, ne peut pas sortir de Villa Somalia, la présidence protégée comme un bunker.

A Mogadiscio, le gouvernement fédéral de transition (TFG) représente à peine plus qu’une hypothèse optimiste, soutenue par la communauté internationale et menacée par des combattants islamistes.

Depuis le 7 mai, ses maigres forces tenues à bout de bras par la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) sont entrées dans une phase de combats. En face, les insurgés de deux groupes fondamentalistes somaliens, Al-Chabab (La Jeunesse) et Hizbul islam (Parti islamique), ont juré de balayer le TFG et son président, pourtant issu lui aussi de la mouvance islamiste.

Même si les questions religieuses dissimulent aussi des appétits féroces de pouvoir, l’heure est grave. Le président Cheikh Chariff, confiné dans un réduit étiré entre le port, l’aéroport, une rue principale et quelques poches tenues par les miliciens de son clan (Abgal), s’applique à rester en vie dans Villa Somalia et à organiser, en toute urgence, des forces armées tandis que fait rage, à l’extérieur, une combinaison d’attaques, de guérilla urbaine, de tirs d’obus de mortier et d’attentats.

Ses ennemis, les insurgés, opèrent depuis de nombreux quartiers de la ville. Il n’est pas certain que leurs forces, fractionnées entre commandants et factions, soient capables de s’unir au-delà de l’objectif consistant à chasser le TFG et son président de Villa Somalia pour y faire flotter leurs drapeaux noirs (Al-Chabab) ou verts (Hizbul islam).

Les Chabab ont été placés par les Etats-Unis sur la liste des mouvements soutenant le terrorisme et sont supposés entretenir des relations avec Al-Qaida.

Trois ans plus tôt, les ennemis du jour faisaient pourtant partie du même mouvement, celui des Tribunaux islamiques. Ils avaient réussi à prendre le pouvoir à Mogadiscio et à y instaurer le calme et la sécurité sur fond d’application rigoriste de la charia (loi islamique), avant d’être chassés par une intervention éthiopienne soutenue par les Etats-Unis.

A l’époque, la composante la plus violente, la plus extrémiste de la galaxie islamiste semblait encore marginale. Elle a gagné en puissance pendant l’insurrection anti-éthiopienne.

« Dans cet angle, il y a un tireur embusqué qui peut frapper »

Rescapé de cette époque, Cheikh Charif est parvenu à réémerger à l’étranger et à convaincre de ses talents d’ »islamiste modéré », expression absurde qui sous-entend la promesse de réunir des tendances hétéroclites somaliennes et de jouer le rôle de repoussoir contre les Chabab, ouvertement djihadistes. En janvier, il a été élu président par les députés somaliens, qui s’étaient réunis à Djibouti pour être certains de terminer le scrutin en restant entiers.

Voici à présent, Cheikh Charif à Mogadiscio, sous les obus. « Je me sens en sécurité ici », assure-t-il avec un sourire évanescent, dans son bureau de Villa Somalia glacé par la climatisation. Et de dénoncer l’Erythrée, engagée aux côtés de l’ennemi: « La majorité des armes des insurgés viennent d’Erythrée. Nous savons que des officiers érythréens viennent ici et apportent de l’argent en liquide. »

Il dénonce aussi l’arrivée de combattants étrangers, venus faire le coup de feu avec les Chabab. « La plupart viennent du Pakistan, d’Afghanistan et d’Irak », affirme- t-il. Lorsqu’il dirigeait l’un des organes des Tribunaux islamiques, l’Erythrée était impliquée en Somalie, mais de son côté.

Autour de lui, des soldats ougandais de l’Amisom fouillent les visiteurs jusqu’aux chaussures et assurent la défense, sortant à l’occasion leurs chars lorsque grandit la menace de voir les insurgés islamistes, implantés à quelques centaines de mètres, s’approcher trop près.

Sur le porche du bâtiment où le président tient audience, un soldat ougandais en casque et gilet pare-balles avertit: « Attention, mettez-vous derrière le mur. Dans cet angle, il y a un tireur embusqué qui peut frapper. » Plaisanterie ? Exagération ? Des responsables somaliens passent sans se presser, chemise flottant au vent.

Quelques secondes plus tard, des coups de feu claquent, d’autres rafales répondent. Confusion. « Il y a des insurgés infiltrés à la présidence. Ils se sont même tiré dessus dans Villa Somalia », assure une source militaire haut placée.

« Livraisons d’armes »

Dans un bâtiment en contrebas, le premier ministre Omar Abdirachid Ali Charmake, autre captif volontaire de Villa Somalia, tente de se convaincre que l’appui international arrivera à temps. « Nous avons tendu la main à tout le monde, instauré la charia », rappelle-t-il en admettant: « Le temps ne joue pas pour nous. » Enfoncé dans un canapé en velours profond comme le drame somalien, voici une figure connue: le cheikh Youssouf Mohammed Siad, « Inda’adde ».

Après un parcours sinueux, Inda’Adde vient de quitter le camp des insurgés du Hizbul islam pour rejoindre le TFG. Les livraisons d’armes venues de l’Erythrée, il peut en parler, il était à une époque le destinataire d’une partie du matériel, comme l’ont noté des experts des Nations unies en charge de l’embargo sur les armes à destination de la Somalie.

Libéré par une nouvelle trahison, le voici devenu bavard, décrivant des « livraisons d’armes » de l’Erythrée, mais aussi des transferts en liquide assurés par des « individus dans les pays arabes » pouvant atteindre, par versements de 10 000 à 30 000 dollars, « près d’un million de dollars en une seule journée ».

Depuis le 7 mai, plus de 200 personnes ont été tuées, 700 blessées. L’action des forces gouvernementales est un désastre. Lors d’une tentative, la semaine passée, pour reprendre des positions aux insurgés, les forces du TFG ont avancé durant des heures avant de rebrousser chemin à la nuit.

Les responsables de l’Amisom n’en reviennent pas. « Ils attaquent, ils avancent, ils prennent des positions et tout à coup, ils reculent. Et évidemment, les insurgés les suivent », commente, fataliste, le colonel Jack Kakasumba, commandant du contingent ougandais de l’Amisom.

« Il suffirait que le gouvernement ait de 3 000 à 5 000 hommes, espère le général Okello, commandant de la force panafricaine, mais surtout avec un commandement en état de fonctionnement. » Deux semaines plus tôt, on avait tenté de leur donner des uniformes, qu’ils avaient refusés, les jugeant « haramu » (impurs).

Alors le gouvernement a recours à des expédients. Des distributions d’armes à des civils ont lieu en ville ou près de la frontière éthiopienne. Des chefs de guerre qui avaient été marginalisés ces dernières années tentent de nouer une alliance pro-TFG. Dans le quartier de Madina, les Chabab font flotter depuis quelques jours leur drapeau noir. Des offensives se préparent des deux côtés.