Pour le minuscule Gouvernement d’union nationale (GUN) coincé dans le secteur de Villa Somalia, la présidence, à Mogadiscio, il y a danger de mort. Après des mois de préparation, les groupes extrémistes ont lancé l’assaut contre cet embryon de pouvoir qui ne contrôle que quelques quartiers de la capitale et une poignée de bourgades dans le sud du pays.
Depuis jeudi 7 mai, la zone sous son contrôle s’est réduite à l’extrême, grignotée par l’assaut de combattants des groupes shabab (« jeunes ») et Hizbul Islam (Parti de l’islam). En quelques jours, les combats à l’arme lourde ont fait des dizaines de morts, de nouvelles destructions, et poussé à l’exode des familles qui étaient rentrées à Mogadiscio ces derniers mois en pariant sur la capacité du GUN à pacifier la capitale.
Adeptes d’un islam fruste et violent, des attentats-suicides et d’une version extrême du huddud (les châtiments corporels), déployant au vent leurs drapeaux noirs, leurs visages masqués, les combattants shabab lancent désormais leurs forces à l’assaut de la capitale avec l’appui du Hizbul Islam et, pour la première fois, de combattants venus de l’extérieur de la Somalie, armes à la main.
La coalition shabab-Hizbul Islam gagne du terrain. Les forces du GUN qui occupaient des secteurs stratégiques de la capitale, comme le stade, l’ex-ministère de la défense, les anciennes usines de cigarettes ou de spaghettis, ont fui pendant le week-end devant les attaques, abandonnant ou vendant une partie de leur matériel aux insurgés. Ces derniers sont maintenant à portée de tir de la présidence et contrôlent les villes des environs, enserrant la capitale.
Les soldats de la Mission de l’Union africaine en Somalie, l’Amisom (5 100 hommes à Mogadiscio), qui doivent former les troupes du GUN si celui-ci n’est pas balayé, pourraient être amenés à défendre ce réduit, qui communique avec le port. L’un des chefs des attaquants, Cheikh Hassan Dahir Aweys, a assuré qu’il chasserait ces soldats ougandais et burundais, qu’il qualifie de « vermine » et, d’une manière générale, d’impies.
Les shabab ont beau affirmer, encouragés à distance par Oussama Ben Laden, être engagés dans un djihad, la guerre qu’ils ont déclenchée dans la capitale semble plus nourrie par des enjeux de pouvoir que par la religion. Cheikh Chariff Cheikh Ahmed, le président du GUN, est un islamiste qui vient d’instaurer l’usage de la charia, et a obtenu d’un groupe d’oulémas qu’ils lancent une fatwa contre les assaillants, au nombre desquels se trouve Cheikh Hassan Dahir Aweys, la figure tutélaire de l’islamisme somalien rentré d’exil en Erythrée juste au moment où la communauté internationale décidait, fin avril, de soutenir financièrement le GUN.
Les deux « Cheikh », Hassan et Chariff, siégeaient côte à côte il y a trois ans au sein du mouvement armé des Tribunaux islamiques, qui avait pris le pouvoir à Mogadiscio en 2006, avant d’en être chassés six mois plus tard par une intervention éthiopienne soutenue par les Etats-Unis. Un mouvement insurrectionnel était né, où avaient prospéré les extrémistes initialement marginaux au sein des Tribunaux islamiques. A la suite d’une conférence tenue à Djibouti, un nouveau pouvoir de transition a été formé en janvier 2009, dirigé par Cheikh Chariff Cheikh Ahmed. Aujourd’hui, les deux anciens alliés se font la guerre alors que les Ethiopiens se sont retirés.
« Ce qui se passe est grave, s’alarme Ahmedou Ould Abdallah, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Somalie, les adversaires du processus en cours et les Etats qui les soutiennent voient le pouvoir actuel consolider sa position. Ils veulent interrompre cette consolidation. » Désignant l’ »alliance hétéroclite » qui menace l’existence du GUN, M. Ould Abdallah ajoute qu’elle reçoit l’appui « des Erythréens, des djihadistes et de combattants étrangers ».
Appui de l’AMISOM
Cheikh Chariff Cheikh Ahmed, qui compte sur l’appui des soldats de l’Amisom, a dénoncé à Mogadiscio les « soi-disant Somaliens » qui l’attaquent et « travaillent pour des pays étrangers ».
Plusieurs pays africains ou arabes sont suspectés d’apporter une aide logistique aux attaquants, Erythrée en tête. La semaine passée, un avion Ilyoushine chargé d’armes affrété par un pays de la région a atterri à Balidogle, à cent kilomètres de Mogadiscio, pour livrer des armes aux insurgés. Plusieurs sources, y compris des témoins directs joints par téléphone à Mogadiscio, affirment avoir vu des « étrangers », notamment dans le secteur d’Ikfa Halane, au nord de Mogadiscio, faire le coup de feu aux côtés des groupes extrémistes.
Entre 400 et 600 combattants originaires de la péninsule arabique, d’Asie du Sud, ou des Somaliens vivant dans des pays occidentaux, auraient rejoint les shabab. Récemment, un combattant porteur d’un passeport canadien a été arrêté. Un autre, porteur d’un passeport britannique, a été tué pendant le week-end.