Depuis que le Kenya a accepté, début mars, de juger les pirates capturés au large de la Somalie, les marines européennes se sentent les coudées franches pour les chasser, sans toutefois parvenir à les décourager. «Jusqu’alors on était des chiens de berger», résume le capitaine de corvette Patrick Bonnat, commandant en second du «Nivôse», en référence aux missions d’escortes en cours depuis plusieurs mois : «Là, c’est la chasse.»
Dimanche dernier, la frégate de surveillance française a quitté le port de Mombasa (Kenya) pour faire route vers le nord des Seychelles, où ont eu lieu les dernières attaques, notamment celle du paquebot italien «MSC Melody», samedi soir. «On va en attraper d’autres», assure le commandant du «Nivôse», le capitaine de frégate Jean-Marc Le Quilliec : «C’est la saison.» La mousson, qui approche, complique la tâche des pirates qui naviguent sur de petites embarcations. Ce ne serait pas la première prise pour le «Nivôse» qui a relevé le 12 avril le «Floréal» dans la force européenne anti-piraterie Atalante, lancée le 8 décembre. Le 15 avril, la frégate a intercepté onze pirates qui avaient attaqué un bâtiment de commerce, le «Safmarine Asia».
Mercredi, en escale à Mombasa, le «Nivôse» a livré les prévenus aux autorités kényanes, qui ont accepté de les juger en vertu d’un accord conclu début mars entre l’Union européenne (UE) et Nairobi. Ce texte est une grande satisfaction pour le commandant du «Nîvose», qui n’en est pas à sa première mission sur zone. «Au mois de décembre, j’étais un peu frileux», reconnaît-il : «Si j’interpellais des gens en mer, qu’est-ce qu’on allait en faire ?» A l’époque, «il s’agissait de ne pas créer de problèmes», ajoute-t-il, en référence à l’imbroglio diplomatico-juridique qui entoure les affaires de piraterie : «Il fallait laisser aux états-majors le temps de border» le terrain. «Maintenant qu’il y a un outil juridique. On a les coudées franches.»
Cette nouvelle donne suffira-t-elle à décourager les pirates ? Pas sûr. A terre, leurs défenseurs affûtent déjà leurs arguments. Francis Kadima, l’avocat kényan qui défend les onze Somaliens capturés par le «Nivôse», met en cause la compétence territoriale des tribunaux. «Est-ce que tous ces individus peuvent comparaître devant des tribunaux kényans», sachant qu’«ils sont de nationalité somalienne», demande-t-il. Et d’ajouter : «Nous entendons parler d’accords entre l’UE, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Kenya […] mais il est évident que la légalité de ces accords est contestable», notamment parce qu’ils n’ont pas été soumis au Parlement, selon lui. A ce titre, le procès de 9 pirates interceptés début mars par la marine allemande, qui s’est ouvert mercredi à Mombasa, sera révélateur.

En attendant, les pirates ne désarment pas. Bien au contraire. Selon le Bureau maritime international (BMI), les attaques ont décuplé au cours du premier trimestre 2009, par rapport à 2008, passant de 6 à 61. Sur la même période, le nombre de bateaux militaires dans la zone a été multiplié par trois, pour atteindre une vingtaine, note-t-on de source militaire. Les attaques interviennent de plus en plus loin des côtes (jusqu’à 500 miles nautiques) et les navires sont rendus à leur propriétaire après versement d’une rançon, que les pirates fixent désormais autour de 1,5 million de dollars en moyenne, précise-t-on de même source. Un engrenage que déplore le commandant du «Nivôse» : «Plus on va payer, plus ils viendront. Et plus cela sera critique.»