Soheib Bencheikh
Rencontré à Alger, le Dr Soheib Bencheikh, écrivain et ancien recteur de la mosquée de Marseille, auteur de nombreux ouvrages dont le dernier intitulé Monothéisme et violence, remonte à quelques semaines, a bien voulu nous éclairer sur bon nombre de questions d’actualité, à commencer par la prochaine révision de la Constitution, qui, dira-t-il, devra s’appuyer sur des arguments scientifiques et lucides, au lieu des convictions religieuses personnelles et idéologiques.
L’Expression: L’Algérie s’apprête à amender la Constitution. L’article 2, qui consacre l’Islam religion de l’Etat, fait souvent polémique. Qu’en est-il justement de cette problématique en votre qualité de spécialiste des sciences des religions?
Soheib Bencheikh: Avant d’aborder l’article II de la Constitution, il faut souligner que toute Constitution émane d’abord de la volonté du peuple. Elle évolue et change selon les nouvelles exigences et les besoins. Une Constitution par définition, est faite pour limiter les pouvoirs de l’Exécutif, réduire et réguler la concentration de sa capacité d’agir. Si nous comprenons et respectons ce point, l’article 2 et tout ce qui s’en suit, feront tous l’objet d’un débat digne de ce nom. Il faut reconnaître aussi que les Constitutions successives n’ont pas été rédigées en fonction des attentes du peuple. Donc, ce sont des Constitutions orphelines, taillées sur mesure.
En l’état actuel des choses, je ne suis pas certain que notre nation est vraiment dotée d’une Constitution au sens propre du terme.
Le fait de consacrer un article à l’Islam religion de l’Etat, n’ouvre-t-il pas la voie à la récupération partisane de l’Islam?
L’article 2 est une curiosité parmi tant d’autres. A ma connaissance, un Etat n’est pas un individu doté d’une conscience qui se convertit à une religion. Je connais la religion de la majorité du peuple, je connais la religion historique d’un pays, je connais la religion influente dans telle ou telle zone, mais je ne connais pas la religion d’un Etat. L’Etat ne se convertit pas, l’Etat n’a pas une conscience et l’Etat ne va pas au paradis ou à l’enfer. Chacun est responsable de ses actes devant Dieu, autrui et la loi.
Justement, l’Islam politique est un phénomène qui a pris le dessus dans les pays du Maghreb. L’instabilité s’est installée depuis en Egypte, en Tunisie et en Libye, sans pour autant oublier la tragédie nationale que nous avons vécue. L’Algérie n’est-elle pas encore menacée par l’Islam politique?
Premièrement, je pense que c’est trop tôt pour juger de l’efficacité de ces régimes. Deuxièmement, il y a un point très positif à retenir, c’est que le peuple a découvert le danger de l’islamisme politique. Ce sont des individus comme les autres. Ils passent leur temps dans les compromis et le marchandage politique. Donc, il est plus judicieux et efficace de suivre les programmes et non pas les idéologies. Rappelons-nous, le point positif, c’est que là où il y a idéologie, on manque de compétences dans d’autres domaines scientifiques. L’idéologie politique au nom de l’Islam se fait aux dépends d’autres compétences qui sont le levier de la paix, de la stabilité et des développements économique et social. Leurs leaders brillent dans les discours idéologiques et non pas dans d’autres compétences, qui servent la société dans tous les domaines. On parle aussi de l’Islam officiel qui est détenu par le pouvoir qui veut perdurer en utilisant la religion de son côté pour les mêmes raisons. Il faut savoir que c’est l’échec des projets socio-économiques qui retardent le développement du peuple.
C’est quoi donc la laïcité, en quelques mots, pour bien assimiler la question?
Il faut bannir le mot laïcité, car dès qu’on emploie ce concept, on nous colle des étiquettes. Il faut parler plutôt de la neutralité de l’administration par rapport à la croyance. Il faut bannir la loi de l’administration devant le fait de croire ou de ne pas croire, car la foi échappe au législateur, au moraliste et au policier, c’est la zone interdite au regard de l’administration. Si l’on parle dans la réalité des choses, on rentre dans l’esprit même de l’Islam, «la ikraha fi dine». Il n’y a pas de haine dans la religion. La neutralité nous rapproche plus de l’esprit de la religion musulmane. Le mot laïcité est mal utilisé et mal compris en Algérie.
Qu’en est-il de l’importance des fetwas diffusées dans les médias lourds?
Elles n’ont aucune importance. Par contre, elles causent d’énormes dégâts. La fetwa par définition est spécifique. Elle n’est pas globale. A quoi bon aller diffuser sa vie personnelle sur une chaîne publique? La fetwa n’efface pas la responsabilité de la personne, elle reste juste un avis. Ce sont des thèmes intimes et personnels en rapport avec la religion qu’on porte devant l’opinion publique