Écrit par Wafia Sifouane
L’Intersyndicale, qui regroupe plus d’une dizaine de syndicats autonomes représentatifs de différents secteurs clés (éducation, santé), avait promis de recentrer ses efforts autour de la défense du pouvoir d’achat des Algériens en constante baisse. Chose faite en organisant hier son premier grand rendez-vous de la rentrée avec une journée d’études consacrée au thème « Préserver et consolider la protection sociale, élément fondamental de l’Etat social promis en 1954 ».
Et c’est l’expert en sécurité sociale, Noureddine Bouderba, qui a occupé la scène en présentant son étude consacrée à la Sécurité sociale en Algérie. Il explique clairement comment la Sécurité sociale algérienne s’est éloignée de ses principaux objectifs pour servir comme une sorte de caisse de renfort pour l’Etat algérien. « La Sécurité sociale est l’un des plus grands accomplissements de l’Algérie mais, au lieu de la juger d’un point de vue financier, on doit se référer aux bases et objectifs de la Sécurité sociale, car ils n’ont jamais été vraiment respectés », a indiqué Noureddine Bouderba.
Les mécanismes et ressources de la Sécurité sociale n’ont pas évolué : «Durant les années 1970, la médecine était gratuite, le citoyen algérien bénéficiait d’une prise en charge de 100 %, alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. En 1990, les dépenses de la Cnas en matière de remboursement de médicaments ont été de 4,6 %, alors qu’en 2017, elles sont de 46%, soit 200 milliards de dinars », a précisé l’expert.
En plus des mutations de la société non prises en considération par la Cnas, le conférencier a déploré le recours systématique du gouvernement aux caisses de la Sécurité sociale alors qu’il s’agit de l’argent des travailleurs. « La Sécurité sociale n’a jamais eu le plein pouvoir sur ses ressources, patrimoine et dépenses. Surtout ce que j’appelle les dépenses de solidarité nationale qui ne devraient en aucun cas être assurées par la Caisse nationale de la retraite (CNR).
Entre 1985 et 1989, 223 structures appartenant à la Sécurité sociale ont été reprises par le gouvernement et affectées vers des structures de l’Etat sans débourser un centime, alors que le prix de ces structures est estimé à 22 milliards de dinars », a-t-il fait savoir.
Dans ce sens, il a également fait savoir que durant la même période, «11,5 milliards de dinars ont été pris des caisses de la Sécurité sociale et investis dans le secteur de la Santé ainsi que 300 millions de dinars pour indemniser les victimes du 5 Octobre 88 ».
Noureddine Bouderba, qui s’est toujours opposé au fait que les pensions de solidarité, à l’instar de celles délivrées aux gardes communaux et aux enfants de chouhada soient allouées par les caisses de sécurité, a également souligné que le gouvernement a commis une grande erreur en supprimant la retraite sans condition d’âge, ce qui a conduit à une véritable hémorragie dans de nombreux secteurs. « L’Etat a commis une grave erreur avec la réforme de la loi sur la retraite, car le nombre de départs à la retraite, enregistré entre 2016 et 2017, est exceptionnel», a-t-il fait savoir.
En précisant que si le nombre de départs à la retraite était de 478 000 entre 2008 et 2011 et de 106 000 entre 2013 et 2014, il a atteint les 299 000 entre 2015 et 2017, un véritable record. Dans ce sens, le syndicaliste et expert n’a pas manqué de préciser que, selon une étude réalisée ces dernières années, le nombre de retraités hommes, dont l’âge se situe entre 42 et 50 ans, a été de 55 000. Ce qu’il a jugé d’« inadmissible » du moment que le gouvernement n’autorise aucun départ à la retraite avant l’âge de 50 ans.
L’expert a conclu son intervention sur la Sécurité sociale en indiquant qu’il va être quasi impossible que la Caisse nationale de retraite retrouve son équilibre si le gouvernement continue de lui faire subir des dépenses pour lesquelles elle n’est pas programmée.
Par ailleurs, et concernant le soutien du gouvernement à la société, l’expert a aussi abordé la question de la rente pétrolière, en précisant que le prix du carburant n’a jamais été réellement subventionné. «La Banque mondiale fait erreur en considérant que le prix du carburant est subventionné, or il s’agit juste d’une différence entre le prix proposé à l’international et le prix local », a-t-il précisé.
Pour ceux qui ont appelé au recours du système iranien, à savoir augmenter les prix du carburant et attribuer des primes d’aide aux pauvres, l’expert a qualifié cette expérience d’« échec cuisant » et a mis en garde contre son application chez nous, car il est « impossible de recenser le nombre de personnes pauvres et cela à cause du marché informel, des travailleurs non déclarés, mais aussi le fait de considérer la classe moyenne comme riche », a-t-il indiqué.
Même si Noureddine Bouderba a souligné que la rente profite beaucoup plus aux riches qu’aux pauvres, il subsiste quand même un pourcentage non négligeable pouvant améliorer le quotidien de certains, d’où l’importance de sa préservation.