Smaïl Hamdani au forum de “Liberté” “Il faut redynamiser la diplomatie”

Smaïl Hamdani au forum de “Liberté” “Il faut redynamiser la diplomatie”

La démonstration de l’ancien Chef du gouvernement ne consiste pas à agiter seulement l’épouvantail de la main de l’étranger mais il veut, semble-t-il, surtout lancer l’alerte.

Venu présenter hier l’histoire de la politique algérienne de sécurité extérieure au Forum de Liberté, Smaïl Hamdani a d’emblée précisé qu’il ne s’agissait que d’un “simple aperçu car le sujet est décidément très vaste”. Didactique à souhait, l’ancien Chef du gouvernement a commencé par rappeler que l’Algérie, avec ses 7 frontières, est le seul pays à avoir des liens avec tous les autres pays du Maghreb. Avec une superficie de près de

2 400 000 km2, l’Algérie est le pays le plus vaste d’Afrique, soit le 1/12e du continent. Quant à l’opportunité du thème de sa conférence, l’orateur révèle que la région traverse actuellement une zone de turbulences. Les crises politico-sécuritaires à nos frontières imposent plus que jamais, selon lui, la plus grande vigilance. “Nous vivons un moment difficile. Le monde républicain arabe est touché. Ce sont les États-nations qui sont visés. Le wahhabisme veut imposer l’islamisme et l’État islamique.” La menace semble bien réelle. “La sécurité est l’obligation de l’État.” À entendre l’ancien Chef du gouvernement, l’État ne doit pas fuir ses responsabilités. Le rôle des pouvoirs publics consistant notamment à être toujours garants de la souveraineté du pays, de la préservation des vies humaines et d’une bonne évaluation des risques. Pourtant, les observateurs, comme souvent les simples citoyens, considèrent aujourd’hui, à tort ou à raison, que ce sont surtout les méthodes des dirigeants qui génèrent le plus d’incertitudes dans ce pays, qui lui font courir autant de risques. Enfin, bref, passant directement au cœur du sujet : les Algériens seraient-ils plus maghrébins que leurs voisins ? Pour l’invité de Liberté, il n’y a, là-dessus, aucun doute. Il rappellera, ainsi, que l’Étoile nord africaine avait été fondée sur la base de cette “lutte commune” et que même la déclaration du 1er Novembre ne s’adressait pas uniquement aux patriotes algériens mais également aux patriotes maghrébins. “On voulait que le feu prenne partout contre le système colonial mais la solidarité dans la lutte armée qui dépend des chefs a été absente. On n’a pas retrouvé, hélas, la réciprocité”, regrette-t-il.

Des voisins retors

“Certains parlent d’héritage colonial alors que c’est un héritage de la résistance. Quant à ceux qui parlent de frontières arbitrairement tracées, il faut leur demander au bénéfice de qui et aux dépens de qui ? On accède à l’indépendance dans son territoire. Donc nos frontières sont indiscutables !”, a t-il martelé. Revenant précisément sur la question du bornage des frontières, il rappellera que le Niger, le Mali ou encore la Mauritanie n’ont jamais posé de problème particulier. À l’Indépendance du pays, ce sont surtout nos voisins marocains et tunisiens qui ont longtemps fait dans le “donnant-donnant” et qui voulaient, selon lui, obtenir certains avantages en brandissant, tour à tour, des revendications territoriales. “Pourtant, la guerre avec la France aura duré 4 années de plus pour que notre intégrité territoriale soit totalement respectée.” Pour illustrer son propos, l’orateur remontera jusqu’à l’émir Abdelkader : “En signant le traité de Tanger en 1844, le sultan du Maroc reconnaissait la présence française en Algérie et cessait tout soutien à l’Émir déclaré, depuis, hors-la-loi.” De l’autre côté, en Tunisie, le Traité de Bardo signé en 1881 venait conforter le pouvoir beylical. Ces accords visaient, d’après lui, à instaurer un “protectorat” des pouvoirs en place : “L’idée était de ramener les gens au pouvoir central. Cela eut des conséquences par la suite qui se sont soldées par des divergences dans les objectifs.” Loin de s’essouffler, la résistance algérienne contre l’occupant français aura duré, malgré tout, plus d’un demi-siècle, rappelle-t-il. Pour l’ancien diplomate, les velléités de nos deux voisins consistaient surtout à ouvrir le marché algérien : “Aujourd’hui, on est en plein dedans !”, reconnaît-il. Il explique alors, à sa manière toute nuancée, que la gestion courante des affaires du pays est déterminée aujourd’hui par une forte réactivité des dirigeants face à des facteurs souvent d’ordre exogène. Tout le monde sait, en effet, que notre diplomatie n’arrive plus à se faire entendre et que nos diplomates sont enlevés et même assassinés. Avec son propos mesuré, Hamdani ne veut pas dire ouvertement que nos dirigeants n’ont plus, à proprement parler, de stratégie. On se demande même s’il existe encore dans ce pays des conseillers ou encore des Spin-doctors chargés d’élaborer des études de prospective. À moins que les scénarii de ces experts et leurs analyses soient trop abscons et sophistiqués pour pouvoir être intégrés dans le jeu politique de nos dirigeants pour qui une stratégie impliquerait une dynamique trop incertaine, trop complexe voire, même, un saut dans l’inconnu… Enfin, l’ancien responsable reste, néanmoins, convaincu que l’édification du Maghreb servira comme élément de sécurité pour l’ensemble de la région. “Il faut traiter la menace avec une diplomatie dynamique”, préconise-t-il.

Comment renforcer le “front intérieur”

Se voulant optimiste, Hamdani voit quelques signes encourageants : “Lamamra est un excellent choix. Il a une connaissance intime de la situation en Afrique. Face à une situation nouvelle, notre diplomatie est obligée d’être offensive. Nous sommes dans une phase difficile puisqu’il y a l’intrusion étrangère…” Sur ce chapitre, Hamdani conteste à l’ancienne puissance coloniale et à ses affidés (“les BHL et co”) la qualité de “procureur” pour la simple raison que la France est loin d’être “un exemple”, et ce, pour nous avoir colonisés. “Des interférences étrangères, il y en a eu, il y en a et il y en aura encore !”, admet-il, réaliste. Il reconnaît également l’affaiblissement programmé de l’Algérie. On se souvient, en effet, qu’il n’y a pas si longtemps des États où la laïcité est érigée en dogme ont voulu nous imposer, au nom de la “démocratie”, un régime islamiste. Comment est-ce possible ? Comment l’ancienne Mecque des révolutionnaires en est arrivée là ? Hamdani tente une explication : “Le rôle de leader, on l’avait quand le monde était bipolaire. Aujourd’hui, on ne peut pas jouer entre la France et les États-Unis, car ce sont des alliés”, explique-t-il. S’agissant, par ailleurs, de l’initiative anticonstitutionnelle d’autoriser des avions de combats étrangers pour survoler l’espace aérien national, l’ancien diplomate ne veut pas croire, semble-t-il, qu’on ait touché au concept même de la politique étrangère du pays. “L’intervention française avait pour objectif de répondre à une menace des extrémistes qui s’apprêtait à prendre Bamako, la capitale.”

Enfin, cette autorisation, une première dans l’histoire du pays, a non seulement créé une onde de choc dans le pays mais pose aujourd’hui un grave problème de doctrine. Les Algériens ont même été surpris d’apprendre, à cette occasion, par la bouche d’un chef d’État étranger, que des avions de guerre survolaient leur tête pour aller bombarder un pays voisin. Pourtant, l’Algérie a toujours joué un rôle de facteur d’équilibre dans les affaires internationales. La ligne de politique étrangère suivie jusque-là trouvait sa source dans l’histoire du pays et dans ses principes de liberté et de justice.

En évoquant ces risques sur l’intégrité territoriale du pays, l’ancien conseiller du président Houari Boumediene recommande de renforcer le “front intérieur” et de moderniser les “moyens de lutte” sur le plan militaire. “La sécurité doit être un consensus”, souligne-t-il, à juste raison. Il omet, seulement, de préciser que le patriotisme n’est pas l’apanage du pouvoir et qu’il y a comme une nécessité de libérer, enfin, les forces politiques jusque-là bridées, voire même brimées. Car le plus inquiétant pour le pays n’est plus, semble-t-il, le spectre de la balkanisation mais bien le fait que les classes dirigeantes font comme si elles n’avaient plus de comptes à rendre à personne.

M.-C. L