Les six raisons de la dévaluation du dinar sur le marché parallèle

Les six raisons de la dévaluation du dinar sur le marché parallèle

Attention aux analyses statiques irréfléchies. Ne jouons pas avec la monnaie, car chaque option a des incidences stratégiques sur toute la politique socioéconomique. Actuellement, un débat est en cours concernant la réévaluation et la convertibilité totale du dinar, et d’autres sur la dévaluation du dinar qui serait surévalué. Pourquoi la valeur du dinar est-elle si insignifiante (140,56 pour un euro et 114,07 pour un dollar), selon le cours officiel en date du 10 avril 2018,. Sur le marché parallèle, contrairement aux pays voisins où l’écart est faible, en Algérie, les réseaux parallèles, avec un écart qui est passé de 16O DA un euro en 2014 à 208 DA un euro en 2018.

Premièrement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne locale qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconversion de l’argent de la corruption, jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l’officiel (vous me facturez 150 dinars un dollar au lieu d’une marchandise achetée 100 avec la complicité d’opérateurs étrangers, opérations plus faciles et plus rapides dans le commerce) montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration permettant des achats d’immobiliers qui expliquent la flambée des prix notamment dans les grandes agglomérations.

– Deuxièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.

-Troisièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge/blanche, marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs. Car existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers favorisant l’évasion fiscale et la corruption que l’on ne combat pas par des actions bureaucratiques.

-Quatrièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc crédit documentaire, expliquant les mesures d’assouplissement, en 2013 qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% dans le PIB). Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement recourent au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé par le passé à 4 millions de dinars, mais cela reste insuffisant, expliquant les mesures d’assouplissement prévues dans la loi de finances 2017.

– Cinquièmement, beaucoup d’opérateurs étrangers mais également nationaux utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.

– Sixièmement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation et donc la dépréciation du dinar. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 5% du PIB et sur ces 5%, plus de 95% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcouts dévalorisant indirectement la valeur du dinar. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen n’ayant pas dépassé 3%, est source d’inflation et explique la détérioration de la cotation du dinar (déséquilibre offre/demande que l’on suppléait par une importation massive) sur le marché libre par rapport aux devises que la banque d’Algérie soutient artificiellement grâce aux recettes d’hydrocarbures. Si les réserves de change tendaient vers zéro, l’euro sur le marché libre s’échangerait à plus de 300 dinars et le change officiel fluctuerait entre 200/250 dinars un euro, d’où l’importance d’un endettement extérieur ciblé, concernant uniquement les activités productives, afin d’éviter un épuisement des réserves de change qui tiennent la valeur du dinar à plus de 70%.

-Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. De nombreux Algériens profitent en effet de la crise de l’immobilier, notamment en Espagne, pour acquérir appartements et villas dans la péninsule ibérique, en France et certains aux USA et en Amérique latine sans compter les paradis fiscaux. C’est un choix de sécurité dans un pays où l’évolution des prix pétroliers est décisive. Face à l’incertitude politique, et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour acheter des biens à l’étranger. Egalement beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis l’année 2O13, achètent les devises sur le marché informel.

Ismain