Situation sécuritaire régionale, L’Algérie face au dilemme libyen

Situation sécuritaire régionale, L’Algérie face au dilemme libyen
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Les initiatives diplomatiques et les interventions militaires sont deux faces de la même pièce, celles de la politique étrangère

L’Algérie s’est longuement positionnée contre les interventions militaires étrangères et ce, à cause des effets pervers et des répercussions négatives que ces dernières créent dans les zones d’intervention.

Pendant la rédaction de ces lignes, la nébuleuse dénommée Etat islamique (EI) n’est plus qu’à mille kilomètres des frontières algériennes.

Des frontières, rappelons-le, qui ne sont pas définies géographiquement, autrement dit, l’Algérie partage des frontières poreuses avec le voisin libyen. Pour faire face, l’armée algérienne a procédé au déploiement de 50.000 hommes dotés d’une grande couverture militaire aérienne, notamment des avions de chasse et des hélicoptères de combat et de surveillance.

LG Algérie

Ceci dit, posons-nous la question suivante: face au dilemme sécuritaire libyen en particulier et le régional en général, l’Algérie fait-elle son maximum pour contrer la menace sécuritaire qui la guette? En premier lieu, il convient de définir ce que c’est un dilemme sécuritaire. Le dilemme sécuritaire a longtemps traité des questions sécuritaires à une époque où les acteurs internationaux principaux étaient les Etats. Cependant, l’impact de la mondialisation a eu un grand effet sur les relations internationales en changeant la structure du système international. Ce changement structurel a fait entrer de nouveaux acteurs dans les relations entre les Etats autres que les institutions souveraines, on peut citer les multinationales, les organisations non gouvernementales ainsi que l’individu en personne. Le dilemme sécuritaire régional traitait principalement de l’équilibre des puissances dans une certaine région entre des Etats appartenant à cet espace. Etant donné que le système international est un environnement anarchique, autrement dit, il n’existe aucune autorité suprême légitime et supérieure aux unités principales de ce système international ni pour le réguler ni pour assurer la sécurité des Etats contre d’éventuelles menaces; symétriques qu’elles soient ou asymétriques, ainsi que la non-existence d’institutions supra-étatiques qui veillent à l’application du droit international dans l’égalité et l’équité. Dans une logique d’insécurité permanente, les Etats se voient contraints d’augmenter leur sécurité au détriment des autres Etats.

Constance diplomatique et sécurité régionale

Par conséquent, quand l’Etat «A» essaie d’augmenter et de consolider sa sécurité, l’autre Etat «B» voie sa sécurité diminuer. Cette augmentation se manifeste dans la course à l’armement entre les unités régionales et c’est ce qui crée, de facto, un climat de non-confiance et d’insécurité régional dû à cette compétition militaire. Ainsi, les courses à l’armement constituent l’une des manifestations les plus évidentes des spirales que suscite le dilemme sécuritaire.1 Dans ce dernier, un dilemme stratégique se manifeste qui place les Etats entre deux alternatives. Soit opter pour une stratégie offensive ou défensive. Dans la conjoncture régionale maghrébine qui vit une situation critique parce que les Etats de la région évoluent dans un complexe conflictuel régional où ils traitent des menaces asymétriques connexes et complexes, ces Etats appartenant à cet espace géopolitique doivent consentir leurs efforts individuels afin de répondre à la menace globale.

L’Algérie n’est pas, sans doute, une exception dans cette équation car elle ne fait pas seulement face à la menace sécuritaire qui émane de la poudrière libyenne mais elle évolue dans un espace géosécuritaire défaillant tant sur le plan local que sur le plan régional. Le nord du Niger qui reste instable ainsi que celui du Mali, un Maroc toujours hostile, des frontières algéro-tunisiennes sous haute tension, notamment du côté du Mont Châabna. Sans oublier la menace terroriste intérieure permanente.

Nonobstant que les autres frontières constituent une problématique sécuritaire pour l’Algérie, le front libyen constitue la priorité des priorités. L’avancée du dénommé EI, que rien ne semble l’arrêter dans sa lancée, a mis l’état-major algérien en état d’alerte et a déployé 50.000 hommes dans le but de sécuriser les frontières libyennes qui s’étalent sur 982 km2, sans omettre l’équipement et le matériel mis à leur disposition.

Il se trouve que le nombre est suffisamment acceptable dans le cadre d’une confrontation directe. Sauf que dans ce cas de figure, les nébuleuses terroristes ne mènent pas des combats symétriques et classiques mais elles penchent pour la stratégie asymétrique. Ajoutons à cela, des frontières poreuses et non hermétiques compliquant, ainsi, la tâche des éléments de l’armée algérienne.

L’une des constances dans la politique extérieure algérienne est la non-ingérence et la non-interférence dans les affaires internes des Etats souverains ainsi que l’abstinence de recourir à la force comme le stipule l’article 2.4 de la Charte des Nations unies: «Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de tout autre matière incompatible avec les buts des Nations unies.»3 Ces principes se veulent être les bases fondamentales de la diplomatie algérienne dans la gestion des affaires régionales en particulier et internationales en général. Néanmoins, la conjoncture régionale n’est guère ce qu’elle fut après l’indépendance et la donne a changé depuis. Le paysage géopolitique et le climat géosécuritaire se sont complètement métamorphosés et ce, depuis le soulèvement populaire dénommé «Printemps arabe» dans plusieurs pays et ce qui a ajouté l’insulte à l’injure, l’intervention militaire de l’Otan en Libye intitulée «Aube de l’Odyssée», qui n’a rien d’une aube mais plutôt d’un «Crépuscule des Cités». Contrairement aux effets positifs que les protagonistes de l’intervention promettaient au peuple libyen, ces derniers, en fait, ont allumé la mèche à canon qui a embrasé la région.

Les initiatives diplomatiques algériennes ayant pour objectif de pacifier les foyers de tension et remettre de l’ordre dans l’imbroglio régional lié au Sahel africain ainsi, par son extension géopolitique, au Maghreb, sont saluées de part et d’autre. Effectivement, l’Algérie accueille les rounds de négociation inter-maliens et inter-libyens. Toutefois, la manière dont ces rounds sont gérés par les Nations unies du dossier libyen, qui consiste à lancer trois consultations différentes, laisse douter des efforts consentis par l’instance internationale. Par conséquent, les initiatives diplomatiques se révèlent peu suffisantes pour arriver à bout des problèmes qui nécessitent, subito presto, un traitement chirurgical féroce.

Dans le cas de l’Algérie, un Etat qui n’est pas familier avec les interventions militaires; du moins ce qu’on en sait car les forces militaires algériennes, selon la Constitution, sont un outil de défense pour garantir la sécurité et la paix sur et à l’intérieur des frontières nationales. Cela aurait pu continuer à fonctionner si l’environnement sécuritaire trois-tiers (national, régional et international) était resté constant et ne s’était pas dégradé.

Aujourd’hui, avec un état des lieux pareil, l’Algérie devrait opter pour le modèle des interventions militaires limitées et éclair, à l’instar de la Blitzkrieg; la guerre éclair allemande, qui consistait à cibler les lieux des opérations, détecter les cibles à abattre et passer le relais aux milices combattantes ayant participé et qui sont parties prenantes dans le processus de négociation. Ainsi, l’Algérie n’aura à perdre ni en termes d’efficacité ni de légalité.

Par ailleurs, deux options s’offrent à l’Algérie dans le cas libyen. Elle a le choix de mener l’intervention militaire de manière unilatérale ou de procéder dans un cadre multilatéral en se joignant à la future coalition, qui ne tardera pas à intervenir dans ce pays livré aux seigneurs de la guerre et aux hordes barbares. Désormais, compte tenu de la dégradation de la sécurité régionale avec la multinationale terroriste aux portes de l’Algérie, cette dernière ne devra pas attendre pour invoquer le 7ème chapitre de la Charte onusienne pour répondre à la menace contre la paix et sécurité régionales et l’effondrement d’un Etat.

L’intervention militaire comme ultime réponse

Ce comportement est loin d’être une ingérence dans les affaires internes comme le furent les interventions militaires à l’époque de la Guerre froide car les Etats intervenaient militairement suivant le modèle des interventions idéologiques, qui consistaient à se débarrasser des gouvernements rebelles et mettre en place des gouvernements alliés ou sauvegarder le maintien des gouvernements alliés (puppet governments) à l’effet de préserver les intérêts supranationaux et, ipso facto, sauvegarder la sécurité nationale. En effet, c’est le cas de l’Algérie qui évolue au milieu de zones de turbulences sécuritaires, ce qui l’amène à faire face à une logique du dilemme sécuritaire. D’une autre manière, l’Algérie n’est plus portée à agir contre les menaces sécuritaires de manière traditionnelle, c’est-à-dire, à ne se limiter qu’au stade de la protection mais de manière à préempter ces menaces et ce dernier est étroitement lié à l’idée de renforcer durablement la sécurité. Le concept de la sécurité reste un concept relatif où il faudrait agir selon une matrice quadratique à quatre «P»: Préemption, Prévention, Promotion et Protection. Il y a lieu de préciser que les initiatives diplomatiques et les interventions militaires sont deux faces de la même pièce, celles de la politique étrangère. Les interventions militaires, autrement dit, la projection géostratégique des forces militaires ne traduit pas l’intention de cet Etat à occuper, de manière pérenne, un espace mais d’éliminer la menace qui occupe cet espace, une menace qui pourra déborder dans un avenir proche ou moyen au-delà des frontières de ce dernier.

L’Algérie s’est longuement positionnée contre les interventions militaires étrangères et ce, à cause des effets pervers et des répercussions négatives que ces dernières créent dans les zones d’intervention. Mais cela arrive dans le cas où les intervenants n’assurent pas le service après-vente comme ce fut le cas après l’intervention militaire de l’Otan en Libye.

Mais, à un moment donné, l’intervention militaire devient un impératif et une nécessité sécuritaire pour contrer les menaces avant qu’elles nous atteignent de plein fouet. Si l’on craint des aptitudes algériennes à mener ce type d’opérations, il y a lieu de rappeler que l’Algérie dispose d’un arsenal de guerre et de capacité de projection rapides dans les Etats du voisinage, l’acheminement de millier de supporteurs algériens hors les frontières nationales en un lapse de temps très court est une preuve en soi des capacités de projection des forces militaires. Classé à la vingt-septième position en termes de capacités militaires et à la cinquième position en termes des effectifs miliaires actifs, selon le rapport de Global Firepower de 2015.4

Dans cette conjoncture cruciale, l’Algérie a le choix d’agir avec réalisme et pragmatisme si elle souhaite préserver son intégrité et sa sécurité nationales et se prémunir des défaillances d’un système international anarchique régissant les relations internationales de manière archaïque usant de la force à travers les interventions militaires. Des interventions militaires qui ne sont, haud dubie, que la métaphore de la guerre. Une preuve que le système international n’est pas prêt à changer sa nature et sa logique. Alors, il est plus que temps pour l’Algérie de s’adapter à ce système, un système de plus en plus machiavélique et hobbesien.

1 Pascal Venesson, «Le dilemme sécuritaire: anciens et nouveaux usages» (Paris: Espace Temps, V.71, N°.71-73, 1999), p.48.

2 Hocine Labdelaoui, «La gestion des frontières en Algérie» (Florence: Institut universitaire européen, Robert Schuman Centre for Advanced Studies, 2008/2), p.3.

3 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité, «Buts et principes de la Charte des Nations unies» sur: (06.06.2015)

4 Staff Writer, «Countries Ranked by Military Strength 2015» sur: (06.06.2015)