Situation économique de l’Algérie : état des lieux

Situation économique de l’Algérie : état des lieux

Le Dr Abderramane Mebtoul a été l’invité de Nessma Tv. Il revient ici sur les principaux axes de son intervention et analyse la situation actuelle du pays.

Abdelmalek Sellal exécutera à la lettre les décisions prises en haut lieu.

La situation économique et financière de l’Algérie

En 2012, Sonatrach c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach 98% d’exportation d’hydrocarbures état brut et semi brut (gaz et pétrole) et important 70-75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% après 50 années d’indépendance politique. C’est que plus de 90% du tissu économique est constitué de PMI/PME organisées sur des structures familiales, ne possédant pas de management stratégique, ne pouvant pas faire face à la concurrence internationale. On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel hors hydrocarbures de 5/6% a été permis pour 80% via la dépense publique et qu’il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes créatrices de richesses, pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial, moins de 20% du produit intérieur brut.

Sonatrach a engrangé selon les bilans financiers de 2000 à juin 2012 560 milliards de dollars et allant vers 600 milliards de dollars fin 2012. Cela a permis d’augmenter les réserves de change estimées à 56 milliards de dollars en 2005, 77,78 milliards en 2006, 110 milliards en 2007 à 138,35 milliards de dollars en 2008, à 147,2 milliards en 2009, à 157 milliards de dollars fin 2010 et à 188 milliards de dollars fin 2011 et allant vers 200 milliards de dollars fin 2012 et essentiellement grâce à la rente des hydrocarbures. Il s’ensuit que contrairement à ce qui passe en Europe où les banques se recapitalisent, le système bancaire algérien est en surliquidités n’arrivant pas à transformer le capital argent en capital productif.

Quelle est l’évolution de la dépense publique 2004/2013

Cette richesse virtuelle alimente la dépense publique devant différencier pour ce cas la part devises et la part dinars(les salaires étant versés en dinars). Pour la période récente de 2000 à 2014, elle est passée successivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005 puis à 140 milliards de dollars fin 2006 et qui a été clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars, mais faute de bilan on ne sait pas si l’intégralité de ce montant a été dépensé. Quant au programme d’investissements publics 2010/2014, le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de 286 milliards de dollars) et concerne deux volets, à savoir le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004/2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%) et l’engagement de projets nouveaux pour un montant de 156 milliards de dollars. Il n’existe pas de proportionnalité entre cette importante dépense publique et les impacts économiques le taux de croissance durant cette période n’ayant pas dépassé en moyenne 3% alors qu’il aurait dû être plus de 1O%.

Le gouvernement algérien inscrit son action dans la lutte contre la sphère informelle

Cette sphère contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments des produits de première nécessité : marché des fruits et légumes, marché de la viande rouge et blanche, marché du poisson et à travers des importations désordonnées le textile et le cuir. Cette sphère emploie environ 50% de la population active à dominance commerciale et des petits services. Cela n’est pas propre à l’Algérie et pour l’ensemble du Maghreb cette sphère représente plus de 50% du tissu économique. On ne combat pas cette sphère par des mesures autoritaires administratives. L’essence de cette sphère est le produit du trop de bureaucratie, des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, du manque de cohérence dans la politique économique. Les actions stratégiques pour intégrer la sphère informelle sont la confiance et Etat de droit. Lorsqu’un gouvernement agit administrativement et de surcroît autoritairement, loin des mécanismes transparents, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer.

Pourquoi des amendements de la loi des hydrocarbures ?

Le Conseil des ministres a d’adopté le 17 septembre 2012 des amendements relatifs à l’ordonnance n°06-10 du 29 juillet 2006 modifiant et complétant la loi n°05-07 du 28 avril 2005. Je précise que l’Algérie détient 2,37% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel, contre pour le pétrole, 1% selon certaines statistiques de janvier 2011. Selon les statistiques internationales les réserves pétrolières de l’Algérie seront épuisées à l’horizon 2020. Pour le gaz naturel, selon les extrapolations de l’organisme de régulation CREG, la consommation intérieure devrait passer de 35 à 50 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2017. Mais ce calcul ayant été fait avant que ne soient décidé suite aux coupures d’électricité en 2012, le doublement des capacités électriques (une enveloppe de près 20 milliards d’euros pour soutenir le programme d’investissement de la Sonelgaz, visant à installer une capacité électrique supplémentaire de 12.000 MW d’ici à 2016 privilégiant les turbines à gaz et des centrales fonctionnant au gasoil dans le Sud, allant donc vers plus de 60/70 milliards de mètres cubes gazeux en cas de non rationalisation des couts de l’énergie, incompressible si l’on veut un réel développement intérieur. A cela s’ajoute le volume exportable extrapolé tant à travers les canalisations que pour le GNL, 85 milliards de mètres cubes gazeux donnant un épuisement horizon 2030. Ainsi l’Algérie sera sans pétrole et sans gaz conventionnel dans un proche avenir au moment où la population approchera 50 millions d’habitants. L’énergie étant au cœur de la sécurité nationale cela explique les amendements à la recherche de nouveaux gisements.

Le contenu de la loi sur les hydrocarbures ?

Ces amendements ne s’appliquent pas aux gisements actuellement en production, qui restent soumis au régime fiscal en vigueur. Le projet de loi attribue également à l’entreprise nationale Sonatrach le droit exclusif en matière de transport d’hydrocarbures par canalisations et lui garantit la majorité dans les partenariats, aussi bien dans la production que dans la transformation des hydrocarbures et maintient la règle des 51-49%. Le constat est que les derniers appels d’offres entre 2008 et 2012 se sont avérés un véritable échec n’ayant attiré que des compagnies marginales, n’ayant pas de savoir technologique et comptant sur Sonatrach pour supporter la majorité des coûts, les grandes compagnies n’ayant pas soumissionné. Sonatrach depuis des années n’a pas découvert de réserves rentables substantielles tant du pétrole et du gaz importants, car pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement. Comme il y a lieu de signaler que le taux de profit dans les canalisations est inférieur de 30% en moyenne par rapport aux grands gisements de l’amont. Sonatrach continuera donc à supporter les surcouts au niveau des canalisations. La taxation des superprofits au-delà de 30 dollars dans l’actuelle loi ne répondait plus à la situation actuelle du marché où le cours dépasse les 90/100 dollars depuis plus de deux années. Dans ce cadre, l’annonce d’un assouplissement fiscal était nécessaire, car l’Algérie n’est pas seule sur le marché mondial face aux importantes mutations énergétiques qui s’annoncent, mais des concurrents qui veulent attirer les compagnies.

Et l’opérationnalité de la règle des 49-51% régissant l’investissement étranger ?

En effet, reste la contrainte des 49-51%. Si pour l’amont gazier et pétrolier pour les grands gisements la règle des 49/51% peut être applicable, pour les gisements marginaux, cette règle risque de n’attirer que peu d’investisseurs sérieux. La non-soumission des grandes compagnies, l’expérience du retrait de la Chine au niveau de la raffinerie d’Adrar, Sonatrach supportant toute seule dorénavant les surcouts, doit être méditée. Egalement, il ne faut pas s’attendre à un flux d’investissement étranger avec ces amendements pour la prospection dans l’offshore et surtout le gaz non conventionnel (réserves prouvées selon le rapport de l’AIE de 2011, 6500 milliards mètres cubes gazeux) qui requiert des techniques de pointe à travers le forage horizontal maîtrisé par quelques firmes. En Algérie un débat national s’impose du fait des risques de pollution des nappes phréatiques au Sud du pays, un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce, sans compter la durée courte de la vie de ces gisements et les confits avec des pays riverains se partageant cette nappe dont le Maroc, la Libye et la Tunisie. Cela concerne également l’investissement dans la pétrochimie dont la commercialisation est contrôlée par quelques firmes au niveau mondial cette règle juridique de la dominance de Sonatrach dans le capital social est inopérante. Sans risque de me tromper, l’investissement sera limité pour ne pas dire nul avec cette règle.

Cette filière nécessite pour sa rentabilité de grandes capacités, sans compter que les pays du Golfe ont déjà amorti les installations, l’Algérie partant avec un handicap des coûts d’amortissement élevés et un marché forcément limité. Cela ne concerne pas que Sonatrach mais l’ensemble des autres secteurs. Les lois de finances complémentaires 2009/2010 ont profondément modifié le cadre juridique régissant l’investissement surtout étranger. Concernant l’encadrement de l’investissement étranger dans les services, BTPH et industries y compris les hydrocarbures le privé étranger doit avoir au maximum 49% et le local 51%. Lors du Conseil des ministres du 25 aout 2010, ces mesures ont été étendues aux banques étrangères complétant l’ordonnance n° 03-11 du 26 août 2003, relative à la monnaie et au crédit. Si ces mesures permettent de relancer l’outil de production, cela serait une bonne chose mais dans un environnement concurrentiel, se renforcer sur soi étant une utopie néfaste. Au cours de conférences internationales, mes contacts avec bon nombre d’opérateurs étrangers (USA-Europe, monde arabe notamment) montrent que dans la majorité des cas les investisseurs sérieux sont réticents à la venue en Algérie avec cette règle restrictive qui ne répond plus à des l’idéologie qu’à à la logique économique. A moins que l’Algérie supporte les surcoûs. Ne serait-il pas souhaitable d’avoir d’autres critères : balance devises excédentaire au profit de l’Algérie, l’apport technologique et managérial et un partage des risques ? Reste la piste des énergies renouvelables dont un conseil des ministres en 2011 a prévu un programme qui vise à produire, à l’horizon 2030, 40% de l’électricité à partir des énergies renouvelables devant se traduire par l’installation d’une puissance de 12.000 mégawatts en solaire et en éolien. Mais un partenariat soit dans le cadre de Desertec ou d’autres est nécessaire et devant être conçu que dans le cadre du Maghreb.

Le programme du gouvernement Sellal veut rapprocher l’Etat des citoyens ?

J’ai écouté avec attention le programme présenté par le premier ministre devant le parlement. Certaines propositions, notamment concernant la moralisation sont de bonnes intentions. Mais seront-elles réalisées concrètement et c’est là tout le problème. Le dialogue permanent, la liberté de penser, savoir écouter les autres points de vue et surtout de les prendre en compte lorsqu’ils sont productifs sont des facteurs essentiels. Des intellectuels, faisant partie de cette modeste catégorie, la presse algérienne notamment privée, qui il faut le reconnaitre est relativement libre font d’intéressantes propositions mais sont-ils écoutés ? Le dialogue permanent est le fondement de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance sans lesquels aucun développement fiable ne peut se réaliser. Imaginez-vous qu’au sein d’une famille le père ou la mère veulent imposer chacun leurs points de vue, c’est l’éclatement de la cellule familiale. Au niveau d’un Etat cela favorise le divorce Etat citoyens, aboutissant à des grèves généralisées, pour ne pas dire risque d’implosion sociale surtout lorsque se généralise l’injustice. La moralité des personnes chargées de diriger le pays est une donnée fondamentale afin d’éviter cette corruption généralisée en Algérie qui menace la sécurité nationale.

Le nouveau premier ministre algérien peut-il redresser la situation économique ?

Les chantiers ne manquent pas pour le premier ministre. Espérons pour l’Algérie que le gouvernement Sellal dépassera le statu quo actuel suicidaire ce qui suppose un changement dans l’orientation de la gouvernance et de la politique économique, condition sine qua non de l’émergence d’une économie hors hydrocarbures. En dehors de la personne qui est un ami et que je connais depuis 35 ans, homme de dialogue qui est un homme aimable, je pense qu’il n’y aura pas de changement de cap de la politique économique. Les réformes structurelles ne peuvent être réalisées car déplaçant des segments importants de pouvoir et pouvant créer des clivages et de vives tensions. Abdelmalek Sellal est l’homme de la situation actuelle afin de ne pas trop bousculer les intérêts au sein du pouvoir. Il exécutera à la lettre la feuille de route fixé en haut lieu, la paix sociale à tout prix, quitte à distribuer la rente sans contreparties productives. Grace à l’aisance financière générée par les hydrocarbures, le gouvernement, au nom de la paix sociale, généralise les subventions. En Algérie de celui qui gagne le SNMG au chef d’entreprise national ou étranger, bénéficient des prix subventionnés, n’existant pas de système ciblé de subventions.

Pour 2012-2013, le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux jusqu’aux élections présidentielles d’avril 2014, les subventions seront encore un tampon pour juguler la hausse des prix internationaux, avec ce retour à l’inflation. Le prix du pain étant subventionné depuis 1996, sans subventions, le prix de la baguette actuellement à 8,50-10 dinars – officiel – dépasserait 25 à 30 DA. Selon le ministère de l’Energie et des Mines, le prix réel des carburants devrait fluctuer 60 et 80 DA le litre sans subventions. Mais conserver cette politique coûte de plus en plus cher. En effet, ces dernières années, l’Algérie est devenue importatrice de produits raffinés dont le gasoil et l’essence sans plomb sans compter les trafics aux frontières. Fait important montrant les limites de l’action du premier ministre : depuis la révision de la Constitution c’est un régime présidentiel et tous les pouvoirs sont concentrés à la présidence, n’ayant plus de chef de gouvernement mais un premier ministre. Ce sera donc la continuité,comme précisé par le nouveau premier ministre, c’est à dire l’application du programme présidentiel.

Abderahmane Mebtoul