Face à des parents en détresse décidés à tenir un sit-in ouvert devant le Palais du gouvernement, les responsables n’avaient d’autre choix que de les orienter vers le secrétariat du chef de cabinet de Sellal, qui a promis de régler le problème de la pénurie de lait et de la prise en charge des enfants phényles.
Les parents d’enfants atteints de la phénylcétonurie, maladie génétique rare, ne savent plus à quel saint se vouer pour que leur cri de détresse parvienne enfin aux autorités. Après une petite période de “repos”, les parents de plus de 400 malades ont repris le chemin de la contestation pour réclamer aide et assistance à des enfants et des nourrissons qui ne peuvent manger à leur goût, mais contraints, à vie, à un régime spécial. Ce dernier est basé sur une alimentation pauvre en phénylalanine, notamment du lait, des pâtes et des mixtures qui coûtent les yeux de la tête quand ils sont disponibles dans certaines officines. Et c’est pour lancer un énième SOS que des parents venus de diverses wilayas, accompagnés de leurs enfants atteints de cette grave maladie, se sont donné rendez-vous hier matin pour un rassemblement devant le siège du Palais de gouvernement. Le choix du lieu ou de cette institution officielle n’est pas fortuit. Les parents interpellent voire ré-interpellent le Premier ministre pour une intervention urgente qui mettrait fin à un calvaire qui n’a que trop duré. Ainsi, au moment où Abdelmalek Sellal effectuait une visite de travail à Tébessa, le siège de son département était assiégé par des familles venues des quatre coins du pays.
C’est sous un soleil de plomb que ces parents et leurs enfants en bas âge et d’autres sur des chaises roulantes ont manifesté face au Palais du gouvernement. Les policiers ont tenté par tous les moyens de les faire évacuer, mais rien n’y fit. C’est en pleurs et au milieu de cris de certains malades surexcités que les parents ont décidé de tout braver pour parvenir chez Sellal ou un autre responsable, qui prendrait sérieusement en charge leur problème. “Nos enfants meurent ! Nos enfants ont faim, alors que nos responsables nous tournent le dos et nous font des promesses qu’ils ne tiennent jamais”, fulminent les manifestants.
Ne sachant quoi faire face à des enfants malades et des parents en détresse, mais contraints d’appliquer les traditionnelles procédures de répression, les policiers sur place ont même tenté de faire du chantage pour encore éloigner les manifestants du palais. “Demandez aux parents de descendre plus bas et on vous laissera entrer !” propose-t-on à la porte-parole. Les familles refusent de partir et aucun fonctionnaire ou responsable n’accepte de les recevoir. Le temps passe et la chaleur atteint des degrés que les enfants ne peuvent plus supporter. Mais qu’à cela ne tienne.

“De toute façon, nos enfants sont malades, ils ont faim et ils sont abandonnés par les autorités de leur propre pays”, dénoncent les parents en larmes en exhibant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire le résumé de leur détresse qui dure depuis des années. “XP. Maxamaid est vital”, “Lait = vie” ou encore “Nos enfants ont droit à la vie” et “SVP du lait pour nos enfants”.
Une des mamans ira jusqu’à dire aux policiers : “N’hésitez pas à me tirer dessus si vous voulez. Ceci mettra fin à mon calvaire !” Décidés à ne pas quitter les lieux, les manifestants ont profité d’un petit moment d’inattention pour traverser la rue et accéder au siège du palais. Ils seront stoppés par les policiers qui, dans la panique, n’ont pas hésité à les bousculer violemment. “Nous allons rester ici jusqu’à ce que notre problème soit réglé. Nos enfants sont en train de mourir de faim !” lancent les mamans. Elles s’assoient par terre et demandent aux autres parents de faire de même. Le mot est donné pour un sit-in ouvert. Les policiers les laissent faire tant que la circulation automobile n’est pas bloquée. Mme Mecheri, porte-parole de l’association, accède finalement au palais, plutôt au bureau d’ordre, qui accusera réception d’une lettre déposée au mois d’août dernier au même département. “On m’a demandé de rédiger une nouvelle lettre d’interpellation, mais j’ai refusé, car nous l’avons faite plusieurs fois, en vain”, nous dit Mme Mecheri.
Voyant que les manifestants n’étaient pas décidés à lâcher prise, les responsables ont convoqué à nouveau Mme Mecheri. Elle a été reçue au secrétariat du chef de cabinet de Sellal. “Une semaine pour régler le problème est l’engagement pris. Je repasserai mercredi prochain, et si rien n’a été fait, nous allons réinvestir le terrain”, confie Mme Mecheri. Les familles quittent les lieux en espérant ne plus revenir. En fait, chaque parent à une histoire. La maladie est la même, mais ses séquelles sur le phényle et ses répercussions sur la famille différent d’un cas à l’autre. Mme Berbache, qui s’est déplacée de Constantine, est maman de deux phényles qui l’ont accompagnée. “Je fais tout pour épargner à ma fille de 8 ans le sort de son frère. Je ne veux pas la voir handicapée et autiste comme son frère”, raconte en larmes la maman. Son fils de 17 ans n’a pas eu la chance d’être pris en charge par sa famille par manque, à l’époque, de lait. La maladie a fini par évoluer. Il est devenu autiste et est handicapé à 100%.
Le jeune malade tenu par son père n’a pas cessé de crier et réclamer sa mère tout au long du sit-in, alors que sa sœur, une jolie blonde aux yeux verts, brillante à l’école, n’a pas hésité à se mettre face à la caméra d’une chaîne de télévision pour réclamer “son alimentation”. C’est dire toute la grande différence entre un malade dépisté à temps et pris en charge et celui qui ne l’est pas. Et c’est ce qui tue à petit feu les parents. “Nos enfants peuvent être sauvés et devenir médecins ! Il suffit que l’État décide de les prendre en charge, tout comme il le fait pour d’autres maladies chroniques”, clament-ils.
M B