Déposer son dossier pour obtenir un passeport biométrique est devenu un grand “projet” pour les Algériens, face à la bureaucratie des daïras. Un vrai challenge ! Concrètement, il faudrait le planifier de A à Z.
En effet, depuis que ce fameux document de voyage a été imposé par l’Organisation de l’aviation civile internationale, qui a fixé une date butoir (24 novembre 2015), pour la généralisation du passeport biométrique électronique dans le monde, les Algériens assiègent les daïras. Avec un seul mot d’ordre, “aujourd’hui, je dois déposer mon dossier !” Pour mener à bien ce projet, le citoyen devrait tout d’abord prévoir de prendre une journée, ou même deux ou trois. Et surtout, ne pas oublier de s’équiper d’un éventail et d’un tee-shirt en coton (de préférence), en raison de la grosse chaleur que connaît le pays. Pour finir, il faut s’armer de patience et de persévérance pour mieux affronter le monde derrière les guichets.
Déposer son dossier : tout un projet
Liberté s’est déplacé hier après-midi à la daïra de Chéraga (banlieue ouest d’Alger). Une fois sur place, les citoyens doivent “faire la queue” au petit matin pour obtenir un ticket, pour pouvoir déposer leur dossier. Yacine, la trentaine, en est un exemple concret. “Je suis ici depuis 7h du matin, j’ai déposé mon dossier le matin, et maintenant j’attends qu’on me rappelle pour les photos et les empreintes digitales”, a-t-il affirmé, d’un air contrarié.
De la fiction ? Des milliers d’Algériens ont vécu cette situation. Naïma, 30 ans, consultante en marketing, en est un autre exemple. Rencontrée au courant de la semaine passée, dans la daïra de Bir-Mourad-Raïs (la proche banlieue sud d’Alger), elle n’a pas caché son désarroi. “Je me suis présentée hier à 7h pour déposer mon dossier. Le gardien de la daïra m’a renvoyée comme une malpropre, sous prétexte que mon nom ne figurait pas sur une certaine liste. Plus grave, en demandant d’où elle venait, il m’a répondu par : ‘El-mouwaten li darha’ (c’est le citoyen qui l’a faite, ndlr). J’ai alors dit : et ‘vous cautionnez ?’ Sa réponse était : ‘Oui, si ça ne vous plaît pas, rentrez chez vous’”, a-t-elle indiqué d’un air découragé. Tout en poursuivant qu’elle a rebroussé chemin de la sorte quatre fois. “Et maintenant, j’ai fait appel à de la ‘maârifa’ (relations, ndlr). Je vais enfin pouvoir déposer mon dossier.” 15h passées, Naïma a, enfin, pu déposer son dossier. “J’ai quand même commencé à 8h, avec l’espoir de ne pas passer la journée ici.” Même son de cloche chez Oussama, un autre citoyen rencontré sur place. “Pour déposer le dossier de passeport dans la daïra de Bir-Mourad-Raïs, j’ai dû m’inscrire à 5h du matin. À l’heure où j’écrivais mon nom (à 5h15 du matin), la liste comptait 29 personnes”, a-t-il révélé. Du côté du guichet destiné aux retraits des passeports, Mohamed, 45 ans, rencontré à la même daïra, à 13h30. Il a déposé son dossier il y a dix jours. “On m’a envoyé un message sur mon téléphone pour me dire que mon passeport était prêt.” Debout, dos au mur, à attendre le numéro de son ticket s’afficher à l’écran, il a indiqué, sourire en coin : “Le plus dur est passé le jour du dépôt, maintenant ça ne devrait pas trop tarder.”
Les gardiens de parking font la loi… à l’intérieur aussi
Pendant ce temps, sur les hauteurs de la capitale, plus précisément à Bouzaréah. Là-bas, les “parkingueurs” font la loi, même à l’intérieur de la daïra. “Pour obtenir un ticket, c’est simple. Il vous suffit de le demander au gardien des voitures du quartier, contre une somme de 500 DA”, a fait savoir Yacine, un habitant de la commune de Bouzaréah.
Au couloir qui conduit au bureau du dépôt des dossiers… dans une salle étroite, séparée avec des paravents en bois, des notes accrochées au mur. Il y est inscrit que “les listes faites clandestinement par les citoyens ne sont pas prises en considération par les agents de la daïra”, a-t-on constaté sur place. Arrivés, à 8h30, nous avons tenté d’obtenir un ticket, mais en vain. “Vous êtes sérieux ? Les tickets ont été distribués le matin, avant même l’ouverture des guichets”, lança un citoyen faisant la queue. En lui demandant si les listes faites clandestinement étaient prises en considération, il a répondu que ce n’était pas possible, “il y a des policiers là qui font le va-et-vient pour assurer notre sécurité”.
À la daïra de Dar El-Beïda (banlieue sud-est d’Alger), pour obtenir le passeport biométrique, “il y a beaucoup de monde, et comme c’est toujours mal organisé, vous devez le faire en deux étapes. La première fois, vous leur remettez l’extrait d’acte de naissance spécial n°12, le passeport parvenu à expiration, le certificat de résidence, l’attestation de travail, une quittance fiscale de 6 000 DA, en plus d’une copie de la carte du groupe sanguin”, selon Lotfi, 35 ans, un habitant de la circonscription. “Après le dépôt, on vous donne un rendez-vous dans une semaine pour les photos et pour prendre vos empreintes. Pour ensuite vous redonner un autre rendez-vous dans 10 jours pour récupérer enfin le passeport”, a-t-il ajouté. Cette situation persiste, en attendant l’ouverture des centres de biométrie dans chaque APC, prévue en ce début du mois d’août. Une semaine passée, et aucun centre n’a encore été ouvert…
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