SILA 2013, Remue-méninge!

SILA 2013, Remue-méninge!

Le salon international du livre d’Alger est en passe de battre son record en termes de fréquentation en matière de public cette année. C’est ce que nous a affirmé M. Igerb, membre du comité d’organisation du Sila, jeudi dernier.

Ce qui l’a caractérisé aussi est la concentration de ses espaces d’animation au sein du pavillon central. Et c’est là où le bât blesse. Car si les hommages, ventes-dédicaces et autres conférences ont été plutôt bien médiatisés eu égard à leur proximité avec les lecteurs, le rayon nouveauté et présentation de livres a constitué le point noir de ce Sila 2013 où des rencontres ont été tout bonnement annulées.

On songera à celle de Guy Bedos ou encore de Yasmina Khadra qui a drainé à peine quatre chats dans la salle. Toutefois, les thématiques des rencontres étaient plus au moins intéressantes poussant au débat et à la réflexion dont le pôle Esprit Panaf qui a réuni une armada d’éditeurs et auteurs africains en provenance du Mali, du Togo, du Burkina Faso, du Bénin, du Cameroun, de Tunisie, d’Algérie et même de la Mauritanie. Mercredi dernier, le public était convié à assister à une conférence autour de la littérature «maghrébines, africaine quelles frontières?» Un thème débattu par le Congolais Mukala Kadima-Nzuji et l’Algérien Mohamedi, en l’absence de Habib Tengour qui a dû rentrer en France. Pour l’un, il est évident qu’il n’y a pas de frontières car partageant les mêmes problèmes, au contact d’un imaginaire commun aussi. «Ce sont des frontières artificielles» et de donner l’exemple du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun.

«Quand on le lit, on a l’impression d’être en Afrique. Une oeuvre comme celle-là je l’ai fait analyser par mes élèves. L’histoire coloniale a tout fait pour gommer ces liens qui existent entre nous. Il faut renforcer les liens entre la littérature maghrébine et africaine», a-t-il soutenu.

Plus virulent et démonstratif, M.Mohamedi qui ne mâchera pas ses mots, dira que la littérature algérienne tend vers le roman de propagande, affirmant que cela est l’apanage de certains auteurs dont il citera les noms, à savoir Yasmina Khadra et Bouelam Sensal arguant: «Je crains que la littérature algérienne d’expression française devienne plutôt une littérature française de nationalité algérienne car dictée par les salons de Paris.. C’est sur ce plan-là que nous allons ériger des frontières…»

«Que le Mali prenne sa responsabilité»

Jeudi, l’espace Panaf accueillait Samir Amin, intellectuel engagé, auteur de plusieurs ouvrages sur les luttes sociales et politiques dans le monde. Une conférence portant sur l’avenir du panafricanisme. Evoquant avec nous son parcours jonché de combat et de militantisme, notamment à travers ses écritures, il estimera être «le dernier des Mohicans». Et d’ajouter: «Je n’ai pas envie de faire un travail d’historien, mais celui d’un participant dans l’histoire.» Evoquant cet idéal du panafricanisme qui se veut en vérité une belle utopie comme furent les indépendances avant leur avènement, notre conférencier estimera que son avenir est un long processus qui demande du temps, bien que marqué par des subressauts, d’effondrement et d’essoufflement à cause à l’impérialisme ambiant qui prévaut dans le monde.

Il évoquera les quelques révolutions qui ont jalonné l’histoire de l’Afrique bien avant celle du printemps arabe citant, par exemple, celle du Mali qui a battu l’ancien dictateur malien Moussa Traoré. «Je suis optimiste quand je regarde ce qui a été réalisé et je regarde sur le long terme. Quand on regarde l’Algérie, je comprends que les jeunes soient pressés quoi qu’on pense de son gouvernement, mais il faut être patient. Le combat ne donne pas des fruits immédiats» et de nous dire en aparté «l’Union africaine est au point mort et je pense qu’elle restera très longtemps, mais c’est une perspective à long terme nécessaire».

Revenant au Mali et son échec après le renversement de Traoré, Samir Amin avouera: «Vous ne pouvez pas compter sur l’armée française. Il faut reconstruire l’unité de la nation et l’Etat malien. C’est une responsabilité malienne. Que les Maliens prennent la mesure de leur responsabilité…» a-t-il insisté.

Quelle littérature féminine?

Dans l’espace consacré à la littérature, il fut abordé cette question sempiternellement posée ici, en Algérie, à savoir s’il y a une littérature dite féminine ou pas. A bâtons rompus donc, Ann Moi du Vietnam et l’Algérienne Maïssa Bey en développeront chacune à leur tour leur point de vue partant de leurs lectures et expérience dans la vie littéraire, mais aussi sociale. Pour l’invitée vietnamienne du Sila, la femme a pénétré davantage la cité aujourd’hui, elle a travaillé dans le cadre de la guerre ce qui lui a donné une certaine légitimité. Mais il est relativement facile de deviner si l’écriture de tel ou tel roman est masculine ou féminine, bien que dans son livre, le narrateur soit un homme. Elle en donne comme argument le fait de parler de l’incarcération. «Je ne pouvais écrire une histoire de prison comme d’autres hommes ont pu écrire sur la question.

Il en sort forcément une littérature avec la voix d’une narratrice pudique. Je développe donc une littérature féminine pudique.» Contrairement à Ann Moi qui revendique cette littérature féminine, pour Maïssa Bey cette appellation ne veut rien dire car «c’est un thème fourre-tout dans lequel on met un peu de tout. Il n’y a pas d’écriture spécifiquement féminine…» a-t-elle fait remarquer. Pour l’auteur de Entendez-vous dans les montagnes il n’y aurait pas de grande différence entre la société vietnamienne et algérienne du fait qu’elles ont vécu toutes les deux la guerre et la torture, avouant qu’elle s’est mise, elle, à écrire à une époque cruciale liée à la tragédie nationale où on interdisait aux gens de prendre la parole. «L’écriture devenait un exutoire.»

Une nécessité mue par un fort désir de liberté. Pour elle, rien ne justifie cette appellation de littérature féminine ou masculine, si ce n’est la sensibilité qui diffère d’un auteur à un autre.

«L’anormalité de Pierre Chaulet»

Au niveau histoire et acutangulé, un hommage appuyé a été rendu à Pierre Chaulet en présence de son fils Luc, qui assistait, discret sans dire un mot, à la succession des différents témoignages qui se sont succédé, entre personnels, intimes ou professionnels qui ont ému l’assistance.

Parmi les intervenants, on citera Christiane-Achour Chaulet, qui rendra hommage à «l’anormalité de Pierre Chaulet durant la guerre d’Algérie» puisque, de son point de vue, on trouvait normal qu’un Albert Camus français de son état puisse se positionner du côté de sa mère.

«Alors et les autres?» se demandera-t-elle et de réitérer la qualité de l’engagement de Pierre Chaulet dès 1954 et ce qu’il a représenté dans l’Algérie qu’«il a construit qui rejaillit dans l’Algérie actuelle».

«Il a fait de la cause algérienne un devoir, une obligation» évoquant, en outre, plusieurs textes de personnalités éminentes qui lui ont déjà rendu hommage dont Fanon, Réda Malek, etc.

Madame Christiane-Achour Chaulet invoquera aussi son algérianité, en étant ni arabe ni musulmane et cette tolérance et humanisme qui la caractérisaient. Un humanisme que le professeur Zidouni, ancien élève qui a succédé au père Chaulet, n’hésitera pas à soutenir en faisant référence au parcours de Pierre Chaulet et son rôle dans la réforme des études médicales en insistant sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et son engagement dans la lutte contre la tuberculose, notamment. «Il est resté toujours profondément humain.

Il a vécu très mal son exil dans les années 1990» et d’achever ses dires par: «Voila un témoignage d’un individu qui n’a pas fini de le regretter.»

De son côté, le réalisateur Jean Asselmeyer qui a donné la parole à feu le professeur Pierre Chaulet dans son documentaire Ils ont rejoint le front, a souligné l’aspect optimiste de cet ancien militant du FLN en la jeunesse algérienne.

«Ce qu’il m’a transmis est cette vision de l’Algérie en devenir, mais aussi le fait que l’espoir existe en Algérie.».