Sid Ali Kouiret a été inhumé hier au cimetière des martyrs d’el Achour, Adieu l’artiste!

Sid Ali Kouiret a été inhumé hier au cimetière des martyrs d’el Achour, Adieu l’artiste!

Au cimetière des Martyrs d’El Achour, les gens sont venus par centaines rendre un dernier hommage à Sid Ali Kouiret

Le départ de Sid Ali Kouiret laisse un grand vide dans le monde de la culture. Il a inventé le mythe de la scène et il a été, durant toute sa carrière, un excellent acteur.

De plusieurs centaines de bouches s’ouvrant et se refermant dans une communion quasi surnaturelle, fusent des «amin» faisant écho à la prière de l’imam qui après avoir prononcé l’oraison funèbre, implorait le ciel de couvrir de Sa Miséricorde celui qui aura quitté le monde, après 82 ans de vie debout, sur la pointe des pieds: Sid Ali Kouiret. Oui, Sid Ali Kouiret, né le 3 janvier 1933 à Alger, a, tout au long de ses 82 ans, vécu debout et dans la discrétion d’un homme qui, à force d’être humble, a fini par devenir une magistrale leçon d’humilité. Au cimetière des Martyrs d’El Achour, les gens sont venus par centaines rendre un dernier hommage à Sid Ali Kouiret et lui faire leurs adieux. Des artistes, des journalistes, des écrivains, des responsables politiques, des Algériens de tous les milieux se sont donné rendez-vous pour réciter en choeur leurs voeux de paix pour «l’homme de paix» qu’il a été. Mais à peine les dernières pelletées de terre jetées sur son corps, la foule s’est empressée de se disperser, laissant derrière elle un «monument de la culture nationale». Cela se comprend. Car, naturellement, il est difficile de regarder partir un être cher.

De l’émotion et des larmes

Debout devant nous, Sid Ahmed Agoumi, un autre monument du cinéma algérien et ami de feu Kouiret, retient difficilement ses larmes. Le départ de son ami, bien qu’intervenant suite à une très longue maladie, lui est visiblement très douloureux. Se refusant tout commentaire, c’est à travers un regard hagard et larmoyant qu’il exprime sa douleur. Il pleurait sans laisser couler des larmes. Magique. Emouvant. Moussa Haddad, qui était lui aussi là, s’excusait presque de survivre à son ami; il n’avait presque plus de voix pour exprimer ses sentiments. Bouleversé. Bien d’autres cinéastes et réalisateurs étaient présents. Abdenour Chellouche, réalisateur, regrette dans la mort de Sid Ali Kouiret «le départ d’un homme de culture polyvalent qui excelle aussi bien dans le théâtre que dans le cinéma». «Sid Ali Kouiret n’a pas réussi à sortir du microcosme algérois et s’ouvrir sur toutes les régions d’Algérie, mais il reste un grand symbole pour nous, car, en plus du fait qu’il était un grand professionnel sans avoir fait une quelconque formation, il était quelqu’un de très modeste et de très généreux» nous a-t-il déclaré d’une voix fébrile et pleine d’émotion. Larbi Lekhel, lui aussi réalisateur, porte le même regard sur la vedette du cinéma algérien post-indépendance. «Les rôles joués par Sid Ali Kouiret sont toujours importants, voire fondamentaux pour la réussite d’un film et il était toujours à la hauteur des attentes aussi bien des professionnels du cinéma que du public», a-t-il dit non sans prononcer un Allah yerrahmou regorgeant d’émotion et de dépit.

Les présents aux obsèques de Sid Ali Kouiret n’ont cependant pas attendu les questions des journalistes, présents en force sur les lieux, pour évoquer «Sid Ali». Tous les groupes qui s’étaient formés ça et là n’avaient de langue que pour parler de «l’artiste». Même ceux qui, de par leurs fonctions, ne sont pas forcément portés sur la culture, se sont perdus dans des envolées lyriques qui rappellent, tour à tour, les grandes aventures cinématographiques, théâtrales et militantes de Sid Ali Kouiret. Au milieu d’une petite foule où étaient présents le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, Mohamed Laichoubi, diplomate de renom, ainsi que quelques cadres de la wilaya d’Alger, l’importance de la culture pour tout citoyen, quels que soient son poste, sa condition sociale et son niveau d’instruction, était le sujet et tout le monde y adhérait sans réserve. Apostrophé, Mohamed Laïchoubi, toujours fidèle à son ton fort diplomatique, nous dira que «Sid Ali Kouiret est l’un des rares acteurs algériens, de surcroît polyvalent, qui appartiennent à la fois à l’Algérie qui était en guerre et à l’Algérie indépendante» et que, à ce titre, «il constitue une référence incontournable dans l’histoire culturelle de l’Algérie».

M.Laïchoubi évoquera aussi cette scène du film L’opium et le bâton, adapté du roman de Mouloud Mammeri par Ahmed Rachedi et qui fera date depuis sa réalisation à ce jour, où Sid Ali Kouiret prononcera une phrase qui traversera le temps et s’imposera comme un condensé de la culture algérienne et du caractère résistant de l’Algérien: Ali mout wakef. «L’expression Ali Mout wakef traduit aussi bien le tempérament fier de Sid Ali Kouiret que celui de l’Algérien d’une façon générale. Sid Ali Kouiret, c’est l’Algérie authentique» conclura Mohamed Laïchoubi. Souriant, Amin Zaoui, lui, en intellectuel se refusant au pessimisme théorique en vogue parmi l’intelligentsia algéroise, tend à rassurer, à dire que le rêve est encore possible, même si, par moment, des brèches s’ouvrent pour laisser s’enfuir ceux qui ont fait la culture de l’Algérie et l’Algérie qui, de toute façon, sans sa culture ne vaut rien.

Un homme toujours debout

«Le départ de Sid Ali Kouiret laisse évidemment un grand vide dans le monde de la culture. Il a inventé le mythe de la scène et il a été, durant toute sa carrière, un excellent acteur. Etre à cheval sur ces deux segments n’est pas chose facile», explique l’auteur de Festin de mensonge. «De plus, nous apprend-il, «il est une chose que très peu de gens connaissent de Sid Ali Kouiret; c’était quelqu’un qui adore chanter et qui chante parfaitement bien. Il a une voix extraordinaire et il aimait chanter, souvent, Farid Al Atrache». Pour Amin Zaoui, le parcours de Sid Ali Kouit et est particulier aussi dans le sens où il s’est fait à cheval sur l’Orient et le Maghreb. «En plus des films algériens, il a joué dans des film orientaux et il était ouvert sur le monde mais il est resté viscéralement algérien», conclut-il.

Ayant vécu debout comme il l’entendait, Sid Ali Kouiret est parti debout laissant derrière lui une Algérie pour laquelle il a donné les meilleures années de sa vie et qui, aujourd’hui, tente de se relever et de prendre en main son destin et devenir grande car, incontestablement, telle que rêvée par ses artistes, il y va de son devoir. Parmi ces artistes, Sid Ali Kouiret, pour avoir milité pour son indépendance et, par la suite, s’être mis au service de sa construction, figure sans doute au peloton de tête de la liste. Bien que parti, grâce à son oeuvre, il continuera à vivre.

abdelaziz Bouteflika dans son message

«Un fervent nationaliste et un militant courageux»

Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a affirmé hier qu’avec la disparition de l’artiste Sid Ali Kouiret, l’Algérie venait de perdre un «fervent nationaliste et un militant qui s’est distingué par son courage et sa bravoure au sein de la troupe du Front de libération nationale (FLN) tout au long de la lutte pour le recouvrement de la liberté et de la souveraineté spoliées». «Aujourd’hui, s’éteint une étoile de notre grand pays et disparaît à jamais le nom d’une célébrité du monde artistique et une illustre figure du cinéma et de la télévision algériens. Un artiste que tous les enfants de ce pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont aimé et idolâtré pour ses rôles remarquables, son talent exceptionnel et sa présence singulière reflétant la personnalité du citoyen algérien à travers ses différents rôles historiques», a écrit le président Bouteflika dans un message de condoléances à la famille du défunt Sid Ali Kouiret. «Ainsi aura décidé la volonté de Dieu. Aujourd’hui nous quitte le grand artiste Sid Ali Kouiret, que Dieu lui accorde sa Miséricorde», a indiqué le chef de l’Etat avant de souligner que l’Algérie «vient de perdre un patriote exemplaire et un militant qui s’est distingué par son courage et sa bravoure au sein de la troupe du Front de libération nationale (FLN) tout au long de la lutte pour le recouvrement de la liberté et de la souveraineté spoliée». «Le défunt avait rejoint le Théâtre national au début des années cinquante pour poursuivre son parcours artistique exceptionnel aux cotés de ses pairs algériens comme Mustapha Kateb, Mahieddine Bachtarzi et d’autres parmi nos grands artistes qui ont porté haut le message de l’Algérie à travers l’art de la parole et de l’image», lit-on encore dans le message du président Bouteflika. «Il lui est reconnu ainsi qu’aux autres artistes de la troupe du Front de libération nationale, qu’il était un ardent révolutionnaire qui affrontait à travers ses qualités artistiques avérées, l’arrogance et la barbarie de l’ennemi. C’est avec virtuosité qu’il incarna tous les rôles qu’il s’est vu confier sur les scènes du théâtre puis au lendemain de l’indépendance, dans le cinéma algérien pour retracer les hauts faits de la révolution de Novembre jusqu’à graver son nom d’artiste sans conteste à l’échelle nationale et mondiale», ajoute le chef de l’Etat. Le président Bouteflika rappelle encore que Kouiret qui a obtenu avec mérite de nombreux prix nationaux pour les personnages qu’il a incarnés avec le talent qui était le sien s’est érigé en véritable école de l’art. «Kouiret vient de quitter sa famille, son public et sa patrie mais il aura auparavant gravé son souvenir en lettres d’or dans la mémoire des Algériens parmi les figures éternelles du monde de l’art et son étoile continuera d’éclairer la voie des générations montantes», soutient le président Bouteflika priant Dieu Tout-Puissant d’accorder au défunt Sa Sainte Miséricorde, de l’accueillir en Son Vaste Paradis et d’assister sa famille et ses proches ainsi que toute la corporation artistique et culturelle et son public en cette douloureuse épreuve.