Que l’on taquine ou non le poisson, vivre en Algérie, ce n’est pas toujours la mer à boire. Ce sont parfois ses couleuvres qui sont difficiles à avaler.
Invité hier au Forum de Liberté, Sid-Ahmed Ferroukhi, ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques, n’a pas manqué de se décerner un satisfecit en ce qui concerne notamment l’arsenal juridique qui régit son secteur et qui, souligne-t-il, vient de s’enrichir d’une nouvelle loi sur la pêche. Concernant le pourquoi de cette loi sur la pêche, ce texte est venu, selon lui, non seulement combler un grand vide mais répondre également à une revendication. “Il y avait une conscience manifeste des professionnels et des scientifiques pour cette question de légiférer. Ce souci permanent était même relayé par la presse. Il nous fallait donc agir pour mettre en place des solutions afin de préserver la ressource. Nous n’avions pas les instruments d’action collective. Et c’est précisément ce qu’a essayé d’apporter la loi.” À l’entendre, il y avait comme une certaine dilution “des responsabilités collectives” des gens de la profession qui mettaient souvent les problèmes en dernier ressort sur le dos de l’État et donc de l’administration. Autre élément (et non des moindres) qui a été intégré dans le texte de loi “l’expérience des autres” dans le domaine de la pêche, “des repères” pour le ministre. “Sur la rive nord de la Méditerranée, la gestion est copartagée. Des bassins entiers sont gérés par des organisations professionnelles, des scientifiques et des régulateurs administratifs. C’est ce vers quoi nous voulons converger.” Connaissant le rituel du Forum de Liberté qui consiste à donner au début la parole à l’invité, Sid-Ahmed Ferroukhi a veillé à ce que son préambule soit instructif en déclinant un grand nombre d’indicateurs. Il commencera, d’abord, par situer la place qu’occupe notre pays dans l’espace méditerranéen bordé de 23 pays et qui comporte, apprend-on, quelque 45 500 km de côtes. Celle-ci semble négligeable à plusieurs égards. S’agissant de la production de la pêche en Algérie, le ministre a évité de pavoiser tant celle-ci stagne toujours autour des 100 000 tonnes/an. Et cela, depuis au moins une décennie (!). Concernant la consommation nationale “apparente”, précise l’orateur, celle-ci est estimée à 140 000 tonnes. Le ministre donnera également les résultats d’une enquête socioéconomique sur les communautés de marins pêcheurs en Algérie réalisée en 2013. Il soulignera, à cet égard, le caractère familial de cette activité. “63% en moyenne des patrons de pêche, des mécaniciens et des marins sont issus de familles de pêcheurs”. La crise des vocations n’est pas ici à démontrer. Interrogé, précisément, sur le fait que les Algériens tournent le dos à la mer, le ministre remontera à l’histoire pour démonter l’assertion pourtant assez plausible de l’émission Thalassa qui impute la désertion du territoire marin à “la décennie noire”. “Il y a deux ou trois barrières mais on a oublié que la colonisation française a été aussi maritime. La flotte algérienne ayant dominé la Méditerranée durant trois siècles, les Arabo-Berbères n’avaient plus, dès lors, le droit de monter sur un bateau. Les indigènes ne pouvaient pas être armateurs. Il a fallu attendre les années 1930, pour qu’il y ait les premières autorisations d’exploitation de sardiniers.” Une explication somme toute originale sur ce fait surprenant que les Algériens n’ont plus le pied marin. D’ailleurs, rares sont ceux qui savent aujourd’hui nager. “Le rapport à la mer a été cassé”, reconnaît le ministre pour qui “aller en mer ne va pas sans poser quelques difficultés. L’accès reste assez complexe”. Enfin, on ne peut occulter le fait que nos villes côtières, d’essence méditerranéenne, sont également en proie à l’exode rural et subiraient, de plein fouet, l’influence des massifs montagneux voisins et de la steppe environnante ou même encore du désert. D’ailleurs, cet arrière-pays, et l’actualité le démontre tous les jours, n’a pas encore dit son dernier mot…
Place aux réalités
“Les débats sur la pêche sont souvent transversaux et généraux, peu en prise avec les réalités et les caractéristiques du secteur”, s’est plaint le ministre dont le pragmatisme sera pourtant vite battu en brèche. Et pour cause ! Un jeune ingénieur, diplômé en aquaculture en 2006, déplore que malgré le lancement de nombreux projets et le programme “aquapêche”, il n’a jamais pu exercer. Ayant postulé en 2009 pour l’acquisition d’un sardinier, il regrettera que la procédure soit compliquée “pour quelqu’un qui n’a pas d’argent”. Loin de se départir de son optimisme, le ministre répondra que le développement de l’aquaculture allait passer “en mode intensif” dans le prochain programme quinquennal. Seulement, “il y a une gradualité dans la mise en place de ces métiers”. Le ministre, qui réitère sa disponibilité à encourager l’insertion des jeunes diplômés, préconise, toutefois, à son interlocuteur d’acquérir de l’expérience avec les autres. Il lui proposera donc d’apporter son concours à un autre porteur de projet car, selon lui, “un sardinier est une PME” qui emploie en moyenne 25 personnes avec une mise financière minimum de 1,5 milliard de centimes, sans compter les intérêts. Il s’agit, d’après lui, d’un investissement très lourd pour un primo-demandeur d’emploi. Et ce, d’entrée de jeu. Il promettra, néanmoins, de faire en sorte que les fermes aquacoles à venir embauchent automatiquement des ingénieurs algériens. Présent également au Forum de Liberté, l’ancien président de Forum des chefs d’entreprise (FCE), Réda Hamiani, qui a été également ministre de la PME soulèvera, lui, le problème de l’accès au financement, un lieu commun, du reste. Représentant un groupe d’investisseurs dans l’aquaculture, M. Hamiani fera part des difficultés d’accès à des crédits bancaires. Il pointera du doigt les réticences qu’affichent à leur égard les banquiers. “Il nous est exigé un cumul de garanties pour les investissements et pour acheter les aliments”. L’ancien patron des patrons suggère, enfin, au ministre d’établir un lien entre les aides incitatives avec le financement de l’aquaculture, soulignant notamment le caractère annuel et saisonnier de l’activité nonobstant le fait que peu d’acteurs sur le terrain ont les moyens financiers pour s’y aventurer. Pour sa part, le ministre justifiera l’insuffisance de l’“engagement” des banquiers par le niveau de risque élevé inhérent à l’activité. Il dit même comprendre l’attitude des banquiers dans “cette gestion du risque” d’autant que le cycle d’exploitation est de 18 mois. “Il suffit d’un incident pour compromettre la production.” D’après lui, cette activité aquacole se singularise par “un savoir-faire pratique qu’il faut acquérir et maîtriser”. Pour lui, “la formation académique et théorique n’est pas suffisante pour gérer une ferme en mer”. À l’en croire, cette activité requiert surtout un savoir-faire empirique (actuellement importé de nos pays voisins). Ce qui ne l’empêche pas d’envisager de développer avec l’Institut des sciences de la mer d’Alger (Ismal), un module consacré au génie aquacole et destiné précisément aux porteurs de projets. Et pour vaincre la circonspection des banquiers, Ferroukhi donne rendez-vous aux investisseurs le 5 avril prochain pour une rencontre consacrée aux dispositifs d’accompagnement de l’aquaculture. Il promet, à cette occasion, “une approche participative” qui puisse déboucher sur la signature publique de conventions portant sur de nouveaux produits d’assurance ainsi qu’une bonification à taux zéro pour la réduction notamment du coût du crédit d’exploitation qui représente, selon un opérateur, trois fois le coût total de l’investissement. Des mesures qui restent en deçà des subventions accordées à d’autres investisseurs, premiers arrivés et premiers servis. Une vieille rengaine !
