Si Mohand U Mhand, Le fantasque poète qui traduit ses tourments

Si Mohand U Mhand, Le fantasque poète qui traduit ses tourments

la légende veut qu’un jour un ange se présenta à lui et fit cette proposition : « Rime et je parlerai ou bien parle et je rimerai ». Si Mohand U M’hand choisit de parler. Nanti de ce précieux cadeau, le fantasque poète s’en servira pour traduire ses propres tourments, plutôt que de glorifier les anges.

Il a, d’abord, chanté l’amour en blâmant les unions mal assorties, en se révoltant contre le sort d’une « perdrix », dont le riche s’est emparé, bien souvent contre ces impitoyables « gardiens », qu’on arrive rarement à tromper. La dureté des mœurs fut telle qu’il arrivait aux jeunes de sombrer, faute de mieux, dans l’alcool ou le kif. Même s’il est vrai que le bon sens du montagnard prend souvent le dessus.

Pouvoir se marier ou résister à toute tentation, telle fut la devise sociale. Si Mohand s’adonna évidemment au kif, à cause de ses déboires en amour et de son destin, auquel il s’en prend ouvertement. L’âme meurtrie, il aurait déclaré à certains amis : « J’ai soif de l’amour des filles » ou encore : « Ma confession ferait tomber la montagne ». Allusion faite à la société kabyle, où l’homme se doit de conquérir une femme, s’il veut être considéré comme tel. L’acte viril donne la possession de la femme et affirme la supériorité de l’homme, assorti d’une paire de moustaches et quelques muscles, s’il vous plaît  ! Dans le cas contraire, vous devenez la risée de tout le monde. Tôt il se maria, tôt il divorça, échappant miraculeusement à l’empoisonnement par sa belle-mère, qui le détestait pour sa paresse, dit-on.

Il prenait déjà du kif et de l’absinthe, en ce temps-là. D’autres diront que cette histoire de mariage est une calomnie destinée à le salir. Quoi qu’il en soit, Si Mohand a, souvent, tenté sa chance qui ne lui a, malheureusement, pas souri. Cette inaccessibilité à l’amour fut assimilée par son auteur comme étant une inaptitude au bonheur, parce qu’il considère que ce qui lui est refusé, nul n’en est plus digne que lui, d’où les poèmes sarcastiques à l’encontre de ceux qui se considèrent comblés, alors qu’ils ne sont qu’au stade de la possession bestiale.

Son œuvre immense fut donc un appel non déguisé d’une âme sensible  : ne pouvant souffrir en silence, il ne peint que ses tourments, ne juge les autres que dans leurs rapports avec lui, bref, il dit ses affections, ses souffrances, ses amours, sa colère, son mépris ou sa haine. Il se garde d’enseigner, aucune intention moralisatrice, bien que parfois il s’adresse aux sages, comme pour les prendre à témoins. Sa philosophie, appelons-là ainsi, est puisée dans l’expérience de sa vie. Les étapes de sa pensée correspondent très exactement aux différents tournants d’une existence, pour le moins aventureuse…Comment expliquer qu’un poète aussi profane a pu devenir l’incarnation d’un peuple, dont la réserve n’est pas la moindre vertu et qui considère immoraux les chants d’amour ? Le musicien d’alors n’est, en effet, admis que pour animer une fête et créer une atmosphère de liesse, un moment de détente, où il est permis de lâcher la bride.

La fête terminée, on lui paie le prix convenu et on s’empresse de l’oublier. La réponse nous est fournie par Mouloud Feraoun qui précise que Si Mohand ne cherche à intéresser personne, n’attend rien de personne : ce qu’il dit de lui, il le dit à lui-même. Il n’a donc pas souffert de la réprobation mais de ses propres tourments. Le nombre de vers semés en tout lieu et toute circonstance serait incalculable. Si Mohand ne laissa malheureusement aucune note, ni aucun écrit, pas même de l’un de ses fidèles. Le poète parlait autant en emportait le vent ou presque. Ses contemporains ne s’empressaient pas de fixer sa capricieuse inspiration au passage.

Toutefois, grâce à Boulifa et quelques imitateurs, son travail fut ressuscité, remettant à la mode la déclamation poétique et redonnant le goût de versifier à un peuple, habitué à chanter ses joies et peines, ses exploits et sa ferveur… nRabah Douik