Ce premier séminaire national, qui s’est tenu à Timimoun du 25 au 30 avril 2009, a permis de lever le voile sur un phénomène considéré depuis toujours comme tabou. Il a démontré que les bouleversements intenses tant sur le plan économique, sociologique que culturel ont radicalement changé l’expression de la sexualité.
La violence des mots des jeunes pour dire la sexualité, la mise en accusation de la femme dans le champ de la sexualité, la prostitution masculine, les raisons du recours à la technique de procréation médicalement assistée, sexualité et religion, sexualité réprimée ou le déni du corps, du déni de la sexualité à l’abus sexuel ou le danger d’une sexualité déniée, troubles sexuels, la violence sexuelle dans le milieu scolaire, sexualité des enfants handicapés mentaux en institution, dépression, troubles érectiles chez l’homme algérien, beauté, sexualité et esthétique, réglementation du certificat de virginité, le harcèlement sexuel et la prostitution en Algérie sont autant de thèmes abordés par des psychiatres, psychologues, sociologues, sexologues et chercheurs au cours de ce rendez-vous scientifique.
Selon le professeur Oufriha Fatima Zohra, directeur de recherche au Cread, ce sont les bouleversements intenses tant sur le plan économique, sociologique que culturel qui ont fait que les caractéristiques de la société algérienne ont radicalement changé l’expression de la sexualité. Ce sont les paramètres démographiques qui semblent le plus avoir joué dans les modifications enregistrées. « Au-delà de la crise économique et surtout du chômage qu’elle induit ou du « manque » présumé de logements, c’est la crise du mariage qui est l’élément central des modifications.
Or, la sexualité s’exprime essentiellement de façon légale et légitime, certains la voudraient uniquement dans le cadre du mariage. Elle est fortement réprimée hors mariage, ce qui donne lieu à des déviances et des perversions multiples », décrit-elle. Le Pr Oufriha évoquera également la question du célibat définitif qui n’existait « pratiquement pas dans la société traditionnelle où tous les hommes et les femmes finissent par être mariés. Or, on enregistre actuellement un pourcentage significatif de célibats définitifs, non choisis délibérément. De même les veuves et les divorcées étaient rapidement remariées. Les mariages multiples n’étaient pas déconsidérés, de même la situation de non (re) mariage ».
Elle parlera aussi du recul de l’âge au mariage. « Ce dernier se fait de plus en plus tardif, tant chez les femmes que chez les hommes. Nous avons donc là un volume important de population jeune (des deux sexes) aux âges cruciaux des pulsions sexuelles qui ne peuvent être satisfaites normalement, elles sont alors source de frustrations et de violence. Les relations sexuelles hors mariage étant très mal vues, sinon pas du tout acceptées par la société algérienne, c’est aussi la source de profonds déséquilibres, car il n’y a pas de mécanisme de sublimation. Ce phénomène est aggravé par la diffusion de toutes sortes d’informations et d’images à ce sujet par le biais de la parabole ».
Mme Oufriha note qu’il existe un refus de la mixité qui empêche les individus de nouer des relations ou des sentiments d’affection, d’amour et de tendresse. « Nous avons donc une mixité tronquée et incomplète, or, il n’y a pas de véritable mixité en Algérie. Alors que les hommes et les femmes fréquentent maintenant les mêmes lieux (d’études et de travail). Les femmes ne sont plus cantonnées dans la sphère domestique et mises hors de vue des hommes et ce, d’autant que tout le discours ambiant, à travers une valorisation certaine des sentiments amoureux sans que cela débouche sur des comportements en conformité avec les nouvelles normes en la matière ». Elle ajoutera que les jeunes dans une grande majorité rejettent les mariages arrangés mais n’agissent pas en conséquence. Beaucoup voudraient des mariages d’amour et même des relations sexuelles prénuptiales mais rejettent les femmes qui pratiquent les mêmes.
De son côté, le Dr Abbassi Zohra, psychologue et psychosociologue déclarera que « les parties exposées se complètent pour montrer que les conjoints ne possèdent ni leur corps, ni leur sexualité psycho-affective. Généralement attachés à leur famille d’origine (et à leurs mères respectives), ils ne sont pas disponibles pour établir une relation de couple proprement dite. Vivant côte à côte mais pas ensemble, ils ne réussissent pas dans la création d’une relation soudée nécessaire à l’union et le couple demeure plus souvent une utopie ».
La prostitution se développe de façon alarmante
Quant à Maître Fatima Benbraham, avocate à la cour d’Alger, elle jettera un véritable pavé dans la mare : « Le constat des lieux m’a permis de comprendre un phénomène qui se situe et qui se développe d’une façon alarmante. La prostitution en Algérie est un réel commerce à ciel ouvert. Un phénomène inquiétant qui me donne le droit de me protéger de cette agression morale et qui agresse également la société en attirant l’attention sur ce phénomène tridimensionnel ». L’avocate expliquera qu’ »avant, on entendait parler de lieux de prostitution bien définis et situés avec un ordre à respecter. Les prostituées n’étaient pas livrées à elles-mêmes et exerçaient le commerce dans un cadre légal avec une prise en charge sanitaire et médicale et les maladies transmissibles étaient contrôlées. La prostituée était contrôlée également par la police et la brigade des mœurs. Jusque-là, cette profession n’attentait pas à la morale sociale ».
L’avocate estime qu’ »aujourd’hui, le phénomène est sorti dans la rue. Les risques et les conséquences sont très lourds pour la santé publique. Une fois dans la rue, aucune maladie ne peut être contrôlée. Et l’effet boule de neige a engendré la rentabilité de la prostitution qui a atteint une large frange de la société allant de la prostitution clandestine pauvre à la prostitution de luxe et donc, on peut dire que ce mal social peut toucher tout le monde, soit directement ou indirectement », soulignera-t- elle.
Elle expliquera que « la façon directe est que les prostitués volontaires féminins ou masculins agressent l’œil et visent la tentation de l’autre. Leur but est d’entraîner les gens vers un cercle vicieux en perpétuelle continuité et au fur et à mesure, le nombre de victimes, le risque de perversité et de maladie augmente et le citoyen honnête sera celui qui en fera les frais. Car, c’est avec l’argent du contribuable que l’État doit soigner le sida et d’autres maladies ». Quant à la façon indirecte, elle dira que ceux qui sont entraînés malgré eux vers des cercles de prostitution clandestine « deviennent des victimes d’une prostitution organisée et clandestine. Des esclaves du sexe ».
Maître Benbraham va encore plus loin dans ses révélations. « Le constat que nous avons fait nous a permis d’apprendre que de nombreux pères, frères, oncles asservissent les femmes de leur entourage et les exploitent sexuellement. Certains quartiers d’Alger sont passés maître dans ces pratiques. Dans des bidonvilles non contrôlés par l’État, des hommes (milieu familial) maintiennent leurs mères, sœurs, filles et nièces sous leur emprise et les prostituent à longueur de journée à des Chinois, Africains et Algériens pour 200 DA ! » « La gravité de cette situation nous interpelle et oblige à nous poser la question : que doit-on faire pour punir ce crime organisé ? Pourquoi les services et institutions judiciaires restent inactifs devant ce crime ? Pourquoi cette loi du silence qui pèse et qui couve une pression ?
Il faut savoir qu’il existe 8 000 lieux de prostitution clandestine à Alger et ses environs », dira-t-elle en colère. « Je suis allée consulter le code pénal algérien pour savoir si le délit de racolage, le lieu de débauche et la protection des mineurs contre la prostitution existent, j’étais surprise d’apprendre que concernant les majeurs, il y a un flagrant vide juridique. J’ai essayé de connaître les raisons et pour cela j’ai dû consulter le droit pénal pendant la période coloniale. J’ai constaté que par la loi de 1946, la prostitution n’était plus un crime mais une profession organisée. Elle se pratiquait dans les maisons des prostituées parmi leurs voisins et elle le faisait par une ‘patente’ (sorte de permis d’exercice) et payait des impôts (régis par un chapitre élaboré par le ministère des Finances). C’est alors que la prostituée a quitté la maison pour travailler à son compte. Après l’Indépendance, tous les articles du code pénal ont été reconduits et c’est pourquoi la prostitution n’a pas été retenue comme un crime punissable en Algérie. Pourtant, l’Islam insiste pour qualifier ce crime de grand péché », a-t-elle expliqué. Et d’ajouter : « Nous avons constaté, aujourd’hui, un anachronisme entre la règle religieuse et celle de droit positif.
D’autre part, comment s’est passé le débordement de la prostitution des maisons formelles vers des maisons clandestines et informelles. Autour des années 1991, il y a eu en Algérie une volonté peu masquée à mon sens de vouloir extraire ces prostituées des maisons de tolérance et peut- être de leur permettre de vivre une vie plus digne. Cette volonté s’est traduite par la fermeture de certaines maisons contrôlées, mais ce sont des fermetures de fait et non de droit. C’est alors que les prostituées, qui ont choisi de quitter les maisons de tolérance, ont réintégré leurs maisons et se sont installées clandestinement à leur compte », note Maître Benbraham.
Selon elle, un calcul a permis de constater que si dans chaque maison contrôlée, nous comptons 20 femmes et si ces femmes ont toutes réintégré leurs maisons en les transformant en maisons clandestines, donc, il leur faut des recrues pour travailler. « Alors chacune d’elles se précipite pour recruter des prostituées de tout âge. De la mineure jusqu’à la mère de famille. Les nouvelles recrues sont généralement repérées dans les bains maures, chez les coiffeuses, dans les mariages, dans le voisinage et au sein des familles. Ainsi, le cercle de prostitution se voit transféré directement dans la société et tout cela à l’insu des pères et des maris des nouvelles victimes », révélera l’avocate.
La loi de l’omerta va s’installer parallèlement et gagner ainsi les fondements de la société. Deux sortes de prostitution se pratiquent, comme la prostitution riche qui entraîne un brassement d’argent important.
Tous les pervers vont vouloir s’enrichir à vive allure aux dépens de la loi morale et devant un fait lucratif.
Selon Maître Benbraham, ce sont là les prémices d’une destruction d’une société organisée. « Et c’est pourquoi, je tiens la thèse selon laquelle s’il y a des crimes économiques, il y a des crimes contre la morale, et la société qui n’a pas de code moral est une société qui perd ses repères sociaux, moraux ou religieux ».
Et de conclure : « La prostitution a trouvé libre cours à son développement phénoménal », recommandant de « revenir très vite à la réorganisation, à la brigade des mœurs comme une entité importante avec un large pouvoir pour contrôler les maisons de prostituées clandestines ».