Seul contre tous, le Premier ministre tunisien s’accroche à son siège sous prétexte de «sauver le pays»

Seul contre tous, le Premier ministre tunisien s’accroche à son siège sous prétexte de «sauver le pays»
seul-contre-tous-le-premier-ministre-tunisien-saccroche-a-son-siege-sous-pretexte-de-sauver-le-pays.jpg

C’est la fuite en avant en Tunisie. Le Premier ministre persiste à former, « illégalement », quoique disent certains constitutionnalistes tunisiens favorables à la décision unilatérale de Hamadi Jebali qui s’accroche à son siège, un gouvernement de technocrates rejeté par la « troïka » et la plupart des partis politiques représentés ou non à l’Assemblée nationale constituante.

En contradiction flagrante avec la « loi constituante » du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, la démarche aventureuse du chef du gouvernement tunisien est une erreur censée réparer l’erreur politique d’avoir pris le pouvoir dans des conditions d’instabilité interne et régionale chronique et une situation socio-économique calamiteuse marquée par un chômage massif touchant toutes les catégories de la population et une crise financière et bancaire qui met l’Etat en danger de faillite, n’ayant pas réussi à instaurer un climat de confiance pour attirer l’investissement et à desserrer les contraintes de financement.
Au moment où l’opposant Chokri Bélaïd était assassiné, le président provisoire de la République, Moncef Marzouki, plaidait devant le Parlement européen, à Strasbourg, l’annulation d’une partie de la dette extérieure de son pays ou la reconvertir en projets de développement profitables «aux entreprises des pays donateurs», à l’économie et, par voie de conséquence, à « la démocratie en Tunisie ». Tous les acteurs politiques et sociaux tunisiens considèrent cette question stratégique pour la réalisation des objectifs de la révolution. Le porte-parole de la branche tunisienne d’Attac estimait, à Strasbourg, que la dette «étranglait celle-ci et la conduisait à l’enlisement».
Hamadi Jebali pense, après près de quatorze mois passés à la tête d’un gouvernement éminemment politique, que seul un gouvernement apolitique formé de technocrates qu’il conduirait lui-même serait capable de sortir la Tunisie du marasme en attendant l’adoption de la Constitution qui est loin d’être achevée et l’organisation des élections présidentielle et législatives. Or, malgré les subterfuges juridiques de Iyadh Ben Achour, constitutionnaliste tunisien réputé, consulté par le Premier ministre, celui-ci est obligé de respecter l’article 15 de la « loi constituante», notamment son alinéa 4 imposant l’approbation de la formation du gouvernement par l’Assemblée nationale constituante, à la majorité absolue de ses membres.
Cette pratique est incontournable et Hamadi Jebali ne peut y déroger s’il ne veut pas être accusé de vouloir passer en force et de faire « un coup d’Etat constitutionnel », même si le Premier ministre se prévaut de l’article 17, alinéa 2, qui stipule qu’il peut «créer, modifier et supprimer les ministères et les secrétaires d’Etat et la définition de leur compétence après discussion devant le Conseil des ministres et informer le Président de la République. » Nous ne sommes pas, il faut le dire, dans cette hypothèse, mais dans la formation d’un nouveau gouvernement qui doit impérativement [alinéa 5 de l’article 15] obtenir la confiance de l’Assemblée nationale constituante. Et l’ANC peut, selon l’article 20, retirer sa confiance au gouvernement, le considérant, dans ce cas de figure, comme étant démis de ses fonctions.
La décision de Hamadi Jebali de nommer, malgré toutes les contraintes légales, politiques et sécuritaires, un nouveau gouvernement sans en référer au pouvoir originaire qui lui donne sa légitimité, va plonger la Tunisie dans un imbroglio juridique interminable. A moins que le chef de l’Etat qui s’apprêterait, selon Iyadh Ben Achour, après avoir conseillé à son Premier ministre de respecter les voies légales et de s’en remettre à l’Assemblée nationale constituante, à avaliser la décision de Hamadi Jebali, juge indispensable d’appliquer l’article 11 dans son alinéa 7, c’est-à-dire prendre «des dispositions et des mesures exceptionnelles» s’il considère que les «circonstances survenues perturbent le fonctionnement normal des pouvoirs publics, après avoir consulté le Premier ministre et le président de l’ANC». Au moment où nous écrivons, ce gouvernement de technocrates qui devait être annoncé, hier, n’est toujours pas connu, à croire que le Premier ministre rencontre des obstacles à le constituer et à l’imposer au pays.
Brahim Younessi