Sétif :évenements du 8 Mai 1945,L’Algérie s’en souvient

Sétif :évenements du 8 Mai 1945,L’Algérie s’en souvient

En ce jour du 8 mai, le monde occidental célèbre la victoire des armées de la liberté sur la bête immonde du nazisme. Mais dans «ces pays civilisés», on oublie souvent que le 8 mai 1945, de l’autre côté de la Méditerranée, il se passait d’autres évènements, où plutôt un massacre à grande échelle. 45 000 morts à Sétif, Guelma et Kherrata, tel est le bilan macabre de ces tragiques évènements. Un chiffre qui fait peur même divisé par trois par l’administration coloniale.

Ces massacres vont marquer le début de ce qui allait, 9 ans plus tard, devenir la «Toussaint rouge», le 1er Novembre 1954. En ce mardi 8 Mai 1945, la victoire des alliés a permis aux musulmans d’organiser un défilé pour déposer une gerbe de fleurs aux monuments aux morts. Le sacrifice des Algériens morts dans la lutte contre le fascisme doit apporter à l’Algérie, plus de liberté et plus de démocratie. Tel était l’esprit qui animait la population ce jour-là à Sétif. Les organisateurs avaient rappelé aux paysans venus des villages de déposer tout ce qui pouvait être une arme (couteau, hache, faux…) afin d’éviter tout risque de provocation et toute apparence de démonstration violente. Et le cortège se formait, en tête, les Scouts musulmans algériens en uniforme, derrière eux trois militants portaient la gerbe de fleurs qui devait être déposée au monument aux morts. Un cortège de 15 000 personnes environ. La discipline règne dans les rangs des manifestants. L’arrivée au centre-ville avec le déploiement du drapeau algérien met pourtant le feu aux poudres. La police exige le retrait du drapeau tandis que les manifestants résistent. Un responsable politique de Sétif témoignera plus tard en précisant «Vous savez combien le drapeau est sacré et quand il est sorti, il n’est plus question de le remiser.» Le commissaire de la police judiciaire Lucien Olivieri et les inspecteurs Lafont et Haas entrent dans le cortège et somment les responsables des Amis du manifeste et de la liberté – (AML) qu’ils trouvent devant eux, de faire disparaître les pancartes et le drapeau algérien. Ceux-ci refusent. Une bousculade s’ensuit. Le commissaire Olivieri tire un coup de feu en l’air. A ce signal, les policiers qui se trouvaient de part et d’autre du cortège se regroupent devant les manifestants. D’autres, sortis des cafés et des voitures, viennent les renforcer. Certains tirent au revolver sur les Algériens qui leur font face, tuant le porte-drapeau Saal Bouzid.» La provocation policière entraîne la panique chez les manifestants. La confusion règne et des Européens sont tués. Les militants tentent pourtant de reprendre la situation en main. Une gerbe de fleurs est déposée au monument à 10 heures, mais le car de gendarmerie intervient à nouveau et fauche tous les présents. 21 Européens sont tués au cours des affrontements, tandis que le nombre de victimes algériennes est alors inconnu. Dès le 8 mai au soir, la loi martiale est décrétée. Des armes sont distribuées aux milices européennes. «La chasse à l’Arabe» commence dès lors, avec une terrible férocité. «Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas prévu de réactions. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. À Guelma, «ma mère a perdu la mémoire (…) On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre», dira l’écrivain Kateb Yacine. La répression sera d’une incroyable violence. Toutes les forces armées y participent, marine, aviation, légion étrangère, et même des milices. On canonne, on bombarde, on rase des villages, on incendie des mechtas, on tire sur la population, on mène la chasse. La folie va durer deux mois. Les cadavres sont brûlés dans des fours à chaux, disparaissent dans les puits, les rivières. 4 500 arrestations, 22 exécutions capitales, 64 condamnations aux travaux forcés sont prononcées. Le 22 mai, le soulèvement prend fin. Officiellement. Mais c’est pourtant là que tout commence… L’armée française organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en chœur : «Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien». Des officiers exigent la soumission publique des derniers insurgés. Certains, après ces cérémonies, sont embarqués et assassinés. Pendant de longs mois, les Algériens qui, dans les campagnes, se déplaçaient le long des routes continuèrent à fuir pour se mettre à l’abri, au bruit de chaque voiture. Bilan de ces évènements qui ont duré plusieurs jours : 45 000 morts et des centaines de personnes emprisonnées côté algérien, et 102 Européens ou militaires français tués. Aussi des centaines de mechtas fumantes, en ruines, et des dizaines de fosses communes.

Imed Sellami

Les oubliés du 8 Mai 1945

Des dizaines de milliers d’Algériens tués, des centaines d’autres emprisonnés lors des évènements tragiques du 8 Mai 1945. Et jusqu’à ce jour, soit 68 ans après, l’Etat algérien n’a pas daigné leur rendre leur dignité. En effet, malgré l’insistance, depuis des années, de la Fondation du 8 Mai 1945 qui ne cesse de demander la révision des textes de lois relatifs aux statuts de moudjahid et de chahid, aucune suite ne leur a été accordée. «La loi relative au moudjahid et au chahid doit être révisée car elle ne concerne pas les victimes des massacres du 8 Mai 1945 qui ont lutté, eux aussi, pour la liberté de ce pays. Il est inadmissible que les familles des victimes du 8 mai 45 ne perçoivent pas des indemnisations». avaient déclaré, en 2009, les membres de la Fondation. Pour la veuve de M. Mekki Salah, une victime parmi tant d’autres des exactions françaises lors des évènements du 8 Mai 1945 à Sétif, «J’estime que mon défunt époux ainsi que les milliers de victimes de ce génocide ont droit à un peu de dignité de la part de notre Etat. M. Mekki Salah a été interpellé à Sétif lors des événements du 8 Mai 1945. Traduit devant le tribunal militaire permanent de Constantine le 3 juillet 1945, il sera condamné aux travaux forcés à perpétuité pour tentatives d’assassinats et de tentatives de pillage en bande et à force ouverte. Son recours sera rejeté le 31 juillet 1945 par le tribunal militaire de cassation permanent d’Alger. Sa peine des travaux forcés à perpétuité sera commuée en celle de dix ans de travaux forcés. Mon défunt époux a milité et a sacrifié sa jeunesse en prison pour l’Algérie et j’espère que son pays lui sera reconnaissant, comme il l’a été avec ceux qui ont pris les armes et combattu lors de la guerre de Libération». Espérons que cet appel, ainsi que tant d’autres, soient entendus par les décideurs pour au moins, honorer les mémoires des victimes de ce génocide.

I. S.

Ce qu’ils ont dit sur les évènements du 8 Mai 1945

Le président Houari Boumediène : «Ce jour-là, j’ai vieilli prématurément. L’adolescent que j’étais est devenu un homme. Ce jour-là, le monde a basculé. Même les ancêtres ont bougé sous terre. Et les enfants ont compris qu’il faudrait se battre les armes à la main pour devenir des hommes libres. Personne ne peut oublier ce jour-là.»

Kateb Yacine, alors lycéen à Sétif : «À la tête du cortège, il y avait des scouts et des camarades du collège qui m’ont fait signe, et je les ai rejoints, sans savoir ce que je faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade, suivie d’une cohue extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite. Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je suis entré chez un libraire. Je l’ai trouvé gisant dans une mare de sang. Un ami de mon père qui passait par là me fit entrer dans un hôtel plein d’officiers qui déversaient des propos racistes. Il y avait là, mon professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme je chahutais dans la classe, ayant parlé une fois de faire la révolution comme les Français en 1789, elle me cria : “Eh bien, Kateb, la voilà votre révolution, alors, vous êtes content ?” C’est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme.»